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Des classes multiâges en collège

L’équipe d’un collège de Savoie est à l’origine d’une véritable alternative aux très contestés groupes de niveau : regrouper au sein de mêmes classes des élèves de 5e, 4e et 3e. Une innovation majeure. Les élèves et les enseignants y trouvent des intérêts qu’il convient ici de transmettre.

Nous sommes enseignants au collège du Val Gelon de La Rochette (Savoie) et nous avons mis en place depuis trois ans des classes cycle 4 (CC) au sein de notre collège. L’origine de cette expérimentation, encadrée par la Cardie (cellule académique recherche, développement, innovation, expérimentation), vient de nos constats et de nos interrogations face aux difficultés du collège unique : gestion de l’hétérogénéité des élèves, désengagement de certains, ennui pour d’autres. Depuis quelques années, nous faisons le constat sans appel que les élèves désapprennent, se désengagent, subissent leur scolarité. Notre projet a pour ambition de redonner du sens aux apprentissages et du sens à notre métier.

Au moment où l’actualité nous rattrape avec la proposition de ces groupes de niveaux, nous souhaitons mettre en lumière notre projet qui propose une alternative solide. La classe cycle 4, c’est en effet un groupe classe dans lequel les enseignants s’appuient sur l’hétérogénéité du groupe pour créer des ressources et faire progresser chacun.

Ce projet est une suite naturelle à d’autres expérimentations liées à la diversification des stratégies pédagogiques menées dans l’établissement : des classes renversées, des cogni’classes puis des classes coopératives. Petit à petit, notre projet a muri au gré des rencontres : un professeur des écoles dans une classe multiniveaux, des échanges avec le collège de La Voulte-sur-Rhône (Ardèche) qui expérimentait déjà. Nous avons rapidement ressenti le besoin d’aller plus loin, avec l’ambition de donner tout son sens à la réforme de 2016 et au cycle 4. Constituer une classe où se côtoient des élèves de différentes classes d’âge était devenu une évidence : une classe multiâge cycle 4. Ainsi, la première classe de cycle ouvre à la rentrée 2021, suivie d’une deuxième en 2023.

Les objectifs sont multiples, mais il s’agit en premier lieu de donner aux élèves de prendre la main sur leur scolarité pour mieux s’approprier les savoirs enseignés, en profitant à la fois de parcours adaptés et de l’expérience des autres.

Des parcours différents

La classe de cycle est une classe qui regroupe des élèves de 5e, 4e, et 3e, pendant la durée d’un cycle. Les enseignants proposent des activités organisées en plusieurs parcours correspondants aux attendus de 5e (parcours 1), 4e (parcours 2) et 3e (parcours 3) et donc à des degrés de difficulté différents. Les modalités peuvent varier suivant les disciplines, mais l’idée directrice est que chaque élève a la possibilité d’évoluer entre plusieurs parcours, c’est-à-dire entre plusieurs niveaux de compétences attendues. Les élèves, à l’intérieur de leur classe, peuvent chacun choisir des parcours adaptés selon la notion travaillée et à partir du matériel mis à disposition.

Par exemple, un élève de 3e peut choisir de suivre un parcours 3 en maths mais un parcours 2 en anglais. L’ambition est d’être flexible, pour donner du choix mais aussi pour s’adapter au mieux aux besoins de chacun. Ainsi, il y a moins de risque que les plus fragiles se découragent d’être parmi les plus faibles, l’essentiel étant que chacun progresse au sein d’une classe hétérogène.

Ce fonctionnement nécessite la mise en place d’outils particuliers tels que les feuilles de route ou plans de travail, mais aussi de la coopération, du tutorat et une formation à l’acte d’apprendre (la métacognition). Chacun peut avancer plus ou moins vite, gagner en autonomie et être mieux aidé. La possibilité de changer de parcours au cours de l’année et au sein des disciplines stimule le travail, met en exergue le fait d’avoir trois ans pour acquérir les attendus scolaires et ainsi valorise l’initiative et le droit à l’erreur. Les élèves peuvent consolider certaines connaissances ou compétences, d’autres peuvent aller plus loin.

Le groupe de base reste une classe. Les activités proposées peuvent être les mêmes pour tous les élèves. Plus généralement, la vie de la classe s’articule aussi par la mise en place de projets qui nourrissent les apprentissages et la coopération des élèves : journée d’intégration, voyages ou sorties et projets interdisciplinaires, marchés de connaissances.

Devenir meilleur plutôt que le meilleur

Le projet a maintenant trois ans, c’est donc la fin d’un premier cycle, un premier bilan peut être envisagé. Les bénéfices nous semblent conséquents, même s’ils sont parfois difficilement quantifiables.

Les élèves disent se sentir particulièrement impliqués dans leur scolarité : ils ne subissent pas les journées de cours mais s’y engagent pleinement. Le sentiment d’appartenance à leur classe renforce le bienêtre et la motivation. Les projets et le fonctionnement coopératif multiplient les interactions et mobilisent en même temps des compétences transversales (émotionnelles, relationnelles et comportementales). Les élèves ont conscience que le but est de progresser individuellement grâce aux autres, sans chercher à devenir le meilleur.

Cette temporalité du cycle qui est plus longue est réellement la clé de voute du projet : les plus grands, ou ceux qui maitrisent les notions deviennent détenteurs de savoirs et de savoir-faire accessibles aux autres. Le professeur n’est plus la seule ressource. De même, l’orientation et toutes les questions qui s’y rapportent deviennent intrinsèques à la classe, car les plus petits observent, échangent avec les plus grands : l’arrivée en 3e est plus facile sur les questions de l’après-collège, le palier entre la 3e et la 2de semble mieux négocié.

Un travail d’équipe au service de tous

Du point de vue des enseignants, nous sommes arrivés à trouver un fonctionnement d’équipe. Les temps d’échanges nourrissent les pratiques de chacun, motivent. L’utilisation des parcours facilite la gestion de l’hétérogénéité dans chaque cours. En classe de cycle, l’hétérogénéité, c’est la force principale.

Nous sommes convaincus que ce fonctionnement améliore les apprentissages et simplifie la professionnalité : les méthodes ne sont plus présentées une seule fois mais approfondies chaque année, les programmes sont enseignés de manière curriculaire et différenciée. Le suivi des élèves est facilité d’une année sur l’autre, ce qui permet de construire la relation aux élèves et à leurs familles sur un temps long.

Mais un tel projet fait émerger des difficultés. Il demande un véritable changement de pratiques, certains collègues doutent, d’autres voient comme un obstacle le fait que des élèves restent ensemble pendant trois ans. Mais ce qui nous réunit est qu’il n’y a pas de fatalité. Lorsque l’on donne aux élèves des outils pour apprendre, ils s’en emparent, lorsqu’on les met en situation d’échange et de coopération, ils s’en servent pour progresser.

C’est pourquoi nous avons vraiment l’impression de trouver une réponse à nos interrogations. En créant du lien et en essayant de répondre au mieux aux besoins de chaque élève, le dispositif classe de cycle redonne du sens à l’apprentissage, à l’enseignement et au vivre ensemble au sein du collège unique. Nous pensons que, pour un établissement, ce dispositif donne la possibilité aux élèves de progresser. Notre souhait aujourd’hui est de le faire connaitre, de faire comprendre qu’il y a des alternatives qui se nourrissent des richesses qu’offre l’hétérogénéité d’une classe. Une contrainte devient une force.

Céline Morestin
Professeure de français en classe de cycle
Amélie Cottarel
Professeure d’anglais et professeure principale d’une classe de cycle
Ringo Douville
Professeur de maths et professeur principal d’une classe de cycle

Pour aller plus loin :

Reportage de Kadékol, webradio de l’IFE, sur la classe cycle du collège du Val Gelon : https://ife.ens-lyon.fr/kadekol/lmdlc/52-classe-cycle-quand-lheterogeneite-devient-une-force


À lire également sur notre site :

La classe multiâge d’hier à aujourd’hui. Archaïsme ou école de demain ? Entretien avec Sylvie Jouan.

« Les cycles offrent l’opportunité de ne plus porter en solitaire la charge d’un groupe », entretien avec Maëliss Rousseau et Céline Walkowiak.


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