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Des élèves tuteurs et tutorés au collège

Pour tirer parti de l’hétérogénéité des élèves, l’équipe d’un collège de Loire-Atlantique met en place du tutorat entre élèves. L’expérimentation dure depuis trois années scolaires, dans certaines classes de 6e, 5e et 4e. Les élèves sont beaucoup plus investis dans le travail, et les enseignants trouvent ces organisations bien plus agréables pour la gestion de l’hétérogénéité.

Nous sommes enseignants au collège Ernest-Renan de Saint-Herblain (collège REP, Loire-Atlantique) et nous avons mis en place depuis trois ans des pratiques de tutorat entre élèves au sein de classes de 6e, 5e et 4e. La mise en place de ces pratiques s’appuie sur la conviction que l’hétérogénéité d’un groupe est une richesse et non un frein. C’est une conviction qui prend un sens tout particulier au moment où se dessine un projet de réforme portant sur des groupes de niveaux qui n’avouent pas leur nom.

Cette expérimentation a été menée dans le cadre d’une recherche sur le tutorat avec Sylvain Connac. L’objectif poursuivi est le progrès individuel des élèves dans la maitrise des savoirs scolaires. Pour l’atteindre, nous avons choisi d’activer la participation des élèves par une organisation coopérative de leur travail en cours. Le premier effet observé est leur engagement plus fort en classe.

Concrètement, des séances mettant en jeu des pratiques tutorales ont été filmées. Puis, des entretiens ont eu lieu dans la foulée avec quelques élèves par classe. Enfin, plusieurs demi-journées ont été consacrées à l’analyse de ces séances et surtout de ces entretiens.

Ce sont ces temps d’analyse qui nous ont permis de repérer un certain nombre de leviers pratiques qui ont progressivement évolué vers ce qui se stabilise aujourd’hui.

Fonctionnement du tutorat

Le tutorat a lieu entre deux élèves : un tuteur et un tutoré. Tous ont été formés, en classe entière à chaque fois, aux rôles d’un élève tuteur et à ceux d’un élève tutoré. La principale vigilance a été de bien expliquer que tous pouvaient accéder à la fonction de tuteur.

C’est l’utilisation d’un tableau d’aide qui déclenche les phases de tutorat. Les élèves peuvent ainsi s’y inscrire soit pour aider un camarade, soit pour être aidé. Cet outil a reçu un accueil tout à fait satisfaisant des élèves. Il n’apparait pas de sentiment de gêne vis-à-vis des camarades à demander de l’aide.

C’était ce qui nous importait le plus et ce qui nous a demandé le plus de travail de compréhension. C’est bien la réciprocité entre élèves qui aident et élèves qui sont aidés qui importe le plus.

Exemple de réciprocité.

Le tutorat fait la part belle au travail individuel, contrairement aux aprioris que l’on pourrait avoir. Tout d’abord, l’aide apportée par un pair ne peut avoir de sens que si l’élève a d’abord cherché seul. Pendant la phase de tutorat tel que nous l’avons mis en place, l’élève peut s’autocorriger à l’aide de supports à disposition dans la classe. Après avoir été aidé par un pair s’il l’a souhaité, il revient, encore, à une phase de travail individuel pour poursuivre son travail. Enfin, la séance se termine par un test corrigé par l’enseignant, qui s’effectue seul. Le travail individuel est donc pleinement intégré à ce fonctionnement.

Il y a également une dimension de choix et d’autonomie lors de la phase de tutorat. En effet, l’élève n’a pas d’obligation à participer au tutorat. Il peut faire le choix de se concentrer sur son travail individuel. Le tutorat est – et n’est que – une corde supplémentaire à l’arc des possibilités offertes aux élèves.

Une certaine autonomie

e travail mené a permis de construire une structuration de séance précise, mais que chacun peut adapter à sa guise : introduction collective, travail individuel de concentration, travail personnel (seul ou en tutorat), travail individuel d’évaluation, puis travail collectif de bilan. Un aspect important est l’autocorrection des exercices par les élèves. Une certaine autonomie leur est donc donnée d’office.

Le travail mené a aussi permis d’identifier les activités sur lesquelles il convient ou non de mettre en place du tutorat. Il ne s’agit pas de mettre les élèves dans ces situations lors de tous les cours, mais essentiellement pour ceux réservés à des exercices d’application et d’entrainement.

C’est pour cela que le tutorat nous est apparu très utile comme outil de déblocage rapide et d’aide à l’engagement dans la tâche. Mais des collègues l’ont aussi investi pour des analyses de documents, de la rédaction ou de l’argumentation.

Le regard des élèves

Les élèves identifient et formulent eux-mêmes des bénéfices importants du tutorat. Ils disent développer des habiletés à aider les autres, ce dont ils tirent une satisfaction et un gain relationnel important.

Au-delà de ces bénéfices « attendus », les élèves disent aussi mieux comprendre les notions scolaires à apprendre, avoir moins d’appréhension à rater des exercices. Cet engagement plus fort et un statut de l’erreur amélioré sont autant d’éléments qui donnent satisfaction aux enseignants, qui l’observent dans le comportement ordinaire des élèves.

Les tutorés, ceux pour qui le tutorat est le plus difficile, ont également évoqué des points très positifs. Bien sûr, l’aide apportée leur permet d’être débloqués face à une difficulté. Mais c’est aussi l’occasion d’accéder à un autre point de vue que celui de l’enseignant. Ils se disent également soutenus, rassurés, relancés par leurs camarades quand ils sont aidés. Enfin, ils formulent également davantage travailler qu’à l’accoutumée.

Le regard des enseignants

Pour nous, enseignantes et enseignants, le tutorat est une manière de répondre au défi pédagogique que l’hétérogénéité de chaque classe impose. La variété des modalités de travail offerte aux élèves lorsqu’un tutorat est organisé est une vraie différenciation. L’élève peut travailler seul ; demander de l’aide à un camarade en qui il a confiance ; essayer d’aider un camarade qui le sollicite ; s’entraider avec un autre élève ; solliciter l’enseignant.

Les différences entre les élèves deviennent des sources mutuelles de motivation. Autrement dit, ils apprennent par eux-mêmes et s’enrichissent ensemble. Cela nous a demandé quelques changements de posture. Nous sommes tantôt observateurs, tantôt plus guidants avec les élèves.

La mise en place d’une table d’appui (l’endroit en classe où nous restons assis lorsque nous ne sommes pas sollicités par des élèves) permet aussi ces différentes postures. Cette table confère une souplesse dans l’organisation : elle nous permet d’observer les élèves, d’en corriger certains, d’organiser un petit groupe de besoin autour de nous, ou même d’individualiser en faisant venir un seul élève et en lui accordant un vrai temps.

Comme nous ne pouvons pas maitriser tout ce qui se joue pendant la phase d’autocorrection, ou même quand les élèves s’aident, cela implique une posture de retrait relatif. Nous avons dû aussi accepter parfois un petit niveau de bruit – bien qu’en pratique, ce sont souvent des temps de travail très calmes – et que les élèves se déplacent au sein de la classe.

Nous relevons un climat scolaire plus serein, avec un développement positif des relations de confiance entre élèves, et un sentiment de honte à demander de l’aide largement réduit.

Travail en équipe

Ce projet autour du tutorat entre élèves nous a aussi permis un véritable travail en équipe entre nous. Nous ne nous y attendions pas au départ, mais cette expérience a conduit à un sentiment d’appartenance à notre équipe pédagogique. Les échanges et la collaboration entre adultes se situent à différents niveaux :

  • dans la mise en place d’une organisation tutorale pendant les cours
  • dans la préparation des exercices et des séances
  • dans la planification des observations mutuelles de cours
  • dans l’élaboration d’outils communs (tableau d’aide, exercices autocorrigés, etc.)

Plusieurs pistes d’évolution restent à creuser, parce que tout n’est pas résolu. Elles nous donnent des perspectives stimulantes.

On peut en particulier évoquer l’introduction de degrés d’autonomie – tous les élèves n’en sont bien sûr pas au même point en matière d’autonomie, il convient d’aider les plus fragiles à « se dégourdir » ‒, la mise en place d’un outil d’évaluation de comportements coopératifs (pour que l’engagement des élèves leur soit reconnu) et aussi les plans de travail, qui, peut-être, apporteraient une meilleure cohésion à cet ensemble.

Maxime Droguet et Pierre de Guido
Enseignants de mathématiques
Marine Geffroy et Thomas Ferron
Professeurs des écoles spécialisés et enseignants en Segpa
Emmanuelle Lorenzini
Enseignante de lettres modernes

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