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Un colloque pour anticiper l’avenir de l’IA à l’école

En cet après-midi du 15 mars, Jean-Michel Zakhartchouk, membre du Comité de rédaction des Cahiers pédagogiques, a ouvert le colloque sur « L’intelligence artificielle : la pédagogie comme boussole » en rappelant que la question du rapport entre intelligence artificielle (IA) et pédagogie est l’objet du n°593 des Cahiers pédagogiques paru en mai 2024. Il a également annoncé que le numéro de mai 2025 de la revue portera sur l’école de demain avec un volet sur l’intelligence artificielle.
En effet, les inquiétudes légitimes soulevées par la subite émergence d’un accès grand public à ces technologies et l’ampleur de leur succès interrogent fortement l’école d’aujourd’hui et l’ensemble des éducateurs.
À ce titre, par-delà les impressions que nous pouvons en avoir, il était important de se faire une idée de la place de l’IA générative (IAG) dans la vie de nos élèves. Or, il existe pour l’instant peu d’études disponibles sur le sujet, du fait de la nouveauté de ces outils, mais aussi de la rapidité de leur diffusion parmi le grand public. Antoine Tresgots, membre du bureau du CRAP-Cahiers pédagogiques, a résumé les résultats de la vaste enquête qu’il a pilotée auprès de plus de 3 200 d’élèves du secondaire, dont l’analyse est disponible sur notre site.
Cette enquête était organisée autour de trois grandes séries d’interrogations : est-ce que les élèves utilisent les outils d’IA ? Qu’en font-ils dans leur vie et pour l’école ? Qu’en pensent-ils ? Il ressort que si la plupart des élèves connaissent et utilisent les outils d’IAG, la plupart en ont un usage restreint, ce qu’Antoine Tresgots a résumé par la formule : « Beaucoup l’utilisent un peu mais peu l’utilisent beaucoup. »
Plus surprenant, l’IA sert surtout à réaliser des recherches documentaires ou à répondre à des questions générales, mais parfois aussi personnelles. On voit que les usages plus experts de ces technologies sont finalement encore peu diffusés. Plus des trois quarts des lycéens et la moitié des collégiens utilisent ponctuellement ou plus régulièrement l’IA pour leurs travaux scolaires.
Quant aux jugements sur l’IA, si la majorité des usagers ont un regard positif sur cet outil, il peut aussi être vu comme « inquiétant ». On notera au passage un rapport genré à l’IA, observation qui rejoint ce que l’on sait du rapport genré aux outils numériques : les filles sont moins fréquemment usagères régulières et globalement plus méfiantes.
Les différents participants ont ensuite été invités à rejoindre successivement deux ateliers parmi cinq propositions correspondant aux grands champs d’interrogations posées par l’IAG aux professionnels de l’éducation. D’abord, savoir échanger de manière pertinente avec les robots que sont les IAG. Aussi un atelier proposait-il d’apprendre à utiliser et construire un prompt, la consigne adressée à l’interface pour obtenir une réponse pertinente.
Plus spécifiquement centrés sur l’IA au service du travail d’élaboration du professeur, étaient proposés les ateliers portant sur les IAG comme assistants de l’enseignant pour différencier, les IAG comme assistants de l’enseignant pour la scénarisation ou encore les IAG comme assistants de l’évaluation. Enfin, un atelier permettait de s’interroger sur le rapport entre les IAG et l’enjeu de l’esprit critique, au cours duquel a été présenté par Florian Gauthier l’outil Vera, une IA au service de la vérification des informations à partir d’un numéro de téléphone gratuit (via un appel ou WhatsApp).
Ces ateliers ont été l’occasion d’échanges riches entre des participants de tous horizons : enseignants, formateurs, personnels d’encadrement, avec même quelques collègues venant d’autres horizons géographiques que le seul système français, ce qui a aussi beaucoup contribué à ouvrir les questionnements.
Les différents animateurs ont accompagné les interrogations et expériences avec bienveillance et compétence, nous permettant de découvrir des outils nombreux et variés, mais également d’apprendre à mieux utiliser ceux que nous connaissions déjà. La nouveauté des outils comme de leurs usages nous conduisent à avoir des niveaux d’expérience hétérogènes : chacun a pu trouver sa place et repartir enrichi de ces différents moments d’échanges et d’expérimentation.
Cristina Popescu et Julie Higounet, toutes deux membres du CRAP-Cahiers pédagogiques et qui ont chacune animé un atelier, ont ensuite modéré une table ronde réunissant trois experts du rapport entre éducation et intelligence artificielle. Elles ont pu se faire le relai des questions de l’assistance qui, méthodologie originale, étaient posées anonymement, en direct via une page Wooclap, avec la possibilité pour chacun de liker les questions paraissant les plus pertinentes.
Tout d’abord, Mehdi Arfaoui, sociologue au sein de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a pu rappeler que nous sommes, enseignants, quotidiennement en contact avec des données personnelles de mineurs et que nous devons être sensibles à leur protection. Il nous a d’ailleurs annoncé que la CNIL prépare actuellement une fiche « IA et éducation », puisque ces nouveaux outils posent aux pédagogues des questions nouvelles qui méritent toute notre attention.
Mickaël Bertrand, enseignant d’histoire géographie en lycée à Dijon et auteur de J’enseigne avec l’IA ! (Vuibert, 2025), était porteur d’une parole d’expert des usages de terrain. Loin des peurs et des craintes que l’IA générative peut provoquer, il nous invite à intégrer ces nouveaux outils, à notre rythme, et les envisager comme une porte dont on pourrait se servir pour repenser le rapport au savoir. Il appelle de ses vœux la nécessité d’écriture de nouveaux programmes, sans doute dans une direction curriculaire.
Michel Bur, IEN honoraire et consultant, pense l’IAG comme un ensemble de formidables outils qui peuvent être au service du travail de l’enseignant et peuvent également permettre de mieux prendre en compte l’hétérogénéité des classes. Ces outils sont aussi des moyens de repenser ce qu’est un élève et ce que veut dire apprendre.
Les questions de l’assistance ont été variées et ont soulevé l’essentiel des inquiétudes autour de ces outils : les craintes quant aux compétences des enseignants eux-mêmes, mais aussi les inquiétudes d’ordre écologique ou social. La problématique liée à la formation nécessaire pour la montée en compétence des enseignants eux-mêmes n’a pas été esquivée.
A été également signalé le risque de renforcement des inégalités entre élèves, entre ceux qui savent circuler entre outils et moyens culturels et ceux qui ne savent pas. L’action de l’école a là tout son sens dans la mesure où elle saura accompagner mieux les élèves pour qu’ils utilisent ces nouveaux moyens d’accéder au savoir le plus intelligemment possible.
Nous ne sommes sans doute qu’au début de la réflexion et de l’intégration de ces nouveaux outils dans nos pratiques et laissons le mot de la fin à Cristina Popescu : « C’était très riche pour tout le monde. »
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