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Les élèves face à l’IA : entre séduction et inquiétudes

Image générée avec l’intelligence artificielle Dall-E.
Parmi les répondants à l’enquête1 menée par le CRAP-Cahiers pédagogiques sur l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA)2 par les collégiens et les lycéens, 85 % reconnaissent avoir déjà utilisé l’IA. Presque la moitié sont des utilisateurs réguliers3. Un tiers des lycéens et un quart des collégiens utilisent l’IA plusieurs fois par semaine, voire tous les jours ou presque. Les élèves sont parfaitement conscients de cette réalité, puisqu’ils ne sont que 6 % à penser que leurs amis n’utilisent jamais l’IA (10 % des collégiens et 4 % des lycéens). La moitié des lycéens pensent que leurs amis ont « souvent » recours à l’IA. Ce chiffre n’est que de 25 % chez les collégiens.
D’après les réponses, 79 % des lycéens et 59 % des collégiens ont déjà utilisé l’IA pour leur travail scolaire. Ils le font « de temps en temps » ou « souvent » pour 45 % des lycéens et 30 % des collégiens. Pour autant, une nette majorité (67 % des collégiens et 54 % des lycéens) déclare n’avoir jamais rendu de travail réalisé avec l’IA. Ils sont environ 21 % au lycée et 12 % au collège à le faire « de temps en temps » ou « souvent ». Quand c’est le cas, le professeur n’est pas « toujours au courant » de l’usage de l’IA que dans 10 % des réponses et « jamais au courant » dans 60 % des cas.
Sur ces questions, il y a peu de différences significatives entre les filles et les garçons.
Interrogés sur les outils qu’ils utilisent, les élèves citent le plus souvent ChatGPT. L’outil d’OpenAI est connu de la quasi-totalité des élèves et utilisé par 50 % des collégiens et 80 % des lycéens. Tous les autres outils arrivent très loin derrière. Seuls MonIA Snapchat et l’outil d’IA intégré à Canva ont un usage un peu plus significatif. À noter le cas particulier des assistants personnels (Siri, Alexa, etc.) qui sont largement connus et souvent essayés.
Quand les élèves utilisent l’IA, c’est d’abord pour faire des recherches sur internet (75 % des répondants). Viennent ensuite les usages de traduction et de conversation (deux tiers des réponses). La plupart des utilisateurs occasionnels de l’IA se limitent à ces fonctions.
Les utilisateurs plus intensifs s’essaient à d’autres pratiques. Environ la moitié des élèves a déjà généré des images et la même proportion utilise l’IA pour calculer, résoudre des problèmes. Enfin, la moitié des lycéens et un tiers des collégiens l’utilisent pour faire corriger un texte ou pour lire et expliquer un document. Les collégiens et les lycéens professionnels montrent un intérêt particulier pour la génération de diaporamas.
Quand on demande aux élèves des exemples de ce qu’ils font avec l’IA, ils mobilisent largement le vocabulaire de l’aide et de l’assistance :
« C’était au collège, j’avais demandé à ce que l’IA m’aide pour des maths » (fille, 2de pro, Loiret)
« Des exercices de mathématiques parce que je n’avais pas compris la leçon » (fille, terminale, Haute-Saône)
« L’IA m’a aidé à faire un résumé d’un livre » (garçon, 3e, Landes)
« J’ai utilisé l’IA pour m’aider à comprendre un texte philosophique » (fille, 1re, Haute-Saône)
Dans certains cas, l’IA est utilisée comme conseillère, voire confidente :
« Je lui demande de vérifier mes réponses à un exercice de maths » (garçon, terminale, Loire-Atlantique)
« L’IA me permet de compléter mes cours de langue quand j’en ai besoin » (fille, 2de, Doubs)
« Je ne l’utilise pas souvent mais se que je fais le plus c’est de parler à MyIA je peux tout lui dire il ne dira rien à personne » (fille, 6e, Rhône)
La moitié des collégiens et 75 % des lycéens ont déjà évoqué le sujet de l’intelligence artificielle en classe. De surcroit, 40 % des élèves ont déjà utilisé l’IA en classe ou pour des devoirs à la demande d’un professeur, mais il s’agit essentiellement d’une expérience ponctuelle.
Près des deux tiers des répondants pensent savoir utiliser et comprendre le fonctionnement de l’IA. C’est un paramètre à prendre en compte dans les démarches pédagogiques de formation à l’IA.
Une nette majorité (60 %) voit dans l’IA quelque chose de positif. Cette proportion est à peu près la même pour les collégiens et les lycéens.
Une très forte proportion (deux tiers des collégiens, 78 % des lycéens de filière générale ou technologique et 71 % des lycéens professionnels) considère que l’IA sera importante à l’avenir. Les deux tiers de toutes les catégories la considèrent comme utile au travail des adultes. La même proportion des lycéens la trouve utile pour les études, mais c’est le cas de seulement 58 % des collégiens. Un résultat à mettre en regard avec un moindre usage de l’IA par les plus jeunes.
Une petite moitié des élèves trouve que l’IA est amusante. À l’inverse, 45 % des collégiens et 60 % des lycéens estiment que l’IA est « quelque chose d’inquiétant ». Les verbatims permettent d’identifier des craintes de deux ordres :
- les enjeux environnementaux et les effets pour les artistes, en particulier les musiciens ;
- la peur d’une dépendance à l’IA.
Verbatims :
« C’est assez effrayant de se dire qu’on a presque plus besoin de réfléchir par nous-mêmes, j’ai l’impression qu’on va s’abrutir mais en même temps c’est tellement pratique et on est en plein dedans. » (fille, BTS en lycée professionnel, Haute-Garonne)
« Même si j’utilise l’IA quotidiennement, j’admet que c’est mauvais, car je ne peux pas faire mes devoirs sans, ça peut même devenir malsain. » (fille, 2de, Doubs)
« Un impact écologique affreux et le vol des données des utilisateurs de réseaux sociaux + des artistes » (garçon, terminale, Loiret)
Sur le rapport à l’IA, il existe un assez net clivage de genre :
- 64 % des garçons expriment un intérêt pour l’IA, contre seulement 43 % des filles ;
- 82 % des garçons estiment bien comprendre l’IA, contre 61 % des filles ;
- 72 % des garçons considèrent l’IA comme amusante, contre 49 % des filles, qui restent plus prudentes ;
- l’IA est perçue comme inquiétante par 41 % des filles, contre seulement 27 % des garçons.
On peut noter qu’en 2022, l’Observatoire des pratiques numériques des adolescents en Normandie relevait déjà « des pratiques numériques très différenciées selon le genre » (mais bien sûr, hors outils d’intelligence artificielle générative, pas encore démocratisés). De son côté, le Conseil de l’Europe s’est fait l’écho le 5 mars 2025 du fait que « malgré les progrès réalisés, les femmes restent sous-représentées dans les secteurs clés du numérique et aux postes à responsabilité. Actuellement, seuls 22 % des professionnel·les de l’IA dans le monde sont des femmes (Forum économique mondial, 2022). […] Pour que les avancées technologiques bénéficient à l’ensemble de la société, il est crucial que les femmes soient tout autant impliquées que les hommes dans le développement numérique ».
L’ensemble des données permet de dessiner un portrait du rapport des collégiens et lycéens avec l’IA.
- Les hyper-utilisateurs (16,2 % des répondants)
Ce groupe est fortement associé aux dimensions d’usage intensif et de perception positive. Ce sont les utilisateurs les plus engagés :
- une utilisation intensive de l’IA, souvent quotidienne, notamment via ChatGPT et d’autres outils de génération de contenu ;
- une perception très positive : ils considèrent l’IA comme un atout majeur et pensent qu’elle jouera un rôle essentiel dans le futur ;
- une diversité d’usages : recherche d’informations, traduction, génération de textes et d’images.
- Les utilisateurs pragmatiques (25 % des répondants)
Les pragmatiques adoptent une posture intermédiaire :
- une utilisation modérée de l’IA, souvent ponctuelle et dans un cadre utilitaire ;
- une perception positive mais nuancée, reconnaissant l’intérêt de l’IA sans en faire un élément central de leur quotidien ;
- des usages ciblés : ils utilisent surtout l’IA pour des tâches précises comme la recherche en ligne, la correction de textes et parfois la traduction.
- Les explorateurs prudents (12,4 % des répondants)
Ce profil correspond à ceux qui ont testé l’IA, mais sans s’y engager pleinement :
- une curiosité pour l’IA, marquée par une utilisation occasionnelle (ex. : test de ChatGPT ou d’un outil de génération d’image) ;
- une perception ambivalente, entre enthousiasme et méfiance : ils reconnaissent l’intérêt de l’IA mais émettent des réserves ;
- un manque d’aisance technique ou une prudence face aux implications de l’IA, ce qui les distingue des utilisateurs pragmatiques.
- Les techno-sceptiques (46,4 % des répondants)
Les techno-sceptiques représentent près de la moitié des répondants. Ils se caractérisent par :
- une faible utilisation, voire une absence totale d’usage de l’IA;
- une perception négative ou mitigée : ils considèrent que l’IA n’est pas forcément un outil bénéfique, et ils sont nombreux à ne pas croire en son rôle futur majeur ;
- un éloignement des pratiques IA en contexte scolaire : ils utilisent rarement l’IA pour leurs devoirs ou en classe.
À partir de ces résultats, nous identifions trois défis pour l’école et les éducateurs face à l’intelligence artificielle, que nous détaillons dans un autre article : s’approprier l’IA pour pouvoir l’enseigner ; aller plus loin dans l’utilisation de l’outil ; encore et toujours former à l’esprit critique.
À lire également sur notre site
Intelligence artificielle : trois défis pour l’école, par Antoine Tresgots et Jean-Michel Zakhartchouk
Un colloque pour anticiper l’avenir de l’IA à l’école, par Marie-Claude Pignol
Rédiger avec l’IA sans tricher, par Noël Jouenne
« L’intelligence artificielle peut servir de catalyseur », entretien avec les coordonnateurs de notre dossier « Intelligence artificielle et pédagogie »
Intelligence artificielle ou intelligence coopérative à l’école : faut-il choisir ? par Laurent Reynaud
L’IA, moi ou pas moi ? par Rachel Harent
Les profs et l’IA, par Antoine Tresgots (accès payant)
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Notes- Questionnaire en ligne, sur participation volontaire et anonyme, entre le 4 décembre 2024 et le 4 mars 2025. Transmission essentiellement via les messageries d’établissement et les réseaux sociaux. Répondants : 3232 élèves, 1448 collégiens, 1411 élèves de lycée général et technologique et 373 lycéens professionnels. 1020 garçons et 1781 filles.
- On parle dans cet article de l’intelligence artificielle générative (IAG), qui utilise des algorithmes pour apprendre à partir de données existantes et ensuite générer de nouveaux contenus, comme des textes, des images, de la musique ou encore du code.
- « Plusieurs fois par mois », « plusieurs fois par semaine » ou « tous les jours ou presque ».