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« L’intelligence artificielle peut servir de catalyseur »

L’intelligence artificielle générative a fait récemment une entrée fracassante dans nos vies, ce qui ne manque pas d’interroger l’école et les pratiques pédagogiques. Comment relever ce nouveau défi ? Comment, quand et pourquoi l’utiliser en classe ? Voici ce qu’en disent les coordonnateurs de notre dossier « Intelligence artificielle et pédagogie ».
Pourquoi ce dossier sur l’IA ? Est-elle devenue incontournable pour enseigner ?

Julie Higounet : Ce dossier explore à la fois les opportunités et les défis que représente l’IA pour l’enseignement. L’intégration de l’IA dans l’éducation n’est pas seulement une question de commodité ou d’efficacité ; c’est une exploration du potentiel humain, et de ce qui fait l’essence de compétences que l’IA ne pourra jamais remplacer, comme le dit dans le dossier la chercheuse Delphine Le Serre. L’IA peut servir de catalyseur pour repenser les méthodes pédagogiques, enrichir l’expérience d’apprentissage des élèves et les préparer les élèves aux compétences nécessaires dans un avenir où l’IA sera là.

Jean-Michel Zakhartchouk : L’IA est à la une de nombreux médias, mais sa possible utilisation pédagogique, à partir de pratiques réellement mises en place, est peu présente. C’est pourquoi ce dossier nous semble novateur. Trop souvent, on parle de façon abstraite des liens entre école et IA, nous avons voulu nous placer au cœur des classes.

En quoi ou comment l’IA peut-elle aider les enseignants à faire classe ?

J. H. : L’IA peut offrir des outils personnalisés pour adapter l’enseignement aux besoins individuels des élèves, comme l’indique la section sur l’aide à l’apprentissage des langues et le développement durable. De plus, l’IA peut automatiser certaines tâches administratives ou répétitives, permettant aux enseignants de se concentrer davantage sur l’interaction directe avec leurs élèves. Les outils basés sur l’IA, tels que les systèmes de gestion de l’apprentissage, peuvent également fournir des aides précieuses sur les progrès et les difficultés des élèves, guidant ainsi les interventions pédagogiques.

J.-M. Z. : Et on peut donc dire que si le travail des enseignants avec ses côtés fastidieux et chronophages peut être ainsi économisé, il restera l’essentiel : la créativité personnelle, et une place accrue pour l’accompagnement des élèves. Il ne faut pas confondre la nécessaire vigilance qu’on doit avoir devant toute innovation avec cette méfiance si répandue dans notre société. Pardon pour le truisme, mais l’IA est comme la science ou la « langue d’Ésope », la pire ou la meilleure des choses, selon l’usage qu’on en fait, et peut tout autant contribuer à réduire l’enseignant à un rôle d’exécutant qu’à renforcer son rôle de concepteur.

Est-ce que l’IA peut évaluer les élèves à la place des enseignants ?

J. H. : L’IA a le potentiel d’assister l’enseignant dans l’évaluation des élèves, en fournissant des analyses et des évaluations objectives basées sur les évaluations critériées. Cependant, elle ne pourra pas remplacer entièrement l’évaluation par les enseignants. L’évaluation est un processus complexe qui implique souvent un jugement subjectif, la compréhension des nuances et le contexte, des éléments que l’IA ne peut pas pleinement saisir. Les enseignants peuvent utiliser l’IA comme un outil pour compléter leurs évaluations, mais le jugement humain reste crucial pour interpréter les résultats et pour offrir une rétroaction constructive.

J.-M. Z. : Bien entendu, la question de la potentielle « tricherie » des élèves est présente dans le dossier. Mais si elle peut poser problème (même si elle n’est pas toujours bien difficile à repérer), elle est une occasion de revoir nos évaluations, sachant que, comme le dit le chercheur canadien Marc-André Lalande, ce qui est le plus facile à évaluer est souvent le moins intéressant, et que, donc, il faut prêter plus d’attention à d’autres compétences, comme la capacité réflexive. Quand les élèves de plusieurs auteurs du dossier sont amenés à discuter des productions de ChatGPT et à en découvrir parfois les insuffisances, cela devient vraiment intéressant et riche en apprentissages. Même chose pour la capacité à rédiger des prompts pertinents et adaptés, qui renvoie à des compétences méthodologiques essentielles.

Et vous, que retenez-vous plus particulièrement de ce dossier ?

J. H. : Le dossier souligne l’importance de l’équilibre entre l’adoption de l’IA dans l’éducation et la reconnaissance de ses limites. Il met en avant la nécessité de former les éducateurs et les élèves non seulement à utiliser l’IA mais aussi à comprendre ses principes et ses implications éthiques. Ce qui ressort, c’est l’importance de l’humain dans le processus éducatif, où l’IA sert d’outil d’amplification et non de substitution. L’accent sur le développement de compétences telles que la pensée critique, la créativité, et l’empathie, en parallèle avec les compétences techniques, prépare les élèves à naviguer dans un avenir où l’IA jouera un rôle de plus en plus central.

Et puis surtout, le rythme des avancées nous laisse un gout peut-être d’inachevé… Tant il y aurait déjà des choses à ajouter sur ce dossier depuis sa création. Une invitation renforcée à se positionner en mode « apprenant au long cours ».

La définition de ce qu’est un bon élève est aussi en train de bouger, parce que l’IA va faire considérablement avancer les évaluations.

J.-M. Z. : J’ai surtout noté que, finalement, nous avons eu beaucoup de contributions alors même que l’IAG existe depuis si peu de temps. En décembre 2022, je n’en avais jamais entendu parler. C’est passionnant de découvrir ainsi un nouveau continent, en se gardant à la fois de la technophilie comme de la technophobie.

Nous avons été aidés pour ce dossier par la constitution de ce que nous avons appelé une « ruche », réunissant dans des visios régulières, des collègues, chercheurs ou praticiens, des quatre coins du monde pour discuter des questions liées au sujet. Certains articles sont directement issus de cette « ruche ».

J’ajoute que si, au début, nous avons eu du mal à recueillir des témoignages de l’école primaire, plusieurs sont présents et bien stimulants. On ne peut que déplorer que l’institution semble vouloir aborder l’IA tardivement dans la scolarité. L’école ne doit pas se faire rattraper par ce qui se passe dans la société et en particulier a le devoir d’expliquer le fonctionnement de l’IA aux élèves, dès le plus jeune âge, sous des formes adaptées, comme on le voit dans le dossier. Pas seulement d’ailleurs son rôle possible à l’école, mais dans tous ses aspects sociétaux, éthiques, juridiques… C’est pour cela que toutes les disciplines sont concernées et présentes dans ce dossier, même si, concernant l’IAG, les disciplines littéraires sont plus à la pointe.

Bref, tout commence, et nous n’avons pas fini d’évoquer l’IA dans les Cahiers

Propos recueillis par Cécile Blanchard

Une femme face à un écran de téléphone ou de tablette sur lequel un robot lui parle.

 

Le samedi 8 juin, de 16 à 18 heures, participez à notre événement « 15′ chrono : Entrez dans la pédagogie assistée par IA ! » avec les coordonnateurs et de nombreux auteurs et autrices du dossier.


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Couverture du n° 593 des Cahiers pédagogiques.