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Rédiger avec l’IA sans tricher

Dans le domaine de la correction de texte, il est acquis que le travail du correcteur est indépendant de celui du rédacteur principal ou plus généralement du producteur de sources. Dans la longue chaine de l’édition, le rédacteur principal s’associe parfois à un rédacteur secondaire, ou à une équipe de rédaction, parfois un ou une secrétaire de rédaction. Chacun trouve sa place et participe à l’élaboration du texte. Un contrat d’édition précisera qui en est l’auteur.
De même, lorsqu’un auteur envoie son manuscrit à un éditeur, ce dernier se réserve le droit et la possibilité de modifier le texte du manuscrit et un correcteur est parfois associé au projet d’édition, de sorte qu’il peut, en définitive, y avoir une certaine distance entre le manuscrit original et la version éditée.
À aucun moment, dans ce processus, les droits d’auteur ne sont remis en cause, de même que les coquilles qui apparaissent au moment de l’impression peuvent être le fait de l’imprimeur.
Aujourd’hui, le recours à l’IA dans le contexte de l’amélioration d’un contenu n’a pour finalité que de supprimer l’intervention humaine dans le processus d’édition. Elle s’y substitue, mais n’ajoute rien de plus.
Dans le domaine universitaire, les manuscrits sont en général relus par des pairs, des collègues, la famille, ou font l’objet d’un service payant de relecture. Ces différences engendrent des disparités dans le traitement du texte et dans le rapport au texte. Le cas de la dyslexie offre un aperçu de ce problème. Lorsque l’étudiant dyslexique ne dispose pas d’un réseau lui permettant de l’aider dans l’écriture de son texte, il doit avoir recours à un service payant. Cela rend l’épreuve discriminante au regard des autres et des moyens mis en œuvre pour exécuter la tâche. Grâce à l’utilisation d’outils d’aide à l’écriture, cette étape devient caduque.
Bien évidemment, cela reste valable si l’auteur livre sa pensée et son argumentation – le fond –, et que la révision consiste seulement à supprimer les coquilles, les erreurs de syntaxe et offre la possibilité d’une reformulation en laissant le choix à l’auteur ‒ la forme. Ici, la question du libre arbitre marque certainement la limite dans l’utilisation de l’IA comme copilote. Agir sur la forme : oui, agir sur le fond : non.
De plus, l’IA va pouvoir, dans certaines mesures, traquer les biais cognitifs en pointant les erreurs logiques dans l’argumentation. Donnons un exemple : nous allons produire un texte délibérément biaisé.
« Dans ce grand ensemble, les gens vivent souvent seuls, en ménages composés d’une mère de famille et d’un ou deux enfants, lesquels sont le fruit d’unions avec des pères différents. Ces mères n’ont pas de diplôme élevé et leurs progénitures n’ont pas un grand avenir, du fait d’une existence pauvre et sans grandes ressources intellectuelles. Il s’ensuit un climat de violence excessive et le trafic de drogue donne à ce paysage un climat délétère et mortifère. »
Le moteur d’inférences ChatGPT pointe quatre biais cognitifs :
Ce texte contient plusieurs biais cognitifs qui influencent la perception de la réalité et conduisent à des généralisations abusives. Voici quelques-uns des biais présents :
1. Biais de confirmation
Le texte semble partir d’une idée préconçue sur les quartiers populaires et sélectionne des éléments (pauvreté, familles monoparentales, violence, drogue) qui confirment cette vision, sans prendre en compte des contre-exemples (entraide, réussite scolaire, diversité des parcours).
2. Biais de généralisation excessive
Il applique une description homogène à l’ensemble des habitants du « grand ensemble », en supposant que tous vivent dans des conditions similaires et suivent le même destin. En réalité, la diversité sociale et économique y est souvent plus grande que ce que le texte laisse entendre.
3. Biais de stéréotype
Le passage s’appuie sur des clichés :
- Les familles monoparentales seraient dysfonctionnelles.
- Les mères de famille seraient peu diplômées.
- Les enfants de ces familles auraient peu d’avenir.
- La violence et la drogue seraient des caractéristiques intrinsèques du quartier.
Ces stéréotypes conduisent à une vision caricaturale et déterministe des habitants.
4. Biais d’attribution
Le texte attribue la situation socioéconomique et la violence uniquement à des causes internes (famille monoparentale, faible niveau d’études), sans mentionner les facteurs structurels (discriminations, précarité, manque d’investissement public, exclusion sociale).
En conclusion, ce texte présente un regard biaisé sur un grand ensemble en mélangeant biais de confirmation, généralisation excessive, stéréotypes et biais d’attribution. Une analyse plus nuancée prendrait en compte la diversité des situations et les facteurs sociaux plus larges.
En utilisant un autre moteur, le fameux DeepSeek chinois1, on obtient un bilan similaire.
Une demande de reformulation à Chat GPT sous la forme : « Peux-tu reformuler ce texte en supprimant les biais ? », nous donne le texte suivant :
« Dans ce grand ensemble, on observe une diversité de situations familiales. Parmi elles, certaines familles sont monoparentales, composées d’une mère et d’un ou deux enfants, issus parfois de relations avec des pères différents. Ces situations peuvent résulter de circonstances variées, telles que des séparations ou des choix personnels. Il est important de noter que le niveau de diplôme des parents, comme dans toute population, peut varier. Certaines familles peuvent faire face à des difficultés économiques ou sociales, ce qui peut influencer les opportunités offertes aux enfants. Cependant, il serait réducteur de supposer que ces enfants n’ont pas d’avenir prometteur, car de nombreux facteurs, tels que le soutien communautaire, les programmes éducatifs ou la résilience individuelle, jouent un rôle crucial dans leur développement.
Par ailleurs, bien que certains quartiers puissent connaitre des défis liés à la violence ou au trafic de drogue, ces phénomènes ne définissent pas l’ensemble de la communauté. Ils sont souvent le résultat de facteurs structurels complexes, tels que l’exclusion sociale, le manque d’investissements publics ou les inégalités économiques. Il est essentiel d’éviter les généralisations et de reconnaitre les efforts des habitants et des acteurs locaux pour améliorer leur cadre de vie. »
Cette reformulation, pensée comme une proposition, apparait comme une base plus viable pour réécrire le texte d’une manière plus personnelle.
Un exercice complémentaire pour les élèves pourrait d’ailleurs être de faire effectuer ces tâches par plusieurs générateurs, comme Deepseek, Gemini, Claude, et les autres.
Le recours à des auteurs, comme le sociologue Éric Marlière, par exemple, va nous permettre d’établir des connexions logiques argumentées. Attention toutefois, l’IA n’est pas encore capable d’aller chercher des citations directement dans un livre et d’en donner la pagination. Son générateur va « inventer » de vraies-fausses citations en faisant la synthèse de la production d’un auteur disponible sur internet. Voilà une autre limite à l’exercice, qui nécessite de reprendre le contrôle du texte et d’appuyer l’argumentation par de véritables citations.
Un exemple :
« Dans ce grand ensemble, la diversité des trajectoires familiales et sociales est une réalité souvent occultée par les représentations médiatiques. On y trouve des familles monoparentales, recomposées ou élargies, où les liens intergénérationnels jouent un rôle central. Les difficultés économiques peuvent peser sur les parcours scolaires et professionnels des jeunes, mais elles ne condamnent pas nécessairement à l’échec : « Les jeunes des cités ne sont pas simplement des “exclus”, ils développent des stratégies d’intégration qui passent par des formes de socialisation spécifiques » (Marlière, 20052). »
Le passage dans le logiciel antiplagiat Compilatio nous indique 23 % de citations, sans pouvoir vérifier si elles sont correctes. On entrevoit la limite actuelle du recours à l’IA lorsqu’il s’agit de générer du texte. Dans le cadre universitaire, le travail des étudiants est primordial et ne doit pas être remplacé par une génération artificielle, qui plus est, fausse.
L’utilisation d’un modèle d’IA comme support de travail d’aide à l’écriture doit rester confinée dans les limites du soutien à la correction du texte, plutôt que du style. L’aide à la reformulation ne doit pas devenir une pratique courante au point de compromettre l’individualité de chacun dans sa compréhension et sa production littéraire. Jouons cartes sur table, et aidons les étudiants à améliorer leurs performances avec la fierté d’avoir réussi moyennant l’usage du « dictionnaire » de notre temps.
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