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« Tolérance zéro » : une erreur pédagogique
L’erreur et son traitement suscitent des débats profonds dans les pratiques pédagogiques quotidiennes, de la maternelle à l’université. À l’heure où l’école durcit son approche disciplinaire, l’erreur de comportement, les écarts de conduite des élèves, loin d’être de simples fautes à sanctionner, peuvent être un levier d’apprentissage. À condition qu’il s’inscrive dans une relation collaborative entre enseignants et personnel de vie scolaire.Le 17 octobre 2023, Gabriel Attal affirmait devant l’Assemblée nationale vouloir en finir avec la bienveillance et appliquer une logique de « tolérance zéro » à l’école. Ce discours s’inscrit dans une logique de surenchère médiatique, comme les groupes de niveau, l’entrée en 2de conditionnée par l’obtention du brevet ou le port de l’uniforme. Notre école serait trop « bienveillante » ou trop « laxiste », les adultes refuseraient de punir pour des raisons idéologiques (la bienveillance associée au « pédagogisme » et au laisser-aller hérités de Mai 68).
Pour sortir de cet « angélisme », il faudrait plus de punitions, plus d’exclusions, abandonner notre regard naïf sur ces élèves qui remettent en cause l’autorité des adultes et par là, celle de notre République. Cette approche se retrouve dans l’avis du conseil supérieur des programmes, qui souhaite recentrer les missions des CPE sur le respect du règlement intérieur, ou dans la demande de fouiller les sacs des élèves à l’entrée de leurs établissements.
Le risque est alors de ne plus considérer les transgressions comme des « erreurs » de comportement qui devraient nous renseigner sur les difficultés des élèves pour mieux les accompagner, mais comme des « fautes » de coupables dont il faut se protéger.
Cette droitisation du discours se situe dans le contexte d’une école dégradée à l’extrême : les conflits s’y multiplient, en particulier autour des punitions1. Tension entre les enseignants et le personnel de vie scolaire, les premiers accusés de se débarrasser trop facilement de leurs élèves, les seconds de complicité avec les perturbateurs. Tension avec les personnels de direction, soupçonnés d’alimenter le « pas de vague » pour préserver l’image de leurs établissements. Tension entre les enseignants, incapables de se mettre d’accord sur comment et pourquoi punir. Cette dégradation des conditions de travail débouche nécessairement sur une logique de tri et d’exclusion.
L’application du régime disciplinaire dans les écoles françaises est un sujet important qui mérite réflexion et débat, mais le bruit médiatique nous empêche de penser et d’agir. En refermant la problématique sur plus de punition, on s’empêche de s’interroger sur comment mieux punir. Mais la punition est malheureusement peu ou pas réfléchie. Elle n’est pas réellement traitée par notre hiérarchie, sinon pour culpabiliser les enseignants. Elle n’est pas abordée pendant la formation initiale ou continue.
Le jugement très partagé sur l’indiscipline des élèves, à la fois par les médias, les politiques, mais aussi par certains collègues reste du niveau de la discussion de comptoir. C’est ce qui permet de proposer un durcissement du régime disciplinaire inédit sans jamais prendre en compte la réalité du terrain.
Pourtant, les travaux de la recherche ont stabilisé des connaissances qu’il est nécessaire de rappeler. On demande plus de punitions alors que l’école française punit déjà beaucoup et très sévèrement2. On demande plus d’exclusions alors que les comparaisons internationales montrent que la France fait partie des pays où l’on exclut le plus. On sait aussi que les enseignants français, tout en punissant beaucoup et très sévèrement, jugent ces punitions inefficaces (plus que leurs voisins) et que nos élèves jugent ces punitions injustes (là aussi, plus que leurs voisins)3.
Les travaux menés sur les politiques de « tolérance zéro », poussés très loin dans le nord de l’Amérique, montrent qu’elles n’améliorent pas le climat scolaire, auraient même tendance à le dégrader, participent à augmenter la violence et à accentuer le décrochage des plus fragiles. On parle d’un « pipeline » de l’école à la prison4. On sait enfin que l’exercice punitif est marqué par des biais psychosociaux racistes : les enseignants perçoivent les élèves racisés comme plus âgés qu’ils ne le sont réellement, donc plus dangereux et donc les punissent plus que les autres.
Les travaux d’Eirick Prairat5 constituent un repère précieux pour penser la sanction et l’autorité à l’école. On peut pointer trois logiques de sens commun très répandues dans l’application de la punition scolaire : la logique expiatrice, la logique comportementaliste et la logique de l’exemple. Si un élève est responsable d’indiscipline, il a causé un mal, une douleur, au moins symbolique, à l’adulte, à d’autres élèves, à la communauté scolaire. Il lui faudrait expier. Pour cela, il doit subir une douleur équivalente à celle qu’il a provoquée : c’est comme cela qu’elle effacera la faute.
Quand une alternative au tout punitif est proposée, les adultes la considèrent souvent comme trop « gentille » : l’élève n’est pas puni pour s’amuser ! Cette logique s’articule très bien avec la logique comportementaliste : en imposant une réponse douloureuse à l’élève qui a transgressé, on pense que la prochaine fois, il anticipera la réponse et y regardera à deux fois avant de transgresser. Là où l’enfant se brule, il ne remettra plus le doigt.
Enfin, ces logiques s’articulent avec celle de l’exemple : en exposant au groupe la douleur subie par le fautif, on intimide tous les autres, ce qui prévient les mauvais comportements. Cette conception de l’autorité passe par la peur, la soumission et le rapport de force. Elle est à l’origine des sentiments d’injustice, dégrade la qualité de la relation d’éducation, construit des carrières de défiance et de rébellion contre l’adulte. L’exclusion prend une place centrale dans ce système, en contradiction avec la perspective d’une école inclusive.
Le paradoxe, c’est que cette inflation ne satisfait personne et que l’on continue d’exclure ou de mettre en retenue des élèves en sachant que tout cela ne va pas améliorer le comportement des punis. Pour dépasser cette approche purement idéologique, il faut se recentrer sur notre mission éducative.
Lorsque l’on punit un élève, c’est d’abord pour qu’il apprenne comment se comporter à l’école et en classe, mais c’est surtout pour participer à sa construction, à son autonomisation ou même, osons le mot, à son éducation citoyenne. Pour cela, il est fondamental de considérer les transgressions comme des erreurs qui peuvent devenir des leviers pour apprendre aux élèves les normes et les règles scolaires et sociales. Il faut se rappeler de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui affirme le droit à faire ou à dire des bêtises.
Cela signifie que les élèves ont le droit à l’erreur, aussi bien dans leur comportement que dans leurs productions. Lorsqu’un élève perturbe un cours, il nous empêche de faire notre travail et il empêche ses camarades d’apprendre. Mais pourquoi se comporte-t-il ainsi ? Peut-être ne possède-t-il pas les clés pour suivre les règles, peut-être qu’il ne sait pas comment se comporter. Cela peut aussi être un signal adressé à l’adulte, pour qu’on s’occupe de lui ou encore une provocation adolescente, la réaction de colère d’un élève blessé par l’école.
Comme l’affirme Eirick Prairat, « la transgression participe sous certaines conditions à la construction du sujet politique, comme l’erreur reconnue et comprise participe au développement intellectuel du sujet cognitif ». Postuler la responsabilité d’élèves en construction, c’est se projeter dans l’accompagnement d’un sujet libre et autonome, capable d’assumer les conséquences de ses actes, mais en gardant à l’esprit que l’enfant n’est pas encore réellement responsable, puisque c’est un enfant.
On sanctionne un enfant en faisant « comme si » : pour l’inscrire dans une projection inclusive et chercher par le signal symbolique qui lui est adressé à le ramener dans la communauté scolaire et au-delà, dans la communauté humaine. Nous devons pour cela sortir de l’injonction stérile et infantilisante à plus punir, et nous préoccuper collectivement de comment mieux punir.
S’il n’existe pas de recette « miracle », quelques pistes méritent d’être exploitées.
D’abord, il faut se saisir collectivement de la question. Aujourd’hui, personne n’est d’accord sur la sanction : nous devons en débattre démocratiquement dans les établissements. Les règles de vie sont implicites et tous les élèves ne les maitrisent pas à priori : elles doivent faire l’objet d’un apprentissage, tout au cours de la scolarité et en particulier à l’occasion des changements clés (école-collège, collège-lycée).
Ensuite, personne n’est satisfait des punitions que nous utilisons : nous devons être créatifs, pas pour nous débarrasser de gêneurs, mais pour apprendre quelque chose à ces élèves et, par là, espérer modifier leur comportement aujourd’hui et pour le futur. Les pratiques alternatives sont multiples et d’une richesse extrême. Certains collègues s’en saisissent et les expérimentent : tribunaux ou conseil d’enfants, mesures de réparation ou de responsabilisation, médiation par les pairs, ou entre adultes et élèves.
Le travail entre les enseignants et la vie scolaire ne peut plus être un travail de sous-traitance, mais doit devenir un travail de collaboration. Lorsqu’on en vient à punir un élève, c’est que quelque chose a été rompu dans la relation. La sanction doit permettre de réparer et si les CPE ne peuvent pas réparer pour les autres, ils peuvent participer en médiateurs à cette démarche. Cela signifie qu’une sanction éducative doit être l’occasion de comprendre ce qui ne va pas entre l’adulte et l’adolescent (des deux côtés de la relation) et ce qui empêche l’élève de participer à la vie du groupe, et pour lui confirmer qu’il fait toujours partie de ce groupe.
Changer notre pratique de la punition nécessite enfin d’améliorer les conditions de travail et faire confiance aux professionnels de l’éducation. C’est à ce titre que nous pourrons participer à construire un climat d’apprentissage serein et une autorité éducative fondée sur une relation de respect réciproque entre les adultes et les élèves.
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Ose !, par Virginie Charayron-Pays (accès payant)
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- Éric Debarbieux et Benjamin Moignard, À l’école de la défiance, Enquête nationale de climat et d’expérience scolaire dans le second degré, L’autonome de solidarité laïque, 2022.
- Éric Debarbieux (dir.), L’impasse de la punition à l’école. Des solutions alternatives en classe, Armand Colin, 2018.
- Denis Meuret, « La mauvaise discipline dans les classes françaises et quelques autres résultats de PISA 2015 », Les Notes du conseil scientifique de la FCPE n° 2, mars 2017.
- Russell J. Skiba, « The Failure of Zero Tolerance », Reclaiming Children and Youth vol. 22, n° 4, 2014, p. 27-33.
- Eirick Prairat, La sanction en éducation, 4e édition mise à jour, coll. Que sais-je ?, Puf, 2021.


