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Les erreurs, des intermédiaires entre élèves, enseignants et parents

L’erreur considérée comme faute est inscrite dans la pédagogie française de longue date et fait partie de notre quotidien très tôt. La représentation qu’en ont les parents d’élèves peut être source de pression et d’angoisse pour les enfants, et, finalement, influer sur les pratiques des enseignants. L’erreur peut être un intermédiaire très utile entre toutes les personnes engagées dans le processus d’apprentissage.

« Certains élèves pleurent presque mais ça c’est la pression à la maison. T’as des parents qui veulent zéro faute, le cahier doit être parfait. » Ce verbatim, enregistré pendant un entretien avec une enseignante, caractérise les représentations des erreurs des élèves par leurs parents et les effets sur l’enfant, à l’école. Dans cet article, nous proposons de comprendre comment l’erreur est appréhendée par des parents et des élèves et comment des enseignants stagiaires et des enseignants tiennent compte de ces représentations dans leur pratique.

Ma recherche1 a pour visée de comprendre comment les stagiaires et les enseignants traitent les erreurs des élèves en action, en classe. J’ai, pour cela, combiné les méthodes qualitatives et quantitatives. Pendant les entretiens, les stagiaires et les enseignants ont évoqué, entre autres, les représentations des erreurs des élèves par des parents et les effets de ces représentations sur leur pratique enseignante.

Onze séances menées par sept stagiaires ont été enregistrées, suivies d’un entretien semi-directif enregistré et quatorze séances menées par huit enseignants ont été filmées et suivies d’un entretien d’autoconfrontation2.

Je précise, d’après les observations en classes et les propos recueillis en entretiens et retranscrits, les représentations des erreurs des élèves par des parents, les effets sur les pratiques des stagiaires et des enseignants et comment des enseignants mobilisent ces erreurs en tant qu’intermédiaires constructifs entre eux, les élèves et les parents, pour développer les apprentissages.

Représentations négatives

Les représentations des erreurs des élèves par les parents sont identifiées dans les propos tenus par les élèves en classe et les expériences vécues, et citées en entretiens par les stagiaires et les enseignants, quand ils ont rencontré les parents des élèves.

Des parents associent l’erreur à la notion de faute, sanctionnable. Une enseignante énonce que « L’erreur c’est culturel […] quand [elle] était enfant […] on était sanctionné à l’école, sanctionné à la maison […] les enfants le vivent encore comme ça à la maison […] quand les parents les suivent. »

L’erreur est perçue de manière négative, hors du processus d’apprentissage, et comme un échec.

Une autre enseignante précise que les parents ne « comprennent pas que leur enfant puisse faire des fautes quand il apprend […] ils attendent des notes et des bonnes ».

Une stagiaire évoque, en fin d’entretien, une réunion avec des parents dont l’enfant a eu des erreurs dans le cahier du jour, ils « râlent [car] leur enfant n’a pas réussi, et ils viennent demander pourquoi ». La suite des propos formulés par la stagiaire donne alors un sens différent à la pratique enseignante et à la situation que j’avais observée et interprétée comme la réalisation de deux exercices.

Effets sur les pratiques enseignantes

Les élèves de CP/CE1 ont effectué, en géométrie, un exercice sur feuille ramassée, puis un exercice sur feuille collée dans un cahier. Pendant ces deux activités, la stagiaire gomme les erreurs des élèves et effectue le travail à leur place. En fin d’entretien, elle précise que le deuxième exercice est une évaluation. Elle a effacé les traces des erreurs et notera « R3 avec aide » pour que les parents ne reviennent pas la questionner, « c’est difficile pour [elle]d’expliquer, [elle] panique tout de suite ».

D’autres stagiaires effacent les traces des erreurs des élèves. Des stagiaires et des enseignantes ne traitent pas les erreurs en classe, elles évoquent leurs connaissances disciplinaires lacunaires, leur vécu d’élève, et si elles constatent « trop d’erreurs, [elles] recommencent avec les élèves pour qu’ils réussissent dans les cahiers qui seront signés par les parents ».

Les élèves, « angoissés », craignent l’erreur et ses conséquences, ils baissent la tête, serrent les poings, ne répondent pas, n’écrivent pas ou sont moqués par des élèves qui ont compris. Dans les séances observées, les stagiaires et les enseignants n’ont pas stigmatisé les élèves ayant fait des erreurs.

Sept enseignants ont pris en compte les élèves angoissés. Ils ont modifié l’intonation de leur voix pour parler plus doucement, se sont rapprochés des élèves, ont parfois plaisanté et utilisé des mimiques, comme le sourire, pour rassurer l’élève. Quatre enseignants ont considéré les erreurs des élèves en préparant leur séance et un enseignant remplaçant a modifié la séance prévue par l’enseignante après avoir constaté les erreurs des élèves. L’erreur, « un outil pour enseigner »4 peut être un « outil fondamental de guidage pour organiser objectifs, démarches, dispositifs et situations pédagogicodidactiques  »5 et un intermédiaire constructif avec les parents.

Des intermédiaires constructifs

Deux enseignantes ont effectué un travail avec les élèves, en éducation morale et civique, pour dédramatiser l’erreur, même à la maison, respecter celle ou celui qui fait une erreur et pour comprendre que l’« on apprend, on découvre […] on essaie, on fait des erreurs ».

Deux enseignantes qui traitent les erreurs des élèves en groupe, en français et en mathématiques, précisent que « l’erreur fait partie de l’apprentissage » et illustrent leurs propos en faisant des liens entre des situations scolaires et familiales.

Un enseignant met en place, en orthographe et plus particulièrement en dictée préparée, un système de calculs de pourcentages de mots écrits avec l’orthographe attendue. Les élèves de CM1 ont « des pourcentages dans le cahier, simples à calculer[…] ils ont un code de correction6, des ressources, des outils pour chercher en classe et à la maison et ils font l’autocorrection en classe […] Ils adorent, ils veulent obtenir le cent pour cent […] et ils font des progrès. »

Les erreurs sont traitées pendant la semaine par les élèves à l’école et s’ils le souhaitent, à la maison. L’enseignant retient dans les statistiques les réussites des élèves.

Extrait du tableau de statistiques des erreurs et réussites des élèves réalisé par l’enseignant.

Il rencontre une fois par trimestre les élèves en difficulté et leurs parents. Il « tient les statistiques et dit aux parents les progrès faits par leur enfant […] c’est concret ». Les réunions avec les parents et les élèves sont des « occasions d’apprendre »7, elles servent de bilan et engagent les parents à s’intéresser au travail de leur enfant. Les savoirs sont construits dans et hors l’école, avec et pour les élèves et les parents.

Constats et pistes

Ces résultats de recherche montrent que l’erreur est confondue avec la faute. Elle est caractérisée par des connotations négatives par des parents, ce qui peut affecter les élèves et influer sur les pratiques enseignantes.Dans les séances que nous avons observées, les stagiaires n’ont pas pris en considération les erreurs des élèves, et leur traitement, dans les préparations des séances. Elles ont été déstabilisées, en action, pour traiter les erreurs et ont été en difficulté pour répondre aux questions des parents concernant les erreurs de leur enfant.

Les enseignants ont montré de l’empathie pour les élèves angoissés par les erreurs, et quatre enseignants ont préparé le dispositif didactique en prenant en considération les erreurs et en les mobilisant comme intermédiaires constructifs avec les parents.

Rappelons que notre étude ne concerne pas les représentations des erreurs des élèves par les parents. Ce sujet est apparu dans les entretiens avec les participants à notre recherche et la manière dont les erreurs des élèves ont été présentées aux parents n’a pas été observée. Les propos des parents sont rapportés, hors contexte, par les stagiaires et les enseignants, dont la part de subjectivité est à considérer.

L’analyse des données permet, pour autant, d’appréhender plus finement les rapports entre les erreurs, les élèves, les stagiaires, les enseignants et les parents. L’erreur peut être un intermédiaire permettant de construire des savoirs en associant les parents, pour cela, le paradigme de l’erreur pour apprendre, enseigner et former, est à développer.

Karine François
Professeure des écoles, chercheuse en sciences de l’éducation et de la formation associée au Cérep (Centre d’études et de recherches sur les emplois et les professionnalisations), université de Reims Champagne-Ardenne

Photo : Karine François.


Sur notre librairie :

N°494 – L’erreur pour apprendre

De la simple bévue à l’incompréhension manifeste qui se répète et qui persiste, l’erreur questionne et interpelle. Qui n’a pas connu le découragement en corrigeant des copies étalant les failles de l’enseignement ? Ce dossier se voudrait le dossier des ajustements, de ce qui permet de comprendre, d’éviter, d’utiliser l’erreur.


Notes
  1. Karine François, Les traitements des erreurs des élèves par les enseignants fonctionnaires stagiaires et les enseignants en situation d’enseignement-apprentissage contextualisée en classes du premier degré, thèse de doctorat, université Reims-Champagne-Ardenne, 2022.
  2. Dans ce type d’entretien, le participant à la recherche « […] est mis, grâce à l’enregistrement vidéo [de son activité], en position de développer sa réflexion située sur son activité […] ». Jacques Theureau, « Les entretiens d’autoconfrontation et de remise en situation par les traces matérielles et le programme de recherche « cours d’action » », Revue d’Anthropologie des connaissances, vol.4 n°2, 2010, p. 287-322. DOI 103917/rac.010.0287
  3. R=Réussi.
  4. Jean-Pierre Astolfi, L’erreur, un outil pour enseigner, ESF, 1997.
  5. Yves Reuter, Panser l’erreur à l’école. De l’erreur au dysfonctionnement, Presses universitaires du Septentrion, 2013.
  6. Le code de correction est une typologie d’erreurs : C = erreur de conjugaison, H = erreur d’homophone…
  7. Jean-Marc Paragot, « Les occasions d’apprendre un geste professionnel d’aujourd’hui », dans Muriel Frisch (dir.), Émergences en didactiques pour les métiers de l’humain, L’Harmattan, 2016, p.97-112.