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Apprendre en situation de travail, oui, mais comment ?

Couverture du numéro 600, « 4 pistes pour l’école du futur »

Logo de l’IFE (Institut français de l’éducation)La multiplication des périodes d’immersion des élèves, étudiants et étudiantes dans le « monde du travail », à la faveur du développement de l’alternance ou de la création du stage d’observation en 2de, pose aux enseignantes et aux enseignants la question de l’utilité de ces dispositifs : quelle est la nature des apprentissages effectués par les élèves durant ces périodes ?

Et si, plutôt que de se demander ce qu’on apprend en situation de travail, on se demandait : comment est-ce qu’on apprend en situation de travail ? En effet, le simple fait d’être « immergé » dans un milieu professionnel n’agit pas par imprégnation sur les jeunes qui se trouvent « plongés » dans cette situation. Derrière l’apprentissage « sur le tas » se cache souvent une forme de médiation au travail plus ou moins formelle.

L’une des différences entre apprendre à l’école et en situation de travail réside dans le fait qu’à l’école, l’activité est orientée vers l’apprentissage, alors qu’en situation de travail, l’apprentissage est une incidence de l’activité, mais n’en est pas le but. Pour autant, « aussitôt qu’il y a activité, il y a apprentissage1 ».

Activité, Interactions, Environnement de travail

En effet, toute activité comporte deux dimensions. D’une part, la dimension productive correspond au but même de l’activité réalisée : ce qu’elle transforme dans le monde réel (par exemple : changer le moteur d’une voiture, préparer un cours). D’autre part, la dimension constructive renvoie à l’idée qu’à travers la réalisation même de cette activité, la personne qui la réalise se transforme2. Ainsi, réaliser une activité de travail est, en soi, porteur d’apprentissages.

Au-delà de la réalisation d’activités, les différentes inter­actions que les novices ont en situation de travail sont déterminantes pour leur apprentissage, qu’elles aient lieu de façon formelle dans le cadre du tutorat, ou dans d’autres contextes avec différents interlocuteurs professionnels.

Ainsi, les échanges autour des tâches réalisées ou observées vont permettre de guider l’action et la compréhension de la personne qui apprend. Ces interactions créent des espaces de développement et peuvent avoir plusieurs fonctions : guider et orienter l’activité, l’évaluer ou la valider3. Les interactions ne reposent pas uniquement sur l’action des personnes expertes, mais sont « coconstruites » avec les apprenants selon la façon dont eux-mêmes se positionnent et participent à l’interaction4.

L’environnement professionnel constitue un autre déterminant majeur des apprentissages qui vont pouvoir (ou non) avoir lieu. Certains environnements fournissent de nombreuses opportunités d’apprentissage (organisation de l’accueil, accès ou participation à des activités, ressources à disposition, dispositifs d’accompagnement, etc.), tandis que d’autres en fournissent peu, voire pas du tout5.

Mais l’environnement ne fait pas tout. En effet, en regard de ces opportunités, l’engagement de la personne apprenante dans ces situations, pour saisir ces offres d’apprentissage, est également déterminant pour son développement6. Ainsi, c’est dans la rencontre entre des facteurs organisationnels et individuels que se joue un potentiel apprentissage en situation de travail.

Outiller l’immersion ?

Comprendre comment on apprend en situation de travail peut contribuer à outiller les temps d’immersion en milieu professionnel de plus en plus présents dans les parcours scolaires et universitaires. Ces éléments de repère peuvent faciliter une entrée dans le dialogue avec les différentes parties prenantes sur les objectifs de ces périodes et les modalités qui créeront des opportunités d’apprentissage. Il s’agit de pouvoir préparer les élèves à s’engager pendant leur immersion, mais aussi de permettre aux professionnels qui les accueillent d’identifier les situations auxquelles pourront participer (ou observer) les élèves et les interactions qui pourront avoir lieu.

Enfin, par incidence, ces mêmes éléments pourraient également outiller l’accueil de jeunes collègues enseignants — notre environnement fournit-il des opportunités pour pouvoir développer sa pratique ? — ou bien une mission de tutorat — quels espaces d’interaction offrir ? — dont le rôle est justement d’accompagner et guider dans l’apprentissage en situation de travail, dans le monde professionnel qu’est l’école.

Marine Pelé-Peycelon
Chargée de médiation scientifique, équipe Veille et analyses de l’IFÉ-ENS

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Couverture du numéro 600, « 4 pistes pour l’école du futur »

 


Notes
  1. Pierre Pastré, « Apprendre à faire », dans Étienne Bourgeois et Gaëtane Chapelle, Apprendre et faire apprendre, PUF, 2006.
  2. Renan Samurçay et Pierre Rabardel, « Modèles pour l’analyse de l’activité et des compétences : propositions », dans Renan Samurçay et Pierre Pastré, Recherches en didactique professionnelle, Octarès, 2004, p. 163-180.
  3. Patrick Mayen, « Interactions tutorales au travail et négociations formatives », Recherche & Formation n° 35(1), 2000, p. 59–73.
  4. Laurent Filliettaz, chapitre 5 « Interactions langagières et apprentissage au travail  », dans Apprendre au travail, PUF, 2012, p. 87-98.
  5. Alison Fuller et Lorna Unwin, « Fostering Workplace Learning : Looking through the Lens of Apprenticeship », European Educational Research Journal 2(1), 2003, p. 41-55.
  6. Stephen Billett, « Modalités de participation au travail : la dualité constitutive de l’apprentissage par le travail », dans Marc Durand et Laurent Filliettaz (dir.), Travail et formation des adultes, PUF, 2009. Voir aussi : Laure Endrizzi, « Le développement de compétences en milieu professionnel », Dossier de Veille de l’IFÉ n° 103, 2015.