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La mixité à l’école et ses enjeux : résistances et perspectives
Malgré les nombreuses mesures politiques qui, de longue date, ont tenté de la traiter de différentes façons, la problématique des mixités en milieu scolaire perdure en France. Faisant l’objet de nombreuses résistances dont les fondements sont souvent multifactoriels, nous sommes même en droit de penser qu’elle s’aggrave au fil du temps.
Ces résistances – d’ordre politique en premier lieu, tant au niveau national que local, mais sans aucun doute également d’ordre institutionnel – se nourrissent des idéologies orchestrées et véhiculées au sein de différentes représentations partisanes, de lobbys qui gravitent autour de l’école, ou des forces syndicales les plus conservatrices.
Hélas, les ébauches de réponse se sont souvent évaporées du fait des alternances qui scandent la vie politique de notre pays. Aucune concorde nationale n’apparait à l’horizon tant le sujet s’avère clivant. Et pourtant, les constats sont récurrents…
Sans aucune volonté de provocation ou d’esprit polémique, nous ne pouvons passer sous silence les résistances qui découlent des représentations et des routines au sein des équipes des établissements, s’agissant notamment des modalités d’organisation des enseignements. Il en va ainsi de la constitution des classes et des divisions, de la gestion des emplois du temps. De même, s’agissant des personnels enseignants, il s’avère difficile pour eux de s’inscrire dans des démarches collectives de formation visant à partager, à l’échelle de leur établissement, expérimentations et innovations.
Serait-ce par crainte de s’engager dans l’inconnu, de remettre en question des pratiques existantes ou par manque d’ambition ? En tout cas, tout se passe comme si une insécurité psychologique et professionnelle liée au changement pouvait paralyser toute velléité, individuelle ou collective de sortir d’un conservatisme rassurant.
N’oublions pas non plus la tendance à vouloir externaliser les difficultés rencontrées par ou avec certains élèves, sans assumer véritablement la part de responsabilité qui incombe à chaque membre de la communauté scolaire, quels que soient le rôle et la fonction des différents acteurs. Or, autant que faire se peut, l’école doit pouvoir afficher sa volonté d’être son propre recours.
Enfin, nous ne devons pas ignorer les résistances des usagers, qui se sont mués bien souvent au fil des ans en consommateurs, éclairés ou non, soucieux de préserver pour leur progéniture des espaces où l’entresoi constitue à leurs yeux une garantie de protection et de réussite.
Elles agissent insidieusement sur la classe politique dans son ensemble, car il s’agit aussi d’électeurs. Ce qui nous renvoie à la question de la diversité et de l’hétérogénéité des publics scolaires. Une calamité dans certaines représentations mais une chance pour tous dans les faits, pour peu que les professionnels concernés disposent des compétences pour les gérer. Un clivage de plus, en somme !
Que pouvons-nous espérer voir significativement évoluer à court et moyen termes ?
Sans attendre le grand soir, seules les actions engagées au niveau local, celui de l’établissement en premier lieu, mais également à l’échelle des différentes entités territoriales, peuvent tenter de construire en partenariat une réponse adaptée aux réalités des différents contextes. Le centralisme étatique, de par sa verticalité et son unicité de traitement, ne sera sans doute jamais en capacité d’apporter les réponses pertinentes liées à la diversité et à la complexité de toutes les situations. Différents niveaux de réponse (structurel, fonctionnel et pédagogique) peuvent être envisagés de manière complémentaire.
La dimension structurelle est, sans aucun doute, la plus déterminante mais également la plus complexe à prendre en compte, car elle renvoie à l’organisation politique et administrative de notre système éducatif centralisé, auquel contribuent, pour partie, les exécutifs des pouvoirs locaux.
On pourrait, par exemple, mieux agir sur le paramètre résidentiel de la ségrégation ou encore sur la sectorisation des établissements, en y intégrant systématiquement l’enseignement privé sous contrat.
Ainsi, nous préconisons de revisiter totalement la politique de la Ville et ses déclinaisons locales. Pour ce faire, il conviendrait dans un premier temps de sortir des politiques de zonage prioritaire tout en réduisant les stratégies ségrégatives conçues et mises en œuvre au sein des établissements. Mais de telles mesures nécessitent d’être soutenues par un projet politique dépassant les clivages habituels ou les postures politiciennes qui trop souvent inspirent nos instances représentatives.
Il serait également sans doute préférable de mettre en œuvre une gestion plus ferme et mieux éclairée des demandes de dérogations, accompagnée d’une parole politique claire qui passe outre les sollicitations des familles les plus enclines à éviter la mixité scolaire. Encore faudrait-il que les directions académiques (rectorats et services départementaux) se conforment bien aux instructions reçues…
Peut-être plus pragmatiques, bien qu’elles requièrent de leurs responsables imagination et volontarisme, les perspectives d’ordre fonctionnel contribueraient très certainement à renforcer les stratégies de mixité scolaire.
L’organisation pédagogique des établissements en est un exemple. La constitution des classes et divisions est de la seule responsabilité du chef d’établissement après consultation des équipes professorales.
La structuration de la scolarité obligatoire étant, encore à ce jour, conçue comme une suite de cycles d’apprentissage de trois années, rien n’empêcherait, par exemple, d’opter pour des classes ou divisions regroupant les élèves d’un même cycle dans leur diversité et leur complémentarité, comme dans les classes multiniveaux en primaire. Leur parcours s’en trouverait indéniablement fluidifié et surtout sans discontinuité, notamment au cycle 3 qui enjambe l’école et le collège, générant trop souvent d’inutiles ruptures et changements qui affectent particulièrement les élèves les plus fragiles.
La composition des équipes professorales constitue un autre aspect, et non des moindres, de cette organisation. Rompant avec les modalités en usage, leur recrutement par les chefs d’établissements (premier comme second degrés) serait de nature à favoriser une forme plus adaptée et opérationnelle de mixité (d’âge, de genre, d’expériences antérieures, de trajectoires professionnelles, de formation, etc.) et une meilleure collaboration, notamment au sein d’un même cycle.
À cet égard, afin de mieux assurer le passage d’un professeur unique à l’école à dix professeurs dès le collège, nous préconisons de confier à un seul professeur l’encadrement de la classe tout au long du cycle 3 et de poursuivre au cycle 4 avec une équipe resserrée de cinq professeurs.
Par exemple, un même professeur plurivalent pourrait enseigner les mathématiques, la physique-chimie, les SVT et la technologie, ou bien les lettres, l’histoire, la géographie et l’enseignement moral et civique. De la même façon, on pourrait imaginer que l’enseignement de l’ensemble des langues vivantes étrangères ou régionales soit confié à un même professeur. L’éducation musicale, les arts plastiques et l’histoire des arts se verraient également regroupés, ainsi que l’éducation physique et sportive avec les éducations à la santé et à la sexualité, sans qu’en soient affectés les attendus.
Bien qu’en l’état actuel des ressources et des compétences, un tel projet puisse paraitre utopique, il n’en demeure pas moins que seule une volonté politique affirmée et pérenne permettrait de le promouvoir.
Cette nouvelle répartition des missions offrirait à l’évidence aux enseignants une meilleure connaissance des élèves et favoriserait également les transferts de compétences académiques ainsi que transversales entre les différents champs disciplinaires enseignés. Une telle perspective doit impérativement réinterroger le recrutement comme la formation initiale et continue, en étroite relation avec les laboratoires de recherche en éducation.
Compte tenu de l’enjeu majeur que constitue la mixité au sein de nos établissements, toutes ces perspectives plus ou moins audacieuses et réalisables à moyen ou long terme, selon la nature des choix retenus, doivent faire l’objet d’évaluations régulières afin de mesurer le degré d’atteinte des objectifs poursuivis. La question de l’orientation des élèves en fin de 3e – encore très marquée par de fortes disparités sociales et scolaires comme en témoigne le dernier rapport de la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’Éducation nationale) sur ce sujet1 – pourrait, à cet égard, constituer un indicateur d’évolution.
La succession de cinq ministres de l’Éducation en quelques mois rue de Grenelle a sans doute brouillé le décodage des mesures annoncées par Gabriel Attal alors qu’il était en charge de ce ministère. Dès lors, quel est donc l’héritage que doit assumer sa successeuse, Élisabeth Borne ? Quelles sont ses marges de manœuvre ? Peut-elle remettre en cause les choix politiques de ce prédécesseur ? Ce sont autant de questions légitimes qui déterminent l’analyse des perspectives en cours.
Si nous revenons par exemple sur les annonces emblématiques du « choc des savoirs », visant à créer des groupes de niveaux devenus groupes de besoin en français et en mathématiques au collège, par-delà l’ignorance des acquis de la recherche en ce domaine2, chacun est en droit de questionner le point de vue de la nouvelle ministre et les suites qu’elle compte donner à ce choix stratégique en matière éducative et pédagogique.
Outre la difficulté de mise en œuvre, le choix d’un remède prescriptif et unilatéral s’appliquant sur tout le territoire hexagonal et ultramarin reflète une fois de plus une méconnaissance coupable de l’extrême hétérogénéité des situations et des contextes.
Face à cette vision jacobine et à cette conception verticale tout à la fois infantilisante et hors-sol, nous privilégions une autonomie et une responsabilisation accrues des acteurs locaux avec un objectif clair et non négociable : celui de l’équité et de l’efficacité des modalités de travail retenues au sein des établissements.
S’il peut paraitre en effet pertinent de concevoir des groupes de besoin ou de compétences non permanents dans leur composition et modulables dans le temps, il ne faudrait pas qu’ils se muent progressivement en filières à caractère hiérarchisé. Celles-ci seraient en effet porteuses de ségrégation stigmatisante et démobilisatrice pour les élèves qui seraient affectés dans ces groupes.
La mixité du corps enseignant et des personnels éducatifs ne peut échapper aux réflexions portant sur d’indispensables mesures d’ordre systémique. Qu’il s’agisse de l’origine sociale ou du genre, il y a matière à entreprendre la recherche d’améliorations.
À cet égard, le recrutement et la formation initiale, tels qu’ils ont été envisagés avec la création des « écoles normales du XXIe siècle3 » peuvent apparaitre comme pertinents, à condition que le pré-recrutement au niveau du baccalauréat inaugure une formation universitaire et professionnalisante jusqu’au master, les lauréats bénéficiant alors d’un accompagnement financier. Celui-ci faciliterait l’accès aux métiers de l’éducation de jeunes de condition modeste sur le modèle des écoles normales d’autrefois.
Assortie d’une revalorisation salariale à la hauteur des meilleurs standards européens, cette mesure pourrait aussi laisser espérer pour les personnels un rééquilibrage des genres. Il semble en effet impératif, dans un contexte social où la proportion de familles monoparentales s’accroit4, que les enfants puissent rencontrer davantage de figures masculines pendant leur parcours scolaire.
Un principe majeur devrait en permanence guider les choix inhérents au traitement des difficultés que rencontrent certains élèves dans la réussite de leurs apprentissages : préférer toujours le préventif au curatif dans la conception et la mise en œuvre d’un environnement pédagogique le plus favorable possible pour tous, avec une attention particulière pour les plus fragiles. La mixité sous toutes ses formes doit donc être un fil conducteur essentiel pour la conception et le fonctionnement de « biotopes » favorables aux communautés apprenantes.
À ce titre, le vrai courage politique en la matière consisterait sans doute à dépasser les idéologies conformistes et à renoncer à trouver dans les recettes d’hier les solutions pour aujourd’hui comme pour demain.
Première partie de cet article : « La mixité sociale à l’école et ses enjeux : une bombe à retardement ? »
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Pour ne pas éviter la mixité, entretien avec Julien Grenet (accès réservé aux abonnés)
Notes
- DEPP, Note d’information n° 23.40 de septembre 2023, intitulée « L’orientation en fin de troisième reste marquée par de fortes disparités scolaires et sociales ».
- Marie Duru-Bellat, « À qui profitent les classes de niveau ? », article publié sur le site des Cahiers pédagogiques le 15 mars 2022.
- « Les écoles normales du XXIe siècle (cycle préparatoire + cycle supérieur).
- « Les familles en 2020 : 25 % de familles monoparentales, 21 % de familles nombreuses », dans Insee Focus n° 249, septembre 2021 (https://www.insee.fr/fr/statistiques/5422681).