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« Comme si notre système peinait désormais aussi à faire réussir les bons élèves. »
L’enquête PISA est en effet bien contestable, notamment par sa façon d’engendrer un « effet palmarès » qui hiérarchise les systèmes éducatifs au lieu de les aider à se comprendre eux-mêmes et à s’améliorer. Néanmoins certaines données nous renseignent sur l’état et l’évolution de notre école. Parmi celles-ci, cette caractéristique selon laquelle le lien entre la performance et le niveau socioéconomique et culturel des élèves est beaucoup plus marqué en France que dans la moyenne des pays de l’OCDE.
Mais une tendance se dessine : si la France est, de façon stable, un des pays où l’école parvient le moins à endiguer les inégalités socioscolaires, l’ensemble des élèves, y compris les plus performants, glisse progressivement vers des niveaux inférieurs. Comme si notre système peinait désormais aussi à faire réussir les bons élèves. Il est difficile d’analyser cette évolution, mais on peut craindre une baisse globale d’efficacité de notre école, prise dans une spirale qui fait que la moindre réussite suscite un scepticisme qui l’alimente à son tour.
Un autre résultat illustre une caractéristique de notre école, manifestée dans d’autres enquêtes : les collégiens français tracent une frontière assez étanche entre leur vie de pairs et leur vie d’élèves dans l’institution. Ils sont en effet plutôt heureux dans leur établissement, notamment du fait de leurs bonnes relations avec leurs camarades de classe qui deviennent souvent des amis. Tout autre semble être le climat en classe où ils sont plus nombreux que la moyenne de leurs homologues d’autres pays à déclarer ne pas bien pouvoir travailler : beaucoup d’élèves n’écoutent pas le professeur et, pour un élève sur deux, il y a du bruit et du désordre dans la plupart des cours ou dans tous. La dégradation progressive du climat d’étude concerne les établissements défavorisés plus que les autres.
Il y a tout de même une bonne nouvelle : 72,7 % des élèves français de 15 ans envisagent de faire des études supérieures et n’ont pas revu à la baisse leurs projets professionnels depuis 2018 malgré la crise sanitaire. Donc, pas de désamour de l’école de leur part, plutôt le regret que celle-ci ne les aide pas à unir les différentes facettes de leurs vies. Ceci fait écho aux résultats d’une enquête menée auprès de collégiens dans le cadre du Cicur, avec la Maison de la pédagogie de Mulhouse1. Ces collégiens disent en effet aimer apprendre, à l’école ou en dehors. Mais les savoirs scolaires leur paraissent surtout utiles pour « plus tard » et peu en lien avec les savoirs acquis à l’extérieur
Un trait commun de ces mesures est que, par leur retour au passé, elles peuvent rassurer une partie des professionnels et des usagers de l’école, mais qu’elles tournent le dos à ce que les recherches, nationales et internationales, nous apprennent depuis de nombreuses années. Ces formules ne sont pas de nature à assurer demain l’égalité des chances qu’elles n’ont pas garantie hier. L’OCDE elle-même met en garde contre la création de groupes de niveau autres que temporaires, dans lesquels on cantonnerait toujours les mêmes élèves, les privant d’une hétérogénéité qui est une des clés du développement des personnes. Est-ce une manière de tenter d’éviter le glissement des seuls bons élèves dont atteste PISA ?
Le redoublement, effectué dans les mêmes conditions que l’année précédente, a aussi montré ses grandes limites. PISA en administre d’ailleurs une preuve : les élèves français de 2de ont un niveau nettement supérieur à celui de leurs homologues de 15 ans qui, du fait d’un redoublement, sont en 3e. On peut penser que ce redoublement a remis ces derniers à niveau et que ce sont les apports de l’année de 2de qui font la différence. Ce n’est vraisemblablement pas le cas, car le niveau des élèves de 3e de 15 ans qui n’ont pas redoublé, mais sont sans doute nés vers le début de l’année civile, est plus proche de ceux de 2de que de celui de leurs camarades de 3e. De fait, les collèges victimes de la ségrégation sociospatiale – en REP ou REP + – sont déjà souvent, par la force des choses, de grands groupes de niveau où on n’enseigne pas les mêmes choses qu’ailleurs.
En 2015, le ministère a tenté d’écrire des programmes « curriculaires de cycle ». L’idée était de s’entendre d’abord sur les finalités éducatives de l’école, puis de demander aux différentes disciplines comment elles y contribuaient. D’autre part, même si des bilans de fin d’année étaient maintenus, c’est au long de tout un cycle, sur plusieurs années donc, qu’on formait les élèves à des connaissances et compétences qui n’étaient évaluées qu’à la fin. Il s’agissait d’entrer plus finement dans les processus d’apprentissage en rendant plus visible l’intérêt des apports disciplinaires et de se donner le temps d’étayer les élèves. Cela pouvait passer par un repérage collectif de leurs facilités et difficultés pour opérer un travail de différenciation pédagogique à priori, ou encore par un évitement des redoublements du fait qu’on lissait sur tout le cycle les points à travailler plus particulièrement. Les aléas politiques ont fait que ce projet n’a jamais abouti.
Lorsque le ministre déclare vouloir « mettre le paquet sur les fondamentaux », il fait, dans le fond et dans la forme, du populisme pédagogique. L’idée, par temps d’incertitudes, de se recentrer sur les valeurs sûres de l’école est en soi séduisante, mais elle ne résiste ni à ce que montre l’expérience des praticiens, ni à ce que révèlent les enquêtes, celles de l’OCDE notamment, qui constatent que, bien que 60 % du temps scolaire soit consacré en France à la compréhension de l’écrit et aux mathématiques, contre 41 % en moyenne dans l’OCDE, les résultats sont décevants. Il confond là, de fait, les fondements d’une culture, dont l’appropriation est le propre de l’éducation, car l’humanité n’existe et ne se développe que par sa capacité à s’appuyer sur ses héritages et à les faire fructifier, et ce qu’une époque désigne à un moment donné comme des fondamentaux. Le français et les mathématiques, présentés à tort, selon les historiens, comme les pierres angulaires de l’école républicaine, jouent ici surtout un rôle de repères identitaires.
Dans une telle optique, il suffirait, sans se demander pourquoi des élèves n’y réussissent pas, d’augmenter les apports dans ces matières pour remettre le système sur ses pieds. Outre la grande fragilité pédagogique et didactique de cette option, l’insistance sur ces supposés fondamentaux détourne de ce qu’il serait nécessaire de faire pour que l’école soit en prise avec son temps. Les évolutions curriculaires font en effet que les savoirs à enseigner, devenus plus complexes, exigent des compétences qui n’étaient pas nécessairement requises auparavant. Le « fondamentalisme » prôné conduit alors à empiler, à l’extérieur des disciplines, des « éducations à », des « compétences douces3 » et ne parvient ni à améliorer la situation des élèves les plus fragiles, ni à hausser le niveau général.
Face aux exigences contemporaines d’une « littératie étendue », qui renvoie à un usage heuristique de l’écrit, à des compétences d’élaboration et d’interprétation dont la seule fluence de lecture ne garantit en rien la maitrise, de telles préconisations semblent bien naïves. D’autant que c’est l’ensemble des disciplines qui est concerné par une telle évolution. Mais s’agit-il seulement de naïveté ou de la partition assumée d’une école qui réserverait aux perdants de la compétition scolaire ces fondamentaux, devenus pour eux des définitifs, et aux vainqueurs, dont le bagage ne se réduit d’ailleurs pas aux apports scolaires, l’accès à des savoirs plus transversaux ?
Il y a bien évidemment des choses à défendre, notamment en termes de moyens matériels. L’enquête PISA fait par exemple apparaitre que, en 2022, 67 % des élèves étaient scolarisés dans des établissements dont le principal ou le proviseur avaient déclaré que la capacité à dispenser l’enseignement était entravée par un manque de personnel enseignant (et 30 %, par un personnel enseignant inadéquat ou peu qualifié). C’est, depuis 2018, une des plus fortes hausses en termes de manque de personnel des pays de l’OCDE. Mais le mal nous semble plus profond et nous appelons à « inventer le collège de la culture commune », car celui d’aujourd’hui n’est pas parvenu à s’affranchir vraiment des modèles éducatifs des siècles passés et il ne parvient pas à faire accéder tous les élèves à une culture émancipatrice pour chacun et acceptée par tous comme bien commun.
Les programmes ne sont que la partie émergée d’un curriculum. Celui-ci n’est pas seulement un parcours d’étude, il renvoie à ce qui, par-delà les programmes, relève d’une construction sociale qui fait que, à telle ou telle époque, on s’entend pour dire ce qui doit être enseigné à une génération, la façon dont cela doit l’être, la manière d’évaluer enseignements et apprentissages. Consulter les programmes ne suffit pas à percevoir leurs finalités, à comprendre quel type d’homme et de femme ils visent à former. Ni à savoir ce qui est réellement enseigné et appris, à mettre en évidence ce qui est nécessaire pour enseigner et apprendre efficacement. Or, dans notre pays, l’accord général sur le rôle central de l’école dans l’insertion sociale des jeunes tend à nous dispenser d’une réflexion collective sur les tenants et aboutissants des programmes.
Convaincre qu’on ne va pas dans la bonne direction n’est pas facile, car, même si les enjeux sociaux et environnementaux nous y appellent, les périodes de repli, comme celle que nous vivons, n’incitent pas à prendre du recul et à tenter de mettre en place un autre imaginaire éducatif. Entrer dans une logique curriculaire peut être le moyen d’interroger de fausses oppositions comme celle qui a historiquement distingué chez nous l’instruction et l’éducation et qui s’avère aujourd’hui très pénalisante au regard des évolutions curriculaires évoquées, dont nombre des prérequis sont assurés hors de l’école, mais pour une partie seulement des élèves. C’est aussi une façon de révéler la toile de fond de notre système scolaire en aidant à prendre conscience que la souffrance des enseignants au travail relève des mêmes causes que celles qui font que les élèves ont du mal à apprendre.
À lire également sur notre site :
Le socle commun, la barrière et le niveau, Antidote n° 7, par Patrick Rayou
Des programmes plus explicites et donc plus justes, entretien avec Patrick Rayou
PISA : l’école française n’est toujours pas en forme ! Par Jean-Michel Zakhartchouk
Notes
- Sixième séance du séminaire Cicur. Vidéo #2 : intervention de la Maison de la pédagogie de Mulhouse (youtube.com).
- Où les contenus d’enseignement (connaissances et compétences) sont pensés tout au long du parcours scolaire en cohérence avec les finalités assignées à la scolarité et les modalités d’évaluation.
- Appelées aussi soft skills.