Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Le socle commun, la barrière et le niveau

passe-ton-socle-lasserpe.jpg

À l’heure où certains politiques remettent en cause le collège pour tous, l’idée de socle commun comme axe de la scolarité obligatoire est plus que jamais d’actualité, ce que semblent oublier pourtant ceux qui l’ont en principe ( mais sans grande conviction) mis en avant il y a quelques années. Ce socle si critiqué par certains. Peut-être parce que sa garantie à tous les enfants fait planer la menace d’un abaissement du rendement social du niveau attesté par l’obtention du socle ? Il s’agit pourtant, ni plus ni moins, de la garantie apportée à tous d’acquérir ce que la Nation a défini comme le bagage minimal indispensable à l’insertion des jeunes dans la vie sociale, civique et professionnelle d’aujourd’hui.
« Le socle commun nivelle l’enseignement par le bas, et les nouveaux programmes ne permettront pas aux bons élèves d’avoir les apprentissages auxquels ils ont droit »

passe-ton-socle-lasserpe.jpg
Dessin de Lasserpe pour le dossier « Quel socle commun ? » du n° 439 des Cahiers pédagogiques, janvier 2006.

La crainte que l’accès massif des enfants à des niveaux de formation réservés antérieurement aux élites fasse « baisser le niveau » n’est pas nouvelle. Elle vient largement de la confusion souvent opérée entre la valeur intellectuelle du diplôme dont, de fait, les exigences ne cessent de croître, et la perte de valeur du titre scolaire suscitée par sa généralisation. Edmond Goblot1 montrait ainsi, dès 1925, que le baccalauréat constituait tout autant un niveau attesté par un examen d’État qu’une barrière sociale garantissant des privilèges à une petite élite et que la démocratisation de son accès suscitait de sa part des résistances. Il en va de même aujourd’hui à propos de l’obtention, par l’essentiel d’une génération, d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, régulièrement dénoncé. L’idée qu’il constituerait un « smic culturel » est agitée tant par ceux qui y voient un rabaissement des exigences intellectuelles organisant un nivellement par le bas, que par ceux qui estiment qu’il condamnerait à des savoirs de base des élèves d’origine modeste privés de possibilités d’accès à des formes supérieures de la culture.

« L’idée même d’un smic scolaire et culturel, l’idée d’un socle minimal de connaissances et de compétences, la définition d’un savoir plancher en dessous duquel aucun élève ne devrait se situer est une idée qui entre en rupture avec les représentations les plus courantes de l’école puisque, dans son réalisme modeste, elle oblige à ne plus considérer l’école depuis son sommet, mais à partir de sa base. Elle est très vite considérée comme une aumône octroyée aux laissés pour compte par les partisans d’une vision utopique de l’égalité des chances, tarte à la crème sans cesse resservie par les gouvernants de gauche et de droite depuis cinquante ans et jamais suivie du moindre effet. Bien au contraire, puisqu’au cours des dernières décennies les écarts ont eu tendance à se creuser entre la tête et la queue du peloton. »Christian Baudelot et Roger Establet, Cahiers pédagogiques, n° 439 «Quel socle commun ?»

 

Nous savons qu’il ne suffit pas d’exposer les élèves à des savoirs exigeants pour qu’ils se les approprient. Ils ont en effet, en fonction de leurs expériences familiales et scolaires, des façons de construire pour eux-mêmes le sens des études et des disciplines qui sont plus ou moins adaptées aux attentes de l’institution. Or, notre système scolaire s’inscrit dans un modèle d’« intégration uniforme » (caractérisant plutôt les pays latins) qui fixe des objectifs de tronc commun ambitieux, mais qui ne parvient pas à les faire valider par tous. Il n’offre en effet comme modalités d’ajustement que des dispositifs qui ne tentent de remédier aux difficultés d’apprentissage que par des ajouts (d’heures d’aide, d’années de redoublement). Or, le modèle à la fois le plus performant et égalitaire est celui de l’« intégration individualisée » (caractéristique des pays nordiques), qui parvient mieux, par des suivis individuels plus assurés, à faire maîtriser par tous les élèves un programme unique de formation2. La version de 2015 du socle commun propose des voies nouvelles vers une telle intégration individualisée.

Apprentissages réels

Le socle commun récemment adopté veut partir des apprentissages réels des élèves et non d’une juxtaposition d’exigences disciplinaires construites pour des élèves idéaux. Il fixe pour cela des buts d’homogénéisation culturelle pour une génération, tout en prenant en compte la nécessité de diversifier ses voies d’accès pour des élèves inégalement initiés aux codes de la culture scolaire. Il inclut donc notamment les méthodes et les outils pour apprendre qui, pour nombre d’élèves issus de milieux populaires, ne vont absolument pas de soi. Il consacre un domaine spécifique à la formation de la personne et du citoyen qui demeure un objectif fondamental. Il n’oublie pas pour autant les disciplines qui, à égalité désormais, se retrouvent dans la contribution à la maîtrise des langages pour penser et communiquer, décisifs dans les scolarités contemporaines et retrouvent, dans les domaines 4 et 5, leurs spécificités d’accès aux systèmes naturels et techniques ainsi qu’aux représentations du monde et de l’activité humaine.

L’organisation de la scolarité en cycles, avec en particulier l’enjambement du cycle 3 entre élémentaire et secondaire (CM1, CM2 et 6e), a pour but d’organiser une acquisition progressive et continue des connaissances et compétences selon une logique allant du fondamental à l’approfondissement en passant par la consolidation. Même si les bilans annuels continuent de donner des indications sur le niveau de l’élève par rapport à la classe, la prise en compte de séquences de trois années a pour but de favoriser des diagnostics continus et collectifs, Ceci afin de donner plus d’espaces aux modalités d’acquisition de chaque élève et, si nécessaire, autoriser des remédiations sur la moyenne durée sans le couper de ses pairs par des redoublements souvent stériles, sans renvoyer à la périphérie de la classe les étayages à lui apporter.

Le risque réel d’un socle « pour les pauvres » peut être surmonté si les acquisitions qu’il permet sont, en même temps qu’un embarquement de tous vers la réussite, le creuset de scolarités prolongées vers des enseignements professionnel, technologique et général qui se distribueraient beaucoup moins qu’aujourd’hui selon des logiques sélectives. Encore faut-il que l’offre de formation garantisse que des « socles locaux » de bas niveau ne coexistent pas, comme c’est déjà le cas, avec des offres plus riches. Mais aussi que des conditions fondamentales comme l’association des enseignants à cet ambitieux projet, leur formation initiale et continue ou des effectifs raisonnables des groupes d’élèves soient satisfaites.

Patrick Rayou
Professeur en sciences de l’éducation et chercheur à l’université Paris VIII

À lire également sur notre site :
Entretien avec Patrick Rayou : Des programmes plus explicites et donc plus justes

« Quel socle commun ? » Dossier du n° 439 des Cahiers pédagogiques

Notes
  1. Edmond Goblot, La Barrière et le Niveau. Étude sociologique sur la bourgeoisie française moderne, Félix Alcan, 1925.
  2. Nathalie Mons, Les nouvelles politiques éducatives, PUF, 2007.