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Pour une convention citoyenne sur l’éducation : « Il faut réarticuler l’école avec la société »

Les parents d’élèves de la FCPE viennent de lancer une pétition adressée au Président de la République pour lui demander « d’initier, de toute urgence, une Convention citoyenne sur l’éducation ». Il s’agit pour la fédération de construire « une ambition collective pour l’école de la République », qu’elle envisage comme une des clés pour répondre « aux colères qui s’expriment dans notre pays ». Grégoire Ensel, vice-président de la FCPE, a répondu à nos questions.
Comment en êtes-vous arrivés à cette demande de Convention citoyenne sur l’éducation ?

Grégoire Ensel : Le premier acte a été une lettre ouverte de la FCPE à Pap N’Diaye [alors ministre de l’Éducation nationale] en février 2023, où nous affirmions qu’il fallait une vision pour l’école publique et non plus une approche comptable. Il y a urgence à repenser un projet.

Depuis, on s’est rendu compte qu’il y a une envie de débat sur l’école dans la société française. Les questions d’éducation font souvent la Une des médias, mais toujours dans une approche de sondages, de ballons d’essai du politique, par exemple sur l’uniforme, l’autorité, ou le « choc des savoirs ».

Nous avons débattu de cela lors de notre congrès national de Vierzon, en juin 2023. Nous voulons en finir avec les discussions à court terme et que l’école, plutôt que de rester coincée dans les réalités d’hier, réponde aux objectifs d’aujourd’hui et demain. L’école publique doit correspondre à un projet de société, donc il faut un débat public et éclairé sur ce que doit être ce projet. Et après, on parlera des moyens financiers et humains.

Nous ne sommes pas les seuls à avoir muri cette idée. D’autres que nous demandent également une convention citoyenne sur l’école et l’éducation : le député Jean-Claude Raux ou le chercheur Philippe Meirieu l’ont fait récemment. Il y a eu cet hiver une concertation organisée par France Bleu avec make.org sur l’école de demain, qui a recensé des centaines des propositions. Ce sont autant de signes que nous sommes prêts collectivement en France pour construire un nouveau projet. Et c’est aussi dans cet esprit qu’en février 2024, nous avons mis sur la table vingt mesures pour l’école de demain.

C’est une idée qui a du sens !

Qu’attendez-vous d’un telle convention citoyenne ?

G. E. : Aujourd’hui, des décisions qui ont un très fort impact pour les élèves sont prises sans aucun débat. Prenons l’exemple des effectifs des classes. Qui, en fait, a décidé du nombre d’élèves par classe dans le collège de Toucy dans l’Yonne ? Ni les députés, ni le ministre, ni le recteur, mais, in fine, le chef d’établissement, avec la DHG qu’il avait. Nulle part il n’y a eu un débat sur le nombre d’élèves qui serait souhaitable par classe, de la maternelle au lycée, pour offrir de bonnes conditions aux élèves à la rentrée suivante.

Nous avons des mesures isolées et annoncées par voie de presse, il n’y a pas de vision. Prenez le fameux « Choc des savoirs » : ça n’a pas de sens et cela va à l’encontre des sciences de l’éducation. Il faut d’urgence bâtir un véritable cap partagé, pour éviter ce genre de godille.

Il faut aussi réarticuler l’école avec la société, c’est-à-dire les collectivités locales, l’éducation populaire, la relation avec le territoire. On ne pense pas suffisamment l’école par rapport à son écosystème mais de plus en plus isolément.

Nous avons besoin d’un large débat, mais d’un débat éclairé, pour tracer des perspectives sur le long terme. Parce que tout le monde a un avis sur l’école, un peu comme tout le monde est sélectionneur de l’équipe de France de football, mais ce n’est pas forcément construit. Il faut sortir de la logique de café du commerce pour faire société, et la Convention citoyenne est l’outil adapté pour cela. Elle permettra de prendre de la hauteur et de sortir aussi des sondages et des « coups de comm » dont je parlais.

Tous les maux de l’école sont connus, tous les diagnostics sont sur la table, à travers des rapports, des recherches universitaires. Une Convention citoyenne doit reprendre tous ces maux, entendre toutes les parties et faire des propositions concrètes pour construire un projet éducatif national à sanctuariser par la loi.

Vous pensez que ses conclusions seraient entendues et mises en œuvre par un gouvernement ?

G. E. : Ça mettrait les gouvernants face à des citoyens qui ont construit un projet en entendant toute la communauté éducative (enseignants, parents, collectivités locales) et les experts. Après, les gouvernants sont responsables devant la nation…

Et si la convention citoyenne aboutissait à un projet qui ne convenait pas à la FCPE et aux parents d’élèves en général ?

G. E. : Je suis convaincu que la démocratie, avec les éclairages des uns et des autres, permettra d’aboutir à un consensus, de trouver un point d’équilibre. Je n’imagine pas que le projet qui en sortirait puisse être totalement à jeter. Au contraire, cela permettrait que l’école ne soit plus un enjeu entre des camps, mais qu’elle soit placée au-dessus de la mêlée, dans l’intérêt des enfants et de la nation.

Et de toute façon, aujourd’hui, avec la question de l’autorité et l’uniforme qui sont mis en avant, on est de toute façon déjà coincés dans l’école du passé, l’école des Choristes, et on nous l’impose sans débat.

Pensez-vous que cela rendrait aussi une réforme plus acceptable pour les enseignants et tous les personnels de l’Éducation nationale, souvent découragés et exaspérés aujourd’hui ?

G. E. : Oui, si la nation porte un projet avec un point d’équilibre et une vision, pour moi, cela contribuerait à l’attractivité et au « réanoblissement », si on peut inventer ce mot, du métier enseignant. Pourquoi les enseignants, il y a cinquante ou quarante ans, avaient une position sociale reconnue ? Parce qu’ils portaient des valeurs reconnues, portées par tout le pays, d’une école synonyme de progrès. Je pense qu’ils n’attendent que cela, d’avoir un cap clair et apaisé.

Les conventions citoyennes qui se sont déroulées précédemment ont été exemplaires. Et la convention sur la fin de vie avait abouti à un débat dans l’hémicycle et allait déboucher sur une loi, s’il n’y avait pas eu la dissolution, alors qu’avant elle, c’était un débat extrêmement difficile depuis de nombreuses années. Pour la convention sur le climat, elle a fait largement progresser les esprits et bouger des lignes, et si elle n’a pas eu de suites, on sait qui en est comptable…

Et est-ce que ce serait de nature à réconcilier les classes populaires avec l’école ?

G. E. : Oui, si la convention citoyenne prend à bras-le-corps la question des inégalités et celle de la mixité sociale et scolaire, avec objectivité. Et ça fait évidemment partie des constats à travailler, pour rétablir la promesse républicaine d’égalité par l’éducation.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

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