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La mixité sociale à l’école et ses enjeux : une bombe à retardement ?

L’école française est aujourd’hui à la peine, avec ses performances insuffisantes et ses problématiques d’inégalités sans solution évidente.
Car, si l’accès du plus grand nombre à des études de plus en plus longues a bien constitué depuis plus d’un demi-siècle un progrès social indéniable, celui-ci ne s’est pas accompagné concrètement, au-delà des discours incantatoires, de résultats probants en matière d’égalisation des chances. Comme l’indiquent d’innombrables données issues de la recherche, notre école reste élitiste et inégalitaire.
Les évaluations internationales (PISA, Timss, Pirls, etc.) pratiquées depuis un quart de siècle dans une cinquantaine de pays, montrent clairement que le système éducatif français présente un réel déficit d’efficacité (les résultats moyens le situent en milieu de classement), mais surtout d’équité (les écarts entre les élèves les plus et les moins performants sont parmi les plus importants et ont tendance à s’accroitre au fil du temps). On y constate de surcroit un lien parmi les plus forts entre appartenance sociale et performances des élèves.
L’existence de ce phénomène est aujourd’hui connue de toutes les catégories sociales, y compris de celles qui en subissent les dommages. Cet état de fait est de nature à créer un sentiment d’injustice possiblement générateur de ressentiment, voire de révolte, avec l’expression d’une rupture définitive avec notre République. Celle-ci est alors jugée responsable de ne pas avoir tenu ses promesses de justice et d’équité.
Une telle fracture peut prendre des formes violentes comme l’actualité nous le rappelle fréquemment. En témoignent les dégradations subies par de nombreux établissements scolaires durant les émeutes de l’automne 2005 et de l’été 2023.
La question des mixités sociales et scolaires sous toutes leurs formes ne peut donc plus être reléguée dans un impensé collectif. Elle doit être inscrite de toute urgence à l’agenda politique pour y être traitée avec détermination, faute de quoi le mythe du vivre ensemble dans une société laïque, plus juste et plus équitable, se délitera irrémédiablement. Au cœur de cet enjeu se trouve l’école, qui doit être identifiée comme l’un des outils essentiels de cet ambitieux projet pour la société française.
N’en doutons pas : relever le défi de l’amélioration de la mixité sociale en milieu scolaire se présente comme une tâche immense. Bousculer l’ordre établi requerra en effet volonté, courage et opiniâtreté. Il faudra d’abord convaincre tous les partisans d’un entresoi qui échappe à la règle commune de la République, qui prône le vivre ensemble dans un brassage profitable à tous, plutôt que la juxtaposition à caractère communautariste de populations installées – quelquefois contre leur gré – dans un côte-à-côte pouvant parfois se muer en face-à-face.
Parler de mixité sociale et scolaire, c’est évoquer deux facettes d’un même concept qui coexistent dans le chaudron scolaire de façon à la fois distincte et liée. Distincte, en ce sens que l’appartenance sociale est extérieure à l’école, mais d’autant plus liée à elle que cette caractéristique attachée aux élèves entretient dans notre pays une corrélation avec la réussite scolaire qui s’avère plus forte qu’ailleurs. Mais, si l’appartenance sociale des élèves est un paramètre « subi » par l’école, les réponses de celle-ci aux besoins identifiés relèvent de son entière responsabilité.
La mixité sociale et scolaire sous toutes ses formes nous semble aussi être une variable utilisable comme levier de l’action conjointe menée, en toute concertation, par le politique et l’éducatif.
Les chercheurs en sociologie de l’éducation qui ont étudié ces phénomènes de mixité et leurs effets sur la réussite des élèves ont mis en exergue la notion de ségrégation scolaire comme conséquence de la ségrégation résidentielle ou des choix des familles, mais également comme la résultante de choix internes aux établissements visant à en réguler le fonctionnement.
Sans négliger le fait que les phénomènes ségrégatifs s’exercent dès le premier degré, notamment en milieu urbain, leurs effets s’avèrent plus marqués et plus déterminants au sein du collège. Plusieurs éléments expliquent l’écart entre les deux degrés d’enseignement, notamment l’organisation structurelle, le fonctionnement pédagogique, la prégnance des perspectives d’orientation et enfin les problématiques psychologiques liées à l’adolescence.
La ségrégation sociale constatée au sein des établissements du second degré est ainsi imputable à deux paramètres d’inégale importance :
- Le lieu de résidence des familles détermine l’affectation vers le collège du secteur dans le cadre de la sectorisation des collèges publics, qui relève de la compétence des départements. La contribution de la ségrégation résidentielle à la ségrégation sociale qui affecte la population d’élèves des collèges est estimée par les chercheurs à environ 60 %.
- Les stratégies parentales visant à éviter de s’y conformer, qui passent soit par les dérogations à la carte scolaire, soit par l’inscription dans un collège privé. La contribution de ces formes d’évitement s’établit à environ 40 % de la ségrégation totale.
La question de l’affectation des élèves dans les établissements est donc au cœur de la problématique relative à la mixité sociale des publics scolaires. Le dispositif de sectorisation et ses dérogations doivent donc être revisités en profondeur. C’est ce à quoi incitait le plan pour l’« amélioration de la mixité sociale au sein des établissements publics du second degré » engagé en 2015-2016 par la ministre Najat Vallaud-Belkacem.
Sur la base d’expérimentations dont les conclusions encourageantes ont validé la pertinence1, ont été préconisées des transformations inédites dans la pratique de la sectorisation des collèges publics, portées notamment par la mise en œuvre du concept de secteurs multicollèges. Celui-ci permet, sur un espace géographique élargi par rapport au secteur classique d’un collège, de mieux réguler la diversité sociale des populations scolaires dans chaque établissement. En 2017, cette impulsion ministérielle n’est malheureusement plus apparue comme une priorité pour le successeur de Najat Vallaud-Belkacem.
Cette démarche courageuse visant à promouvoir davantage de justice sociale a néanmoins été engagée avec succès à Toulouse2 pour les collèges, mais elle se heurte trop souvent, comme à Paris pour les lycées, à de fortes résistances, car elle bouscule l’ordre établi et mobilise aussitôt tous ceux qui en profitaient jusque-là.
L’égoïsme et l’intérêt aidant, l’avantage accordé aux élèves issus des collèges défavorisés avec l’attribution d’un « bonus » de points pour une affectation en lycée a été dénoncé par ceux qui se considèrent désormais comme désavantagés par la nouvelle procédure fondée sur une forme de « discrimination positive ».
Comme le dit si bien le sociologue de l’éducation Christian Baudelot : « L’école est devenue une question de consumérisme familial3. »
Une forme plus insidieuse de ségrégation, qui n’est pas quantitativement négligeable, est aussi générée par des décisions internes aux établissements. Elle porte sur l’affectation des élèves dans les classes et sur les modalités des groupements permanents ou à temps partiel. Dans la plupart des cas, s’assure-t-on vraiment que ces groupements sont réalisés en fonction des besoins et des potentialités de chacun des élèves ou en fonction de leur niveau supposé ?
Il convient en effet de rappeler que la mise en place de groupes de niveau permanents génère des effets importants sur le climat scolaire, la qualité de vie au travail, les pratiques pédagogiques qui prévalent dans l’établissement et impacte au final la réussite scolaire des élèves les plus fragiles. À cet égard, le débat initié à la faveur du « choc des savoirs » a eu le mérite de relancer la réflexion sur ce sujet fondamental.
Au cours d’un long cheminement étalé sur le dernier demi-siècle, le système éducatif français a réduit progressivement, à l’exception des Segpa, le nombre de filières ségrégatives dans les collèges au profit d’un cadre commun. La massification de l’enseignement ne doit jamais perdre de vue l’objectif d’une école plus inclusive à l’égard de tous, qui passe nécessairement par une reconnaissance de l’hétérogénéité des publics scolaires et l’élaboration de réponses adaptées.
La réforme du collège engagée en 2015 avait pour ambition de poursuivre dans cette voie en réduisant les possibilités de niches ségrégatives, parfois clandestines, utilisées sous couvert de dispositifs détournés de leur vocation première : constitution de classes prétendument homogènes dès la 6e (sur la base du choix de langues ou d’options diverses visant à contourner le cadre règlementaire dédié). Mais on se souvient que l’annonce de ces mesures avait déclenché une tempête médiatique véhiculant les protestations de tous les tenants de l’immobilisme, parmi lesquels des lobbys disciplinaires. Cette réforme reste à ce jour la dernière tentative de cette nature.
Une autre forme de mixité reste à aborder, qui concerne, notamment à l’école, les classes multiniveaux. Ces groupements d’élèves, souvent subis en raison des contraintes structurelles des écoles de petite taille, quelquefois choisis dans de plus grosses structures, font vivre, dans une même classe, des enfants d’âges différents aux compétences plurielles. Lié à la taille des écoles, cet aspect de la mixité représente évidemment une problématique bien plus rurale qu’urbaine. Mais sa prise en compte dans l’organisation des établissements de plus grande taille au nom d’une appropriation volontariste de la politique des cycles présente un intérêt certain.
Car, qu’il s’agisse des données issues des évaluations nationales (CE1, CE2, CM1, 6e) réalisées au cours des trois dernières décennies ou des nombreuses études publiées par la DEPP4, les indicateurs de maitrise des acquis scolaires, d’adaptation au collège et de fluidité du parcours témoignent de résultats significativement supérieurs pour les élèves ayant fréquenté des classes multiniveaux à l’école primaire.
Ces modalités de groupement offrent en effet un cadre pédagogique à la fois plus efficace et plus équitable pour la maitrise des compétences académiques et des compétences transversales (compétences douces dites soft skills : comportementales, relationnelles, cognitives, etc.).
Ce constat oppose un cinglant démenti à l’idée installée dans l’imaginaire collectif, selon laquelle plus le niveau des élèves est « homogène », mieux les conditions d’apprentissage sont assurées pour tous.
Face à de telles preuves, au nom de quoi le mythe de l’homogénéité serait-il indéfiniment brandi comme il l’est aujourd’hui et pourquoi ce qui vaut à l’école ne vaudrait-il pas au collège ?
Partie 2 de cet article à lire sur notre site le 3 janvier.
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Notes- Voir le dossier de synthèse de la conférence de comparaisons internationales du Cnesco (Centre national d’étude des systèmes scolaires) sur le thème « Mixités sociale, scolaire et ethnoculturelle à l’école » (2015).
- https://www.jean-jaures.org/publication/la-mixite-sociale-dans-les-colleges-pour-favoriser-la-reussite-de-tous-les-eleves-le-plan-reussi-de-la-haute-garonne/.
- In Éric Fottorino (dir.), Le malaise français. Comprendre les blocages d’un pays, éd. Philippe Rey et Le 1, 2016, p. 61-62.
- Voir par exemple Christine Leroy-Audouin et Alain Mingat, « Les groupements d’élèves dans l’école primaire rurale en France : efficacité pédagogique et intégration des élèves au collège », Les notes de l’Irédu n°96/01, janvier 2001, ou Sylvain Broccolichi, Choukri Ben Ayed, Catherine Mathey-Pierre et Danièle Trancart, « Fragmentations territoriales et inégalités scolaires : des relations complexes entre la distribution spatiale, les conditions de scolarisation et la réussite des élèves », Éducation et Formations n°74, avril 2007, p. 31–48.