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Des enseignants, CPE, chefs d’établissement, formateurs qui « sacrifient » une semaine de vacances en plein aout pour se retrouver et échanger sur leurs pratiques professionnelles. Une drôle d’idée ? Peut-être pas tant que ça, tant on en revient regonflé et plein d’idées pour la rentrée ! Le témoignage d’une habituée.

Au retour des Rencontres d’été du CRAP-Cahiers pédagogiques, je me demande souvent comment transmettre mon bonheur d’y avoir été et mon impatience d’y retourner. Quand j’en parle pendant l’année scolaire, je recueille souvent des regards sceptiques ou incrédules. Comment ? Tu vas sacrifier une semaine entière de vacances pour travailler ? Mais qui fait ça ?

Pourtant chaque année nous sommes environ soixante-dix ou quatre-vingt personnes à le faire (sans même parler des autres associations pédagogiques liées à l’éducation populaire ou à l’innovation qui le font aussi). Qu’y trouvons-nous ? Pourquoi cet entêtement à réitérer un séjour d’une semaine dans les conditions souvent spartiates d’un internat de lycée agricole ?

D’abord la convivialité !

Initiatives pour une soirée.

Évidemment, ce qui nous fait revenir tous les ans, quand on est un habitué, c’est l’amitié. Une semaine ensemble du lever au coucher, ça forge un collectif. Si les Rencontres sont encore et toujours organisées sur le principe de la pension complète, alors qu’on pourrait convenir d’un lieu plus touristique et laisser les participants se loger chacun de leur côté, c’est précisément pour cette vie collective, tous les moments informels aux repas, en soirée, entre deux ateliers, qui fabriquent des liens. Tous ceux qui n’ont pas choisi les mêmes ateliers que moi, je les verrai quand même, je passerai quand même de bons moments avec eux, parce que les occasions abondent : je peux choisir de courir ou de faire du yoga le matin avant le petit-déjeuner, de manger à chaque repas avec des gens différents, de jouer à des jeux de société le soir, ou plutôt de chanter, à moins que je préfère m’inscrire aux « initiatives » proposées par l’un ou l’autre des participants.

On s’organise pour la demi journée libre.

Pour ça, la demi-journée libre dans la semaine est l’occasion d’une belle organisation collective : vous êtes plutôt tourisme dans les environs, activités sportives, cinéma ou bon plan pour occuper ensemble les enfants de plusieurs participants ?

Mais ne risque-t-on pas l’entresoi ? Comment les nouveaux participants trouvent-ils leur place dans un dispositif aussi rôdé ? Nous avons tous été nouveaux un jour, et chaque année ils forment une bonne part des participants (vingt sur soixante-dix cette année). Et souvent, ils reviennent ! Entre dispositif d’intégration prévu le premier jour, chaleur humaine et qualité des apports professionnels de la semaine, l’avis des nouveaux est généralement le même à l’heure du bilan : c’était génial, vivement l’année prochaine !

On est là pour bosser, quand même, c’est pas un peu maso ?

Quand j’entends des collègues se plaindre du travail pendant l’année scolaire, je comprends que ce n’est pas le travail en lui-même qui les fait souffrir et attendre les vacances comme un naufragé une bouée. Ce sont les conditions de travail, l’isolement, les mauvaises relations avec la hiérarchie, les collègues, les parents d’élèves, voire les élèves, et surtout le manque de perspectives et de sens de ce qu’on fait.

Travailler au frais dans le couloir.

Aux Rencontres, justement, le travail collectif est porteur de sens, de valeurs. On agit ensemble dans la perspective que chacun progresse dans l’interaction avec les autres. Travailler pendant les Rencontres, c’est se ressourcer. C’est se préparer avec entrain à changer ses pratiques, petit à petit, à se donner la perspective de devenir meilleur dans ce qu’on fait, à donner du sens à nos pratiques de classe, à faire qu’elles soient en accord avec nos valeurs.

Les ateliers sont des temps de réflexion professionnelle. C’est la raison pour laquelle ces Rencontres sont organisées dans des établissements scolaires : il nous faut des salles de travail ! On peut ainsi s’initier ou se perfectionner, année après année, dans de nombreux domaine : les classes coopératives, l’écrit dans toutes les disciplines, la formation des élèves à l’esprit critique, l’accompagnement des stagiaires, l’inclusion, le genre, les neurosciences, et j’en passe !

Le thème choisi est travaillé intensivement (dix-sept heures environ sur la semaine), dans des modalités variables qui vont du grand groupe d’une vingtaine de personnes aux sous-groupes sur des projets précis et aussi des temps individuels si le besoin s’en fait sentir. On n’est pas dans une formation classique, mais bien dans des ateliers entre pairs. Même quand les animateurs d’atelier sont par ailleurs formateurs, le fonctionnement est horizontal, coopératif et très détendu ! Nous sommes tous là en autoformation et en coformation, nous avons tous à apprendre les uns des autres.

Découverte, créativité et réflexion

Atelier « Faire avec les mains ».

Lire avec le loup-garou.

La seconde catégorie d’atelier est d’ailleurs plus libre, moins « scolaire ». Après tout, on est encore en vacances ! Les ateliers « activités » concernent plutôt la créativité, la découverte de l’environnement du lieu qui nous accueille, la marche (associée ou non à la poésie, la chanson, la philosophie…), la danse… Les seules limites sont l’imagination des animateurs (et le matériel nécessaire) ! Même ces ateliers-là, pourtant, ont quelque chose à voir avec le métier : quand on découvre une pratique inconnue, on se met dans la peau de l’élève qui apprend, on réfléchit à sa posture, aux obstacles qu’on rencontre. La difficulté bouscule les certitudes et nous met en empathie avec l’élève en échec, nous ouvre des horizons sur nos relations avec lui, en plus de nous ouvrir aux infinies richesses de l’interdisciplinarité.

Le marché de connaissances est une autre occasion, sur une durée très brève au contraire, de se coucher moins bête. Cette fois-ci, par exemple, j’ai découvert un dispositif de classe, « lire avec un loup-garou », que j’ai hâte de tester en classe parce que la simple description m’a convaincue de sa richesse didactique ! De façon plus « gratuite » et amusante, j’ai participé à la dissémination de mots rares, mais après tout, ça aussi, c’est transférable dans mon collège pour enrichir le vocabulaire des élèves. J’ai appris quatre accords de guitare, à me maquiller les yeux ou à compter jusqu’à dix en bambara. Bon, j’avoue : ça, j’ai déjà oublié, mais ce n’est pas grave, le but est de cultiver sa curiosité et son désir d’apprendre. Et comme dans un marché on « achète » et on « vend », j’ai aussi appris à d’autres à dessiner en un rien de temps une enluminure approximativement médiévale, parce qu’être « nul » en dessin, ça n’existe pas ! C’est juste une croyance sur soi que ces activités express peuvent permettre de dépasser. Eh oui, tout ça aussi peut se réutiliser en classe !

Alors, vous venez l’été prochain ?

Alexandra Rayzal
Enseignante d’histoire-géographie en collège

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