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Évaluations ou pression ?

Chronophages et déconnectées des réalités, les évaluations nationales nourrissent des débats au sein du CRAP-Cahiers pédagogiques. Les dispositifs actuels mettent les élèves – et les enseignants ! – sous pression. Les retours d’expérience montrent qu’il existe d’autres voies d’évaluation, formatives et émancipatrices.

Les adhérents du CRAP-Cahiers pédagogiques ont accès à une liste d’échange où se partagent, se discutent et parfois se disputent (au sens de la disputatio) certains sujets. Après la rentrée, ce fut le cas autour de la thématique « évaluation ou pression ? ». Le sujet s’est élargi à un temps de débat entre les membres du comité de rédaction et du conseil d’administration de l’association, ce 20 septembre 2025.

Ce débat, ponctué de constats et de retours d’expérience, a démarré par les évaluations nationales. Ces évaluations sont jugées mal placées, arrivant en début d’année scolaire, au moment où se construisent confiance et cohésion de classe. Certains des exercices proposés ne sont pas adaptés aux pratiques pédagogiques (au point parfois de transformer celles-ci pour y préparer les élèves) ni au contexte de vie des élèves.

À titre d’exemple, un élève de CE1 vivant en milieu urbain paupérisé aura du mal à se représenter un « jardin où coule une rivière » comme un « chez-soi ». En résolution de problème se trouve un encadré pour les recherches et un QCM pour donner la réponse, mais qu’il y ait recherche ou pas, seul le résultat compte. Qu’évalue-t-on vraiment ? Ne met-on pas ici les élèves en situation d’échec prématurée ?

Des évaluations chronophages et énergivores

Des évaluations qui prennent du temps et de l’énergie : du temps de passation, du temps de saisie des réponses élèves en élémentaire, du temps de restitution aux parents, du temps de réunion en équipe de circonscription, d’école, en conseil pédagogique au collège, des heures de planification de la 6e à la 2de pour l’équipe de direction, etc. Avec cette idée (saugrenue ?) qu’aucun élève ne doit y échapper : du CP à la 2de, en ULIS et Segpa, chaque niveau vit, subit une évaluation en français et mathématiques, voire de ses aptitudes physiques (en 6e). Mais pour qui ? Pour quoi ?

Pour des résultats actuellement difficiles à appréhender, où seul le niveau est restitué mais pas les critères d’évaluation. L’évaluation est ici vue comme une performance à atteindre et n’intègre pas le processus réflexif, cognitif. Des termes anxiogènes : « à besoins », « fragile », qui n’ont pas de sens pour les élèves et leur famille.

Notre débat a aussi mis en question le rôle des évaluations pour le suivi des élèves. Lors des premières évaluations nationales, en 1989, sous le ministère de Lionel Jospin, les enseignants avaient un cahier dans lequel chaque erreur était codifiée et avaient à disposition le croisement des résultats avec des pistes de remédiation en accompagnement individualisé. Cela apportait des pistes de réflexion dans les établissements. La logique est toute autre désormais. L’enseignant redevient un technicien à qui il est demandé d’appliquer des remédiations prédéfinies sans outils d’analyse.

Retour aux notes

L’idée que les enseignants pourraient avoir une meilleure perception de leurs élèves que ce que montrent les tests standardisés est également discutée. En effet, suite aux évaluations de 1989, il s’est avéré que les professeurs sous-estimaient les résultats, et donc les compétences de leurs élèves, notamment ceux issus des milieux populaires. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Se pose alors la question de la pression évaluative avec le nouveau DNB (diplôme national du brevet) voulu par Gabriel Attal, qui supprime les bilans de fin de cycle sur les compétences du socle commun et revient à prendre en compte uniquement des moyennes de moyennes, comme introduit au lycée il y a quatre ans. Dans les pratiques évaluatives, on revient aux notes, on met de côté l’évaluation par compétences. Les compétences ont parfois perturbé, dérangé, mais le bilan de fin de cycle obligeait à discuter en équipe et permettait de réguler des « accidents de parcours ». Désormais, c’est chacun dans son coin et toute note compte.

Obtenir des résultats

Arrive alors la question du pilotage par l’évaluation. Si la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) construit des données pour aider à conduire les politiques éducatives, pour connaitre le niveau des élèves, d’autres outils statistiques existent et suffiraient amplement. Les indicateurs sont aussi diversement (parfois étrangement ?) utilisés localement.

Lors du débat entre conseil d’administration et comité de rédaction des Cahiers pédagogiques, différents vécus sont partagés : des chefs d’établissement entrent dans les détails, exigeant des équipes une amélioration précise dans certains domaines, d’autres annoncent aux parents que les bons résultats d’une année ne sont pas prédictifs de la réussite future de leur enfant. Pour quoi, ces discours ? Des enseignants sont sommés de présenter des progressions précises dans l’idée qu’il faut obtenir des résultats. Ces pratiques évaluatives, ces discours questionnent une certaine vision de la société et de l’école, qui ne correspond pas à nos valeurs.

Une perte d’autonomie des enseignants

Mais comment se construit la pression évaluative ? En reprenant les instructions de 1923, 1977, 2002, 2007, 2008 puis 2015, on observe que nous sommes passés d’objectifs très généraux à des attendus plus précis, pour arriver à des compétences puis à des sous-items décortiquant ces compétences. On en arrive à une disparition effective de la notion de cycle, à de l’évaluation diagnostique, normative, à visée sélective. Et souffrent ceux qui ne sont pas à l’heure ou sont en avance. Il y a une perte d’autonomie dans le travail des enseignants et enseignantes.

L’hétérogénéité des classes est paradoxalement (volontairement ?) invisibilisée dans les évaluations décrites ici. Apprendre, c’est passer de « je ne sais pas » à « maintenant, je sais ». Identifier ce processus nécessite ensuite de prendre le temps de proposer des évaluations formatives, formatrices, de signifier aux élèves leur évolution, en proposant une même épreuve à deux moments distants. Ces évaluations sont pratiquées sur le terrain, mais évincées par une demande institutionnelle qui semble davantage chercher à normaliser et sélectionner qu’à offrir aux élèves le temps et la possibilité d’apprendre et de grandir.

Alors, évaluation ou pression ? Pression, si on relève les propos d’enseignants qui se sentent contraints dans leurs gestes professionnels, pression sur les élèves face aux notes, pression sur les familles. Mais d’autres pratiques évaluatives existent, persistent, résistent, parce que les enseignants y croient, des pratiques évaluatives formatrices, attentives, accompagnantes des apprentissages pour ne laisser vraiment aucun élève sur le bord du chemin.

Rachel Harent
Membre du Comité de rédaction et du Conseil d’administration du CRAP-Cahiers pédagogiques

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