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Évaluations nationales : une absurdité pour les élèves à besoins particuliers
Les évaluations nationales n’en finissent pas de faire couler de l’encre. Après « Des évaluations qui ne font pas avancer les apprentissages », voici le récit d’une professeure des écoles en REP+ qui s’insurge contre la pression décuplée qu’induisent ces épreuves sur les élèves à besoins particuliers, mis en situation d’échec dès la rentrée. Un témoignage qui pose de nouveau la question : ces évaluations nationales ne mériteraient-elles pas d’être réévaluées ?En cette période d’évaluations nationales, j’ai eu envie (besoin ?) moi aussi d’écrire un témoignage sur ce rituel de rentrée qui me met tant en colère chaque année.
Je travaille en REP+, avec des CM1-CM2. Je voudrais ajouter au témoignage de Marion Lenoir (totalement en accord avec mon expérience personnelle) quelques éléments concernant les élèves à besoins particuliers.
J’ai dans ma classe un élève de CM2 redoublant, avec un petit niveau de CE1. Il faisait partie du dispositif ULIS, en est sorti dernièrement pour des raisons de retard ou de perte de dossier MDPH (Maison départementale pour les personnes handicapées).
Comment envisager de faire passer les évaluations CM2 à un élève qui est incapable de faire 95 % des exercices demandés ? Et ce, alors qu’il est en train de s’habituer à une présence à 100 % dans la classe, alors que lui et moi prenons nos marques pour adapter son travail au quotidien et lui permettre de continuer à progresser. Dois-je vraiment mettre cet élève – à la confiance en soi fragile, évidemment – en situation d’échec pendant environ cinq fois quarante-cinq minutes, dès la deuxième semaine de classe ? Alors que nous différencions au quotidien, comment peut-on réduire la différenciation sur les évaluations à de la mise en page – comme c’est le cas dans les « livrets adaptés » qui sont proposés ?
Alors, je ne lui fais pas passer les évaluations. Il sera noté absent. Mais si je n’ai pas de problème à justifier ce parti pris pour le bienêtre de cet élève (soutenue en cela par sa famille), en même temps, je m’interroge : à l’heure où les évaluations nationales prennent de plus en plus d’importance dans les politiques éducatives locales (jusqu’à l’orientation des formations), est-ce que je ne participe pas contre mon gré à une certaine invisibilisation des élèves à besoins particuliers ?
Dans ma classe se trouve également une élève arrivée de Turquie au mois d’avril. Elle a bénéficié de trois mois d’UPE2A avant que la collègue parte à la retraite et que le demi-poste sur notre école disparaisse. Comment prendre le temps de vérifier sa compréhension des exercices, ou de les lui traduire au moment de la passation ? Pourquoi lui demander d’identifier les noms, les verbes, les adjectifs ou des mots de la même famille, alors qu’elle essaie de mémoriser le français de base pour communiquer avec ses camarades et sa maitresse ?
Pendant le temps de classe habituel, sa meilleure stratégie d’apprentissage – en tout cas la plus efficace pour l’instant – consiste à imiter ce que font les autres. Dois-je lui interdire de chercher la compréhension dans les réponses de ses camarades pour que l’évaluation reste personnelle ? Où peut-on indiquer en entrant les résultats des élèves que cette élève ne parle pas encore français ?
Ce ne sont que deux exemples parmi d’autres qui font ressortir, à mon sens, l’absurdité de la démarche… Comme dans toutes les classes, une grande partie de mes élèves a des besoins particuliers. Au quotidien, j’essaie de m’adapter aux besoins de tous et toutes. Les évaluations nationales ne permettent pas de mesurer les compétences de chacun et chacune tout en gérant les spécificités de tous.
Soit. Je ne m’en sers donc pas pour orienter ma pédagogie. Mais alors comment accepter le pilotage par les évaluations nationales ? Comment accepter que les résultats des évaluations nationales soient le seul prisme par lequel on observe désormais l’école (ou en tout cas un prisme qui prend de plus en plus de place) ?
On nous demande de dédramatiser la passation pour que ces évaluations ne fassent pas violence à nos élèves. Bien sûr. Mais, alors que j’expliquais à la classe que ces évaluations avaient une importance toute relative et qu’il était – comme toujours – autorisé, voire normal (surtout au vu de la difficulté de certaines épreuves) de se tromper, une de mes élèves m’a demandé si j’allais montrer les résultats aux parents. Et voilà, c’était suffisant pour faire monter la pression.
Je ne montre pas particulièrement les évaluations formatives aux parents. Elles servent en classe, aux élèves et à moi, pour ajuster les apprentissages. Et la pression retombe, loin du regard des autres. Les élèves acceptent d’écrire « je ne sais pas, tu peux venir m’expliquer ? » comme réponse à une question. Ils et elles acceptent de faire seul, sans aide, pour se tester.
La pression revient quand revient la peur du jugement, les enjeux familiaux autour de la réussite scolaire, la comparaison aux autres. Tout ce que permettent les évaluations nationales…
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