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Évaluation : lire plutôt que corriger des élèves-auteurs

L’objectif de cette équipe d’un collège : transformer l’acte d’évaluation en un véritable dialogue entre lecteur et auteur, afin de nourrir la posture d’écrivain chez les élèves. En misant sur l’émotion, l’intérêt et le questionnement du texte, deux professeures de français donnent du sens au travail d’écriture et valorisent la singularité de chaque production.

Nous enseignons dans un collège de centre-ville à Montreuil, caractérisé par une grande hétérogénéité. Certains élèves adoptent spontanément une posture d’auteur, quand d’autres peinent encore à entrer dans l’écrit. Face à cette diversité, une question s’est imposée à nous : comment instaurer un dialogue individualisé avec chacun ? Comment faire en sorte que tous aient le sentiment d’être lus, et pas simplement corrigés ? Nous nous sommes livrées à des expérimentations en classe de 4e et 3e.

Au sein du LéA PACE (Posture d’auteur et compétences d’écriture), nous ouvrons une réflexion sur la posture d’auteur de nos élèves. Nous cherchons notamment comment mieux les accompagner à exprimer leur subjectivité, à déterminer leur intention d’auteur et à faire preuve de réflexivité sur les choix effectués en vue de toucher le lecteur1. À cette fin, nous nous sommes fixé un objectif intermédiaire qui vise à interroger notre propre déplacement : comment le changement de notre posture de lectrice-évaluatrice influe-t-il sur la posture d’élève-auteur ?

Un espace de dialogue

Notre objectif était double : d’une part, que l’élève prenne conscience qu’il écrit pour être lu (et pas seulement être corrigé), qu’il découvre que son texte a un certain effet sur le lecteur. D’autre part, nous cherchions à faire évoluer les critères d’évaluation afin que celle-ci ait plus de sens, tant pour le professeur que pour l’élève.

Nous avons ainsi tâché d’ouvrir un dialogue, un espace entre eux et nous, afin que professeures et élèves sortent du carcan de la seule lecture-correction. Il ne s’agissait plus seulement de relever les erreurs et de faire respecter le « code », mais de nous positionner comme lectrices, attentives à la singularité de chaque texte.

Notre réflexion a été nourrie par les apports de chercheuses qui nous ont présenté les travaux sur l’investissement émotionnel du lecteur dans sa lecture de textes de fiction2. Partant de cet horizon théorique, nous avons tenté d’adopter une posture d’évaluation fondée sur la réception affective des textes en faisant de la correction un espace de dialogue, où l’élève-scripteur et l’enseignant échangent sous la forme d’un questionnement fécond, constructif et bienveillant.

À partir de cette idée, nous avons tenté d’adopter une posture de lectrice des textes d’élèves fondée sur le questionnement : des questions posées au texte, au scripteur, qui ouvrent un espace de dialogue et permettent une lecture plus impliquée.

Une nouvelle manière de lire et d’annoter

Il s’agissait de lire autrement des écrits d’imagination et des dossiers autobiographiques, en sortant des critères d’évaluation classiques et restrictifs, notamment ce critère d’originalité si difficile à envisager.

Une nouvelle forme d’annotation a été expérimentée, moins injonctive et aride – du type « développe », « explique » – et plus personnalisée. Une annotation dont la trace serait pour l’élève le signe qu’il a été lu (et par là-même évalué), mais sans ce caractère définitif qui clôt le travail, impression souvent redoublée par la note chiffrée. À cet égard, les annotations globales, en tête de copie, sous forme de questions se sont avérées pertinentes : le dialogisme inclut de facto l’élève dans l’évaluation, tout en l’invitant à aller plus loin, dans un après, une relecture de son texte3.

Deux questions apparaissent donc sur la copie :

  • La première question relève de l’axe « émotion ». Au sens large, cela s’apparente à un « Comment m’as-tu touchée ? » afin que l’élève éprouve ce pouvoir du texte littéraire à tisser un lien avec son lecteur, à créer de la proximité. Selon le sujet donné, la question peut être affinée : « Comment as-tu évoqué l’étrangeté ? », ou « Comment m’as-tu donné accès à celui ou celle que tu es ? », ou encore « Comment ton personnage m’a-t-il touchée ? »
  • La deuxième question s’inscrit dans l’axe « intérêt ». Elle vise à faire prendre conscience à l’élève des stratégies qu’il a – consciemment ou non – mises en place pour créer de l’inattendu, de l’improbable, pour donner une certaine complexité à son écrit : « Comment ton texte m’a-t-il fait réfléchir ? Comment ton texte m’a tenue en haleine ? Comment as-tu rendu la distance entre tes deux “je” autobiographiques ? »

Les réponses à ces deux questions prennent la place du traditionnel commentaire évaluatif en tête de copie4 et restent ouvertes : « Ton histoire m’amène à réfléchir au fait que l’on construit parfois soi-même son isolement par ses actes, ses attitudes. Comment pourrais-tu recentrer ton récit autour de cette idée ? » ; « J’ai été touchée de retrouver ce garçon sérieux mais aussi avide de légèreté. Comment ta fin, un peu abrupte, pourrait-elle rendre cette légèreté ? »

Des commentaires colorés

L’annotation dans le corps du texte peut, quant à elle, se signaler par des couleurs : une pour « l’émotion », une pour « l’intérêt », etc., de préférence éloignées des codes habituels de la correction, du type rouge-vert. Des passages du texte peuvent être coloriés ou soulignés puis commentés dans la marge. Ces commentaires peuvent exprimer un ressenti (« Tu arrives à me faire voir la misère de cette famille ! ») ou approfondir avec une nouvelle question (« Comment ton récit pourrait ici me faire comprendre que les actions de ton personnage, son comportement, sont aussi responsables de son isolement ? »).

Les questions et commentaires relevant de l’axe « intérêt » peuvent attirer l’attention de l’élève sur un procédé qu’il a utilisé et qui a eu un certain effet sur le lecteur (une énumération, une métaphore, etc.) ou une stratégie particulière (une description, un dialogue, etc.) ou lui suggérer un geste de reprise (un passage à couper, à étoffer, etc.).

Cependant, la question a valeur de conseil et une réponse n’est ni obligatoire ni systématique. La question peut d’ailleurs se suffire à elle-même, son rôle étant d’inviter l’élève à revenir vers son texte.

En découvrant leur copie annotée, il est d’ailleurs frappant de voir comme ils s’immergent dans leur lecture. Une élève nous a même demandé timidement si elle pouvait nous répondre. D’autres expriment spontanément le désir de modifier leur texte. D’autres encore manifestent leur hâte de se lancer dans une nouvelle production, conscients désormais « qu’avec [notre] ressenti, on sait ce qui peut plaire ».

Des retours très positifs

« Cette façon d’évaluer est bien, car elle ne relève pas que les mauvaises réponses et elle crée une certaine proximité avec l’écrivain en posant des questions. Elle t’aide à revoir ton texte avec précision. J’aime bien les questions que l’on pose, ça aide à réfléchir sur son texte. » « Proximité », « écrivain », « revoir ton texte avec précision », « réfléchir à son texte » : le bilan de Paul (élève peu porté sur l’écrit et la lecture) parle de lui-même.

Les retours des élèves ont été globalement très positifs : ils ont apprécié une évaluation perçue comme plus personnelle et engageante, qui valorise leur singularité et l’impact émotionnel de leur récit. Cette approche a renforcé chez eux la conscience d’écrire pour être lu.

Deux élèves ont toutefois exprimé le besoin de repères plus objectifs ou plus normatifs : « Il faudrait faire en sorte qu’une partie du barème soit en rapport avec les fautes d’orthographe, la manière dont c’est expliqué, etc. »). L’un est un élève d’un bon niveau, avec une certaine exigence, et l’autre une élève scolaire, mais en difficulté dans les travaux d’écriture. Pour ces élèves, les critères formels sont sans doute rassurants : ils leur offrent un cadre plus clair, habituel, limitant l’incertitude et la subjectivité du correcteur.

Si cette forme d’évaluation a été perçue par la plupart des élèves comme une forme de reconnaissance valorisante, cela interroge aussi, pour certains, la place de l’émotion et de la subjectivité dans l’évaluation et la frontière entre lecture subjective et jugement scolaire. Ces réactions montrent que nos élèves se posent, tout comme nous, des questions fondamentales sur l’évaluation qui continuent de nourrir notre réflexion au sein du LéA.

Un bilan stimulant et rafraichissant

Du côté de « la lectrice » aussi, le bilan est positif et stimulant. Adopter ce dialogisme, explorer ce double axe émotion-intérêt nous a ouvert de nouvelles perspectives. Ce simple changement a permis un déplacement dans notre posture de correctrices : nous nous sommes autorisées à lire les textes de manière plus « intime », à y entrer avec curiosité, à interroger ce qui nous touchait…

Cette manière d’évaluer nous a obligées à mettre en avant les aspects positifs des travaux des élèves, contrairement aux évaluations critériées classiques où nous avons tendance à noter surtout ce qui ne va pas, ce qui devrait être amélioré ou retravaillé.

Se placer du côté de l’émotion aide à trouver un nouvel accès aux textes de nos élèves. En y accédant comme lectrices (via l’émotion), nous avons pu plus facilement trouver l’axe à améliorer ou à interroger (l’intérêt). Quant au questionnement, il nous a permis d’appréhender autrement les productions.

Entrer en dialogue avec nos élèves a facilité une certaine mise à distance, chaque nouvelle interrogation nous offrant une nouvelle vue sur leur texte, un nouvel « espace » à explorer. Ce déplacement s’est avéré rafraichissant pour l’évaluatrice, et profondément touchant et enthousiasmant pour la professeure qui découvre le potentiel littéraire de ses élèves.

Ce que cela change pour nous… et pour eux

Ce travail a modifié notre posture d’enseignantes, mais aussi celle de nos élèves.

Pour les élèves, cela renforce la conscience d’écrire pour être lu, et non pour être évalué. Ils entrent plus volontiers dans une posture d’auteur, osent davantage, se relisent avec plus de recul. Ils apprécient que leurs textes soient considérés comme des objets littéraires. Certains nous ont confié qu’ils se sentaient pour la première fois autrices ou auteurs.

Pour nous, cela redéfinit notre rôle : nous ne sommes plus seulement « gardiennes du code5 », mais colectrices engagées dans une démarche de valorisation. Ce changement de posture nous permet aussi de mieux accompagner les élèves les plus éloignés de l’écrit.

Ces expérimentations ne vont pas sans difficultés : le temps que cela demande, la nécessité d’accepter de ne pas tout corriger, le risque que certains élèves ne perçoivent pas l’exigence derrière la bienveillance. Mais les effets observés sur la confiance des élèves, leur engagement et la qualité de leur production nous encouragent à poursuivre dans cette voie.

Marion Gazères et Carine Chagneau
Enseignantes au collège Marcelin-Berthelot de Montreuil

À lire également sur notre site

Les preuves à l’épreuve, par Laurent Reynaud

Enseigner avec l’écrit, par Hélène Eveleigh

Du Chat botté et autres métamorphoses, première et deuxième parties

Comment interroger sa pratique d’enseignement de l’écriture ?, par Claire Joubaire


Sur notre librairie

Notes
  1. Catherine Tauveron et Pierre Sève, Vers une écriture littéraire ou comment construire une posture d’auteur à l’école de la GS au CM, Hatier, 2005.
  2. Voir Vincent Jouve, Pouvoirs de la fiction. Pourquoi aime-t-on les histoires ? Armand Colin, 2019.
  3. L’autrice (et ancienne professeure) Jeanne Benameur évoque cette nécessité des « allers-retours entre soi et le texte » pour parvenir à « voir vraiment son texte ». C’est dans cet espace et ce temps de la relecture que le scripteur deviendra auteur. (Vers l’écriture, récit de transmission, Actes sud, 2025, page 19).
  4. Les écrits ne sont pas notés mais évalués par compétences : « exploiter des lectures pour enrichir son écrit » ; « adopter des stratégies et des procédures d’écriture efficaces » ; « rédiger un texte dans une langue suffisamment maitrisée et compréhensible ».
  5. Voir cet article : Jean-Luc Pilorgé, Un lieu de tension entre posture de lecteur et posture de correcteur : les traces des enseignants de français sur les copies des élèves, Pratiques 145-146, 2010, p. 85-103.