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Du Chat botté et autres métamorphoses – deuxième partie

Partir d’un schéma mystérieux pour redécouvrir et réécrire un conte : voilà un chemin d’écriture surprenant mais « enchanteur », aussi bien pour les élèves que pour le groupe de conseillers pédagogiques et enseignants qui s’essayent à cette démarche. Dans cette seconde partie, on partage les réflexions des adultes, étayées par la rédaction du présent article.

Après avoir suivi le chemin d’écriture décrit dans la première partie de cet article, voici donc les enfants repartis avec leurs livrets lesquels contiennent des illustrations mais aussi un QR code permettant une écoute d’enregistrements de lectures à haute voix, des reproductions d’œuvres d’art en lien avec l’histoire, un descriptif des buts poursuivis par l’enseignant pour que les parents mesurent bien l’ampleur du travail réalisé : de véritables trésors !

À nous maintenant : « il n’y a plus qu’à » former les professeurs. Oui mais, il nous faut rompre l’enchantement et comprendre sa mécanique. À commencer, comme nous le propose Christophe, par interroger notre propre pratique d’écriture, à nous donner le projet d’écrire un article pour analyser et comprendre de l’intérieur ce qui entoure le processus d’écriture.

Pratique de référence

Dans une approche autobiographique, libre, chacun a écrit sa propre expérience de l’écriture. Et, nous relisant, nous observons qu’elle engage un rapport à l’écriture parfois positif hérité de l’enfance :
« J’ai gardé un souvenir puissant de mon année en CM2 : l’écriture d’un conte en groupe et la participation à un concours d’écriture. Une motivation, parmi d’autres. Mais un écrit pour être lu. Cette expérience a véritablement été fondatrice pour moi. »

Mais nous lisons surtout dans nos textes un rapport moins heureux puisant ses racines à l’école et toujours présent y compris dans notre activité professionnelle :

« Souvenir relié à l’enfance et à l’école lorsqu’il fallait raconter ses vacances, produire un écrit comme celui que je rédige en ce moment, est pour moi fastidieux. Le fait de partager ce genre d’expérience me donnait le sentiment de m’exposer à la fois au regard critique de mon maitre et au jugement de mes camarades. Je crois que j’aurais aimé avoir des textes génératifs, des systèmes comme celui du Chat botté qui permettent de se lancer, de se sentir moins vulnérable, de se sentir libre mais tout de même outillé. »

La part affective de l’écriture

« Cela fait écho à ma propre expérience d’écriture qui finalement ne se cantonne qu’à la sphère professionnelle : des mails, des comptes rendus, des diaporamas de formation… Ces écrits sont toujours complexes à rédiger pour moi, néanmoins ils n’engagent que peu la part affective de la production écrite contrairement à la plupart des tâches d’écriture proposées aux élèves dans des contextes scolaires. »

« Lorsque j’écris dans le cadre de ma fonction de formatrice, l’habillage de l’écriture me pose problème. J’éprouve de la difficulté à mettre en musique les idées et tout ce qu’il y a à dire. »

« Écrire m’est toujours apparu comme un fruit défendu : une volonté et un besoin de m’exprimer en silence qui, rapidement, furent rattrapés par une angoisse de la faute d’orthographe et de la construction grammaticale normée. Le désir d’écrire se transforme alors en contrainte orthographique et scolaire et ne laisse plus de place à la créativité. »

Cela n’a surpris personne quand nous avons constaté que cette expérience de l’écriture conduisait parfois même à effacer le sujet. Le « je » n’en vaudrait plus la chandelle ? « L’auteur de ces quelques lignes aurait bien aimé avoir un chemin aussi bien balisé. Cela lui aurait grandement facilité la tâche. »

Le plaisir des enfants à la réception de leurs livres nous est alors revenu : bien sûr que l’orthographe et la syntaxe sont importantes, mais le plaisir d’écrire, libéré de la contrainte de savoir quoi écrire, outillé pour pouvoir le faire… voilà une piste de réflexion intéressante ! « Lorsqu’on écrit soi-même et qu’on prend du plaisir à le faire, la formation à l’écriture devient un enjeu encore plus grand. On sait ce que cela représente, ce que cela apporte. Et au moment même où j’écris ces mots, je me rends compte que ce plaisir, nous en parlons peut-être trop peu en formation. Les obstacles, les difficultés, les remédiations et les objectifs, oui. Mais le plaisir dans tout ça ? »

Écrire un article ?

La proposition faite par Christophe de rédiger un écrit coopératif a donc été une opportunité mais aussi un défi à relever. « Le chemin tracé par le Chat botté nous invite à un voyage introspectif et collectif, où la réflexion sur notre propre rapport à l’écriture nourrit notre action de formation. En partageant nos expériences, en écoutant les voix des élèves et des enseignants, nous ouvrons la voie à un enseignement de l’écriture plus riche, plus authentique et plus épanouissant pour tous. »

« Écrire demande vraiment de se projeter vers le destinataire. Là un texte d’enfant destiné à être partagé, lu, socialisé, ici, cet article écrit pour être lu, pour convaincre de cheminer avec nous, pour partager un plaisir vécu, pour convaincre d’essayer ! »

Plus facile à dire qu’à faire. « La difficulté que j’éprouve à écrire est forcément partagée par un grand nombre d’élèves. Je me demande si les enseignants que j’accompagne, notamment lors de Constellations dédiées à l’écriture, ont conscience de cette difficulté que peuvent éprouver leurs élèves, de cette mise en danger liée à l’engagement de soi, au dévoilement de leur pensée au travers de leurs écrits. Chaque enseignant ne devrait-il pas questionner sa pratique d’écriture pour mieux accompagner ses élèves ? »

Mais cela n’est peut-être qu’un arbre qui cache une forêt, parce qu’en réalité la peur d’être jugé n’est jamais très loin. Et elle fonctionne sans doute ici : « Et si notre texte n’était pas publié ? »

Le groupe qui porte

Écrire, pour nous comme pour nos élèves, nécessite un cadre sécurisant. Le nôtre, l’un d’entre nous s’en est fait le garant en coordonnant la démarche et le texte. Chacun a dû écrire. « Je n’aurais jamais écrit ça si je n’avais pas été portée par le groupe », « protégé et sécurisé par le groupe ».

Les textes seront collégialement lus sans être commentés. Des parties des textes seront supprimées au motif qu’un critère n’est pas respecté et uniquement sur cette base explicitement posée. Les personnes ne seront pas jugées. « Difficile de biffer des pans entiers dans nos textes sans blesser ni se sentir blessé. Le cadre bienveillant est sans cesse rappelé. »

Les bouts de textes deviendront matériau commun sur lequel nous travaillerons pour faire progresser notre réflexion. Voici donc placée dans la balance la question de la bienveillance, du cadrage de l’écriture, et une question relative à l’évaluation (autour de la détermination de critères et d’indicateurs) que nous n’avions pas pressentie. « Et tout le monde a joué le jeu, à l’heure ou en retard. Finalement, le plus important, c’est qu’on se soit tous jetés à l’eau, sans exception. »

« À mes yeux, le groupe ressort renforcé de ces séances. » Un groupe qui n’existait pas vraiment en tant que tel avant ce projet. « Le mot qui me vient à l’issue de cette matinée, c’est « confiance ». » De fait, une communauté d’apprenants s’est formée au cours de ce travail. « Partager les textes et les traiter collectivement et en transparence, avec un critère explicite, ça nous permet aussi de nous détacher de nos écrits. Ça n’est plus une relation duelle (moi et mon texte, moi et le lecteur, toi en premier lieu) comme le premier envoi. Ça ouvre : nous et nos textes, nous et notre texte. »

Au final, que le texte soit publié ou pas devient absolument secondaire, un collectif s’est créé autour d’une question professionnelle. « Tu veux pas qu’on refasse un groupe l’année prochaine ? » Le texte constituera la trace d’une pensée qui s’élabore, et c’est peut-être là que le plaisir se situe en constatant le chemin parcouru. La réalité l’emporte sur l’enchantement et rien ne s’oppose à ce qu’elle soit enthousiasmante et porteuse de changement sur notre action de formateur.

Sécuriser le cadre

« En classe comme dans notre collectif de formateurs, la mise en œuvre de ce double dispositif (celui à destination des élèves et le nôtre) coopératif1, a permis de constituer une communauté apprenante dans laquelle chacun est libre de s’exprimer, d’élaborer sa pensée en respectant le cadre fixé dont le pilier est la bienveillance. Cet « ensemble » constitué apporte la sécurité affective nécessaire à l’apprentissage.

Ce constat m’amène à penser cela comme un incontournable de la formation. Il me semble primordial en effet pour enrôler les enseignants dans les constellations de garantir cette sécurisation que seule la communauté apprenante peut apporter. Le fait de vivre à travers ce (double) chemin d’écriture une expérience de partage, de réflexion, de cheminement, de mise en danger m’a non seulement permis de conforter cette idée mais m’a également permis de vivre et de penser cette communauté apprenante. L’envie est donc forte de pouvoir transférer ce vécu en formation, de constituer des communautés apprenantes. »

Mais en fin de compte c’est la situation elle-même qui fonde tout ce travail et génère cette communauté : les CP RFC ne se connaissaient pas vraiment avant. Cela permet de nous référer à une approche dite située des apprentissages. Une telle approche se fonde sur la nature fondamentalement sociale et contextualisée de la pensée et de l’apprentissage, dont Dewey et Vygotsky sont deux sources fondamentales et unanimement reconnues2.

Et nous avons pu relire le prescrit en le comprenant d’autant mieux : il est attendu des élèves d’élémentaire (cycle 2 et 3) qu’ils puissent écrire un texte adapté à son destinataire et le réviser. Cela sous-entend très explicitement qu’un texte doit avoir un destinataire et que l’on s’intéresse précisément à la révision.

Et le numérique ? Il prend ici toute sa place, car « au-delà des modalités de saisie et de mise à distance de l’écrit que le numérique peut apporter c’est à la socialisation des écrits produits qu’il aura contribué. Les élèves ont ainsi pu donner à entendre aux familles et camarades une version interprétative de l’écrit produit collectivement. »

Un dispositif professionnalisant

Nous conclurons en soulignant la vertu professionnalisante de ce dispositif d’écriture autogéré entre pairs (ce texte même). Il aura été vécu ainsi parce qu’ancré dans la complexité du texte, produit et processus, mais également dans la singularité des rédacteurs. Il aura permis de considérer une composante psychosociale de la situation d’écriture autre que le texte lui-même : le rédacteur, la communauté de pairs dans laquelle il s’insère et à laquelle il s’adresse.

C’est aussi ce que rapporte l’enseignante de la classe au sujet du dispositif d’écriture concernant les élèves « ce travail nécessite une implication de chacun sur plusieurs semaines pour obtenir une œuvre unique, valorisant chaque élève dans son travail d’écriture. Quel plaisir de voir leur émerveillement et leur fierté en découvrant mutuellement leurs œuvres. Ils m’ont même demandé si nous pouvions refaire un autre conte ! »

Pointent ici et là quelques indices de nos propres processus de professionnalisation ce que résumera parfaitement l’une d’entre nous au café après une séance dense et productive : « Franchement avec tout ce travail, j’ai franchi un sacré pas. »

Christophe Blanc (coord.)
Conseiller pédagogique et docteur en sciences de l’éducation
Aurélien Brendel, Marc Celton, Olivier Fosse, Pierre Lefranc, Claudie Malaganne, Noémie Martin, Arnaud Meyer, Ronan Pogam, Karine Rabanit et Viviane Vincent
Conseillers pédagogiques référents français de circonscription ou numérique à Courbevoie et à Paris
Julie Schlechauf
Professeure des écoles à Paris

Première partie de l’article.


Sur notre librairie :

Écrire pour être lu
Ce dossier s’inscrit dans une réflexion critique menée sur les « fondamentaux » à l’école énoncés dans les discours injonctifs (« lire, écrire, compter, respecter autrui »). Il s’agit de s’interroger à la fois sur le sens à donner à l’écriture des élèves (qu’écrivent-ils, pourquoi, pour qui ?) et sur l’apprentissage du geste.


Notes
  1. Comme le rappelle Sylvain Connac, est coopératif « ce qui correspond à une action combinée (il n’est pas possible de coopérer avec soi-même), ce qui est le résultat d’une intention (on ne coopère pas sur ordre) et ce qui conduit chacun des coopérateurs à en tirer un bénéfice personnel (pas forcément identique ni de même intensité). Ainsi, pour coopérer, il est nécessaire de réaliser une action à plusieurs, dans un même espace, acceptée et permettant à chacun d’en sortir grandi. » Voir Sylvain Connac, « Une nouvelle déclinaison de la coopération entre élèves ? », dans Christophe Blanc et François-Xavier Bernard (dir.), Enfants conférenciers. Une expérience éducative, sociale et culturelle, Dunod, 2021, p. 279-286.
  2. Voir Christophe Blanc, « Enfants conférenciers, vers un cadre pour analyser l’activité », dans Christophe Blanc et François-Xavier Bernard (dir.), Enfants conférenciers. Une expérience éducative, sociale et culturelle, Dunod, 2021, p. 236-245.