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Du Chat botté et autres métamorphoses – première partie

Partir d’un schéma mystérieux pour redécouvrir et réécrire personnellement un conte : voilà un chemin d’écriture surprenant mais enthousiasmant, aussi bien pour les élèves que pour le groupe de conseillers pédagogiques et enseignants qui s’essayent à cette démarche. Dans cette première partie, on suit les élèves sur le chemin.

« On a besoin de rien sur les tables. » Distribution aux élèves du schéma ci-dessous, composé de symboles géométriques, de flèches. Sans légende, sans texte. Brut. Ça chuchote, ça murmure, ça bruisse. « Qu’est-ce que c’est tout ça ? »

Schéma proposé pour l’histoire du Chat botté dans les « Chemins d’écriture ».

Les questions fusent. Chacun y va de son idée. « On dirait des tuyaux où passe de l’eau ! » La séance est guidée par Christophe, initiateur de cette démarche. Il demande aux élèves de décrire ce qu’ils ont sous les yeux. Des formes, des flèches. « Ça ne devait pas être du français ? » se dit-on entre observateurs1. Et soudain, « moi, je2 trouve que ça raconte une histoire ». « Ah bon ! »

Chaque symbole est relevé. Les élèves « racontent » le système, le relisent et le système est peu à peu reconstitué au tableau. Ils sont subrepticement entrés dans les pas du Chat botté par un processus méticuleux tissant peu à peu un lien entre l’observation fine, l’élaboration langagière et la trame d’une narration. Le temps nécessaire est donné à chacun pour penser et construire ses phrases. L’écoute est active pour prendre efficacement la suite des propositions des camarades. Le chemin commence. Certains élèves entrevoient déjà la logique du système : « J’ai l’impression que c’est une histoire, on voit les mêmes formes à différents endroits. »

Quête de sens

À la fin de la séance, le mystère est levé : on lit l’histoire. Chaque élément représenté prend tout son sens. « J’avais beau avoir retourné le document dans tous les sens, je ne l’avais pas remarqué », confie l’un d’entre nous. L’adhésion des élèves est totale. Ils sont pleinement investis dans une véritable quête de sens et prennent un vif plaisir à le voir prendre forme sous leurs mots et leurs yeux.

Puis vient la mise en projet d’écriture présentée par Julie, l’enseignante, formée à cette démarche : « Nous allons chacun écrire le texte de cette histoire, pas à pas, chapitre par chapitre. » Pour préparer l’écriture individuelle des textes, les élèves sont invités à construire oralement et collectivement leurs propos. Chacun peut s’essayer. Les idées de chacun peuvent devenir les formulations de tous. Ici encore le guidage enseignant est fort. Les élèves reformulent les éléments du chapitre en s’aidant du schéma, l’enseignante note au tableau les éléments essentiels qui doivent apparaitre, le vocabulaire qui peut être utilisé…

Les élèves débutent ensuite l’écriture individuelle. Julie circule, apporte un étayage spécifique à ceux qui en ont besoin. À la fin de la séance, des relectures collectives sont proposées dans le but d’améliorer les textes grâce aux interventions des uns et des autres.

Premier jet et révision

Les premières modifications apportées, l’enseignante ramasse ce premier jet qu’elle saisira, prendra en charge une (majeure) partie des erreurs3 et commentera les écrits pour aider les élèves à les améliorer. Et lorsque l’élève recevra son texte à réviser, il le modifiera, l’enrichira, le corrigera en s’appuyant systématiquement sur le système décortiqué à nouveau. Une nouvelle relecture par les pairs permettra une finalisation du chapitre.

Cette phase de réécriture est fastidieuse pour certains mais est accompagnée d’un regard bienveillant assorti de commentaires positifs qui poussent chacun à améliorer son texte. « Ce n’était vraiment pas facile. » « C’était dur parce qu’on devait chercher des connecteurs de temps. » « On faisait trop de répétitions. » Réécrire est vécu pour certains élèves comme compliqué, mais cela leur permet aussi de prendre conscience de connaissances nécessaires pour aboutir à un écrit : les reprises anaphoriques, les connecteurs, la cohérence du texte. Chaque étape du système est ainsi rédigée de cette façon.

Six semaines plus tard, délai moyen nécessaire pour mener ce type de projet d’écriture, les élèves ont rédigé, réécrit les différents chapitres de l’histoire et l’enseignante leur remet enfin leur livre, leur (ré-)écriture de l’histoire. L’excitation est palpable, le plaisir de recevoir l’aboutissement de leur travail est visible.

Livres de cinq élèves de CE2.

Ils sont fiers : « C’était long, j’ai beaucoup travaillé, mais ça donne un beau résultat. » « Je vais le lire à ma petite sœur ! » « Waouh, tu as vu, je suis devenu écrivain ! » « C’est trop bien ! »

Enchantements

L’enchantement selon Samuel Coleridge4 est « une suspension volontaire de l’incrédulité ». Nous y avons succombé !

Ce qui est saisissant lors de la phase de découverte du système, c’est de voir tous ces élèves émettre des hypothèses, chercher une signification sans que la moindre consigne ne leur ait été donnée – ce que l’on peut concevoir comme un inducteur de problématisation5 dans le sens où l’on aura organisé la situation de sorte de les élèves soient conduits à problématiser tout en évitant soigneusement de le faire à leur place. L’enseignant observe, distribue la parole, rebondit sur les propositions des élèves pour les aider à justifier leurs propositions, décrire plus précisément…

Le discours des enfants est d’abord très descriptif puis les liens entre les symboles émergent jusqu’au moment magique où un élève s’exclame : « C’est l’histoire de la tuile ! » (symbole représentant le Chat botté sur le schéma ci-dessus). L’enseignante peut alors lire le conte, le mystère est résolu !
Un élément essentiel est apparu lors de cette première séance : laisser à chaque élève le temps de formuler son propos, de préciser sa pensée, de répéter ce qu’a dit son camarade, de chercher à construire un problème.

« Ce qui m’a marqué dans la démarche, c’est l’enrôlement des élèves dans la tâche d’écriture. » Des zones ou chapitres ont été repérés et notés sur une affiche : « le plan du chat » « au secours » « coup de foudre », les symboles ont été légendés : nous observons Christophe construire un guide, le cadre avec les élèves, les conduisant dans des recoins assez inaccessibles de prime abord et « ça marche incroyablement bien ».

Compter sur la diversité

« J’avoue que je craignais que tous les textes soient les mêmes quand l’activité individuelle écrite a commencé. » C’était sans compter la diversité de chacun. « Oui, chaque texte raconte la même chose, dans le même ordre et la structure travaillée pendant la phase orale est parfaitement respectée. Et pourtant, chaque texte est différent, unique. Chaque élève est bien auteur de son propre texte, c’est remarquable ! » Tout ce qui est mis en place ‒ le schéma, les interventions de l’enseignant en amont, les affichages de vocabulaire ‒ est là pour libérer les élèves d’une charge et ainsi les laisser s’exprimer.

Ce travail de préparation en amont, depuis la première séance, est le terreau de tout ce qui est produit.
Et puis ces questions qui marquent une résistance à l’enchantement : « On est où là ? En technologie ? En mathématiques ? » Pour être tout à fait honnête, lorsque le système a été distribué, moi aussi je me la suis posée. Et aussi « Mais comment, en six semaines, les élèves peuvent-ils passer d’un système composé uniquement de flèches, de symboles et de formes géométriques à l’écriture intégrale d’une adaptation riche du conte tout en restant motivés ? »

Il est temps de lever un peu le voile sur les intentions des coauteurs de ce texte afin de dépasser l’enchantement. Nous nous sommes donné pour cadre un dispositif, « un espace de créativité » selon Jean Chami6, emboité, impliquant d’une part vingt-cinq élèves de CE2 sur le chemin d’une écriture/réécriture d’un conte traditionnel (le Chat botté) et d’autre part, onze conseillers pédagogiques référents français de circonscription (CP RFC) se questionnant au sujet de la formation d’enseignants à la production textuelle.

In vivo

Cela nous aura conduit dans un premier temps à venir observer in vivo à plusieurs reprises le cheminement des élèves. Mais au-delà, cela nous engagera dans un second temps dans une démarche d’analyse des pratiques professionnelles autour de notre propre rapport à l’écriture que l’on peut reformuler simplement ainsi : faire écrire les élèves soit mais écrivons nous-même (sur ce sujet par exemple) pour analyser ce qui se fait, ce que ça fait.

Pour ce faire, nous nous sommes donc pris pour objet d’étude et nous sommes attachés à « investiguer les discours, les ressentis »7. Et nous avons entrepris de relire cette expérience sous l’angle de notre propre professionnalisation, laquelle désigne « un processus de formation fondé sur la réflexion rétrospective et anticipatrice de changement sur l’action » selon Richard Wittorski8.

Le but de cet article n’est ainsi pas tant de décrire le dispositif « Chemins d’écriture »9 que de donner à lire un cheminement collégial et personnel, coopératif, passant et dépassant l’enchantement, permettant de réfléchir – c’est si précieux – à une professionnalisation entre et par les pairs, en actes, prenant à notre propre compte le célèbre learning by doing de Dewey (on ne peut dissocier le savoir du savoir-faire).

(suite de l’article vendredi prochain)

Christophe Blanc (coord.)
Conseiller pédagogique et docteur en sciences de l’éducation
Aurélien Brendel, Marc Celton, Olivier Fosse, Pierre Lefranc, Claudie Malaganne, Noémie Martin, Arnaud Meyer, Ronan Pogam, Karine Rabanit et Viviane Vincent
Conseillers pédagogiques référents français de circonscription ou numérique à Courbevoie et à Paris
Julie Schlechauf
Professeure des écoles à Paris

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Écrire pour être lu
Ce dossier s’inscrit dans une réflexion critique menée sur les « fondamentaux » à l’école énoncés dans les discours injonctifs (« lire, écrire, compter, respecter autrui »). Il s’agit de s’interroger à la fois sur le sens à donner à l’écriture des élèves (qu’écrivent-ils, pourquoi, pour qui ?) et sur l’apprentissage du geste.


Notes
  1. Les observateurs sont les coauteurs de ce texte.
  2. Les différents je employés dans le texte renvoient à des propos formulés par l’une, l’un ou l’autre des coauteurs, que nous ne citerons pas pour ne pas alourdir inutilement le texte.
  3. L’enseignante organisera les phases de réécriture selon des directions précises système de temps verbaux et désinences verbales ; liens logiques et chronologiques ; guidage du lecteur (identification claire des buts et mobiles des personnages, états mentaux) ; orthographe – prenant à sa charge toute erreur qui ne serait pas l’objet central de la séance de réécriture. De sorte que la réécriture soit accessible aux élèves et que les travaux leur soient restitués sans comporter davantage de corrections que d’écrit de l’élève.
  4. Voir Yves Winkin, « L’enchantement : dispositif et disposition », dans Rachel Brahy, Jean-Paul Thibaud, Nicolas Tixier, Nathalie Zaccaï-Reyners (dir), L’enchantement qui revient, Hermann, 2023, p. 15–35. https://doi.org/10.3917/herm.brahy.2023.01.0015.
  5. Voir Michel Fabre, et Agnès Musquer, « Les inducteurs de problématisation », Les Sciences de l’éducation – Pour l’Ère nouvelle n° 42, 2009 , p. 111-129. https://doi.org/10.3917/lsdle.423.0111
  6. Jean Chami, « L’analyse des pratiques professionnelles : quelques repères », Savoirs n° 53(2), 2020, p. 11. https://doi.org/10.3917/savo.053.0011
  7. Jacky Beillerot, « L’analyse des pratiques professionnelles pourquoi cette expression ? », Cahiers pédagogiques n° 416, « Analysons nos pratiques 2 », 2003. https://www.cahiers-pedagogiques.com/l-analyse-des-pratiques-professionnelles-pourquoi-cette-expression/
  8. Richard Wittorski, « L’écriture sur la pratique comme outil de professionnalisation », Débats Jeunesses n° 12(1), 2003, p. 47–61. https://doi.org/10.3406/debaj.2003.1127
  9. Christophe Blanc et Valérie Neveu, Chemins d’écriture, Dunod, 2021.