Publications par Paul Jekelfalussy

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La question des codes

Pour quelles raisons les enfants des classes populaires, qui ne sont pas moins intelligents que les autres, se retrouvent-ils si souvent en difficulté scolaire ? Croisant recherche et expérience, l’auteure analyse la construction de la difficulté scolaire et du décrochage chez certains jeunes qui s’éloignent peu à peu de l’école, ou que l’école éloigne d’elle.

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Le collège et les pratiques numériques des adolescents

Dans ce dossier centré sur l’école, il ne faut pas oublier l’importance de la dimension territoriale. En matière de numérique, elle aide à comprendre comment se tissent les usages des adolescents et les conduites des parents. C’est aussi par le territoire que peut passer la réduction des inégalités, si la volonté politique s’y emploie.

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La mission grande pauvreté

Après avoir été Directeur général de l’enseignement scolaire au ministère de l’Education nationale, Jean-Paul Delahaye s’est vu confier par la ministre une mission sur « grande pauvreté et réussite scolaire ». Il fait le point sur ses travaux avec nous.

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Les classes sociales et l’école

Les études de mobilité montrent que la classe ouvrière est reproduite largement à partir d’elle-même (70 % environ des fils d’ouvriers sont ouvriers), de la classe paysanne et de la petite bourgeoisie ; les classes moyennes à partir d’elles-mêmes et, assez largement, des classes supérieures et ouvrières ; les classes supérieures à partir d’elles-mêmes et des classes moyennes. Si l’on impute non pas à des qualités psychologiques des individus (les aptitudes, les motivations, les désirs), mais à des déterminations structurelles (l’organisation de la production économique, les fonctions du système d’enseignement) la sélection qu’opère l’école, on voit que la question de la démocratisation doit être retraduite en ces termes : par quels moyens l’école joue-t-elle son rôle de conservation sociale ?

De nombreuses recherches ont mis en évidence que, à leur arrivée à l’école primaire, les enfants se différenciaient déjà fortement selon leur classe d’origine. Basil Bernstein a pu montrer qu’en Angleterre (mais ces résultats sont surement généralisables), il existe de grandes différences dans l’apprentissage de la langue entre les enfants des classes populaires et ceux des classes moyennes. Non seulement les conditions de l’apprentissage de la langue sont, selon Bernstein, différentes, mais la forme même de la langue apprise : celle des enfants de classe moyenne leur permet de se différencier du groupe, de prendre conscience de leur propre individualité, d’exprimer des nuances et facilite l’usage de l’abstraction. Comment s’étonner dès lors de leur meilleure adaptation ultérieure à l’école, si l’on reconnait là justement les caractéristiques de la langue de l’école et des instituteurs, membres eux aussi des classes moyennes ? L’élève de classe populaire dont la langue est syntaxiquement plus simple, et qui n’explique pas verbalement les nuances et l’intentionnalité dans les relations à autrui, doit, pour s’adapter, acquérir péniblement le code qui permet de répondre aux demandes de l’école et, en quelque sorte, de réussir une véritable acculturation.

Bien loin de n’agir que dans les premières années de scolarisation, cet effet d’héritage culturel joue encore un rôle important, même dans l’enseignement supérieur. Les travaux effectués par le Centre de sociologie européenne ont mis en évidence l’importance des savoirs et des dispositions à l’égard du savoir qui, tout en n’étant jamais explicitement transmis par l’école, jouent un rôle déterminant dans la réussite scolaire. Parmi les conclusions les plus importantes de ces recherches, on peut retenir :

1. La réussite scolaire des élèves dépend fortement de la familiarité avec la culture, familiarité qui n’est produite, dans l’état actuel de l’enseignement, que par l’application diffuse dans les familles cultivées. Cette relation est démontrée en particulier par le fait que le niveau de diplôme du père (ou de la mère) est plus fortement lié statistiquement à la réussite scolaire que, par exemple, le niveau socioéconomique.

2. Cette relation entre réussite scolaire et niveau culturel dépend en grande partie du caractère explicite de l’enseignement. Les techniques et méthodes de travail ne sont pas systématiquement enseignées à l’école, ce qui désavantage les élèves des classes populaires qui ne les possèdent pas naturellement (c’est-à-dire par le seul fait de la familiarité avec la culture scolaire) comme les élèves des classes supérieures.

3. L’analyse des critères implicites du jugement des enseignants (par exemple aux examens) montre l’importance de ceux qui réalisent les valeurs des classes supérieures (distanciations, désintéressement, brillant et habileté d’expression). D’une manière générale, l’école dévalorise ce qui est proprement scolaire (d’où la fréquence d’annotations dépréciatives reprochant à un travail d’être scolaire), et valorise ce qui ne peut être acquis au cours d’un apprentissage extrascolaire, c’est-à-dire, d’abord dans la famille : ce sont donc les élèves originaires des familles non cultivées (donc des classes populaires) qui sont condamnés à être scolaires et dépréciés par l’institution.

Ces analyses permettent de comprendre le rôle que joue l’école dans la reproduction de la structure sociale. En affirmant l’égalité (formelle) de chaque élève devant l’enseignement qui lui est offert, en sélectionnant préférentiellement par examens et concours, l’école fonde l’idéologie qui la justifie, et, traitant de manière égale des individus inégaux vis-à-vis d’elle, accomplit son rôle de différenciation sociale. Ainsi elle ne justifie jamais mieux la structure de la classe que quand elle ne semble poursuivre que ses propres fins (la sélection des meilleurs selon ses propres critères), transformant ainsi des différences sociales en différences scolaires. En ce sens, l’inadaptation apparente de l’école au monde moderne (programmes démodés, etc.) est plus fonctionnelle qu’il n’y parait : elle contribue à fonder l’illusion de l’autonomie de l’école et de l’action de ses agents. La diffusion parmi les enseignants du secondaire et, surtout du supérieur, de l’idéologie du don, qui interprète en termes d’aptitudes innées, et subsidiairement, de mérite individuel, et différences de réussite scolaire, montre que ce rôle de conservation sociale reste très souvent dissimulé aux agents mêmes de l’institution, ce qui s’explique partiellement par les critères selon lesquels les enseignants eux-mêmes ont été sélectionnés.

Nous voudrions, à titre de conclusion, mettre le lecteur en garde contre certaines lectures fautives, mais fréquentes, des travaux de sociologie de l’éducation dont nous avons rendu compte. En premier lieu, on ne saurait imputer à la volonté des agents de l’institution scolaire, et, d’abord, des enseignants, le rôle de conservation sociale de l’école. Comme les agents des autres institutions sociales, les enseignants ne sont pas, le plus souvent, en situation de percevoir immédiatement toutes les fonctions de l’institution qu’ils servent.

En second lieu, la mise en évidence de la fonction de conservation sociale remplie par l’école ne signifie pas que celle-ci conserve et reproduise à elle seule, en toutes circonstances, la structure de classe : l’affectation des travailleurs aux différents emplois ne dépend pas exclusivement de l’institution scolaire, puisqu’un nombre considérable de cadres moyens et supérieurs ne possède pas les diplômes qui correspondent formellement à leur emploi. L’école n’est pas non plus le seul agent d’inculcation idéologique ; la famille et, dans une mesure variable les églises, les partis politiques, les relations de travail jouent également un rôle important.

L’engagement des jeunes ici et ailleurs

« Les jeunes d’aujourd’hui ne s’engagent pas à l’exception d’une minorité, ils s’abstiennent aux élections et se replient dans leurs petits réseaux » ; « la jeunesse est formidable, elle s’attaque au vieux monde et est l’espoir d’un monde nouveau ». Autant de clichés simplistes qui sont loin de décrire une réalité bien plus complexe. Aussi lira-t-on avec intérêt le dossier du n°88 de la Revue internationale d’éducation (France Éducation international, ex CIEP) vient de faire paraitre un dossier « (S)’éduquer par l’engagement » coordonné par Valérie Becquet, chercheure à Cergy Paris-Université.

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En vrai, la cour de Babel n’est plus

À la faveur du formidable documentaire La Cour de Babel, les classes d’accueil pour enfants allophones montrent le visage d’une école éminemment démocratique. Et pourtant, une circulaire risque d’effacer la complexité si constructive du dispositif. Karine Risselin, enseignante en classe d’accueil au collège Jules-Ferry de Villeneuve-Saint-Georges, nous livre son témoignage, entre stupeur et inquiétude.