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Le chef d’établissement et la mise en place du PÉAC

Le chef d’établissement occupe un rôle central dans la mise en place du PÉAC. Initiateur, coordonnateur, facilitateur de rencontres, son rôle permet la mise en relation des structures culturelles locales et des enseignants.

Le collège Madeleine-Cros de Dourgne (81) est un établissement d’environ 400 élèves situé en zone rurale. Comme souvent pour ce type d’établissement, il ne bénéficie pas d’un environnement culturel important, ce qui rend difficile aux élèves l’accès à la culture. Il est par conséquent primordial de construire un PÉAC (parcours d’éducation artistique et culturelle) efficace qui leur permettra d’enrichir leur expérience du monde et de construire le capital nécessaire à une insertion sociale réussie.

Depuis plusieurs années, la communauté éducative s’est saisie de cet enjeu et propose de nombreux projets artistiques et culturels : art de la tapisserie et pixel art, kitchen lithographie, résidences d’artistes, partenariat avec la maison de retraite voisine, découverte en interdisciplinarité de la cathédrale d’Albi, hip-hop, participation au dispositif Collège au cinéma, sorties au théâtre annuelles pour l’ensemble des élèves, accueil d’une troupe de théâtre en langue anglaise, etc. Dix courts métrages sont réalisés tous les ans avec un cinéaste. Depuis peu, des œuvres picturales originales sont prêtées à l’établissement par l’artothèque du département et accrochées pour quelques mois aux murs des classes, y compris en physique-chimie. La culture est au centre de la liaison école-collège, avec un projet mené en partenariat avec un centre d’art contemporain et plusieurs écoles du secteur.

Ce projet ambitieux nécessite une forte implication du chef d’établissement qui, guidé par les textes législatifs et la création récente du Parcours d’éducation artistique et culturelle, occupe un rôle important de mobilisation des différents acteurs.

LE PILOTAGE DU PÉAC AVEC LES ENSEIGNANTS

L’envie des enseignants de faire vivre les arts et la culture dans notre collège est ancienne et dépasse le cadre des cours d’arts plastiques et d’éducation musicale. Ce dynamisme doit être encouragé et régulé, afin de constituer des parcours collectivement pensés. Pour parvenir à une cohérence globale, le premier travail que j’ai choisi de prendre en charge, dans le cadre du conseil pédagogique, a été de faire l’inventaire des actions culturelles et artistiques menées dans l’ensemble de l’établissement. Cela a permis de définir des priorités dans l’allocation des moyens financiers et matériels, de créer un équilibre qui évite les impasses et les redondances dans les différents domaines culturels. Cette démarche permet de passer d’une somme de projets d’enseignants à un projet de l’établissement collectivement pensé.

La circulaire de 2013 rappelle que l’ÉAC (éducation artistique et culturelle) ne se confond pas avec les enseignements artistiques et qu’elle vise prioritairement « expérience et plaisir esthétique », « appropriation de compétences et valeurs », « développement de la créativité », « tissage d’un lien social fondé sur une valeur commune ». Ces principes guident le projet de l’établissement qui doit en préciser les effets escomptés : ceux-ci peuvent être extrinsèques, c’est-à-dire liés au devenir global de l’élève (compétences sociales, capacités cognitives, estime de soi, etc.), ou intrinsèques, renvoyant directement au champ artistique (prendre conscience des émotions esthétiques, développer les qualités créatives, etc.).

Comme chef d’établissement, je joue donc un rôle d’impulsion, d’intégration et de régulation de l’ÉAC, mais aussi de facilitateur et d’encouragement. La taille raisonnable de l’établissement me permet de suivre de près l’ensemble des projets et d’amener progressivement les enseignants à formuler les effets recherchés. Pour cela, nous pouvons nous appuyer sur le référentiel, paru en juillet 2015, qui fixe les grands objectifs de formation et les repères de progressivité du PÉAC. La résidence d’artiste est un bon exemple du rôle qui revient au chef d’établissement : libération des élèves et des professeurs par la réorganisation des emplois du temps, détournement des espaces et du mobilier à des fins créatives, etc.

Dans toutes ces missions, le principal n’est pas seul. Il est secondé par le référent culturel de l’établissement qui formalise le PÉAC et en assure la diffusion, exerce une forme de veille culturelle et participe au suivi de certains projets. Il assure également le déploiement de l’application ministérielle Folios qui permet aux élèves de conserver une trace numérique de leur parcours.

LE PILOTAGE DES PARTENARIATS

De leur côté, les enseignements ne peuvent, seuls, mettre en œuvre les trois aspects complémentaires de l’ÉAC : voir, faire et interpréter. L’ÉAC doit être considérée comme une politique partenariale qui implique une ouverture du collège à d’autres lieux et à d’autres acteurs. Arts et culture sont liés à des pratiques sociales qui doivent être vécues comme telles par les élèves. Ceci est essentiel pour éviter l’écueil de la transmission d’un héritage par une école trop souvent vecteur d’une culture instituée, et qui ne laisse pas assez de place aux pratiques contemporaines, comme l’écrivent Marie-Christine Bordeaux et François Deschamps.

Les partenariats, essentiels, ne sont pour autant pas simples à mettre en place, en raison de la complexité des interactions entre les différents partenaires.

Mon expérience et mes recherches montrent que deux types de relations essentielles se mettent le plus souvent en place : la négociation et la coconstruction. Les partenaires de l’école et notamment les artistes doivent vivre l’ÉAC comme une expérience sociale, comme un temps de créativité ou de médiation culturelle qui s’articule avec le projet pédagogique des enseignants. Cette coconstruction impose la mise en place d’espaces de collaboration (en bleu sur le schéma) qui définissent précisément les places, les ressources et les rôles de chacun.

Concrètement, les chargés de missions et les médiateurs de structures artistiques partenaires sont régulièrement présents au collège, dans le cadre de réunions formelles pour le pilotage des projets et à l’occasion du suivi des actions. C’est au chef d’établissement qu’il revient de réguler les synergies dans des projets qui respectent l’équilibre entre les différents pôles de l’ÉAC. Il y a ici une fonction essentielle de médiation qu’il ne faut pas négliger : les élèves du collège ne doivent pas être considérés comme étant mis à disposition des projets portés par les structures culturelles. Les enseignants ne doivent ni considérer les partenaires comme des ressources au service exclusif du projet pédagogique, ni minimiser l’importance et la pertinence des ambitions propres de ces derniers. Les temps de négociation et de coconstruction sont donc essentiels pour éviter ces écueils.

UN EXEMPLE DE PARTENARIAT

Voici un exemple de projet construit en classe de 3e en adoptant les modalités de coopération décrites plus haut. Il constitue une base essentielle qui permet à chaque acteur de trouver sa place dans le projet. Notons également que ce projet dépasse le cadre du collège en ce que le public ciblé est constitué par les élèves de l’établissement et les pensionnaires de la maison de retraite voisine. Nous ne présentons à la suite que les objectifs visés pour les élèves.

Disciplines concernéesPartenairesDescription du projetObjectifs intrinsèquesObjectifs extrinsèques
Lettres
EPS
ADDA du Tarn

Comédienne :
S. Chabbert

Maison de retraite de Dourgne

Le passé recomposé

Collecter des récits de vie auprès de résidents de la maison de retraite pour les mettre en scène. Les résidents sont aussi acteurs de la pièce de théâtre créée, autour des élèves acteurs et metteurs en scène.
La pièce inventée est jouée en public en présence des familles de ceux qui ont confié un épisode de leur vie.

Susciter le discours de l’autre pour en faire un récit qui sera lui-même transformé en discours artistique. Découvrir des formes contemporaines d’écriture théâtrale qui mêlent danse, art visuel, performance, etc. S’impliquer dans les différentes étapes de la démarche de création. Jouer avec la subjectivité du rapport au monde en proposant des versions parodiques.Le lien social intergénérationnel : construire des aptitudes à s’adapter à la diversité des interactions sociales et en percevoir la richesse ; développer sa confiance en soi et l’écoute des autres dans un travail collectif ; affirmer ses choix, s’exposer au regard des autres ; lien avec le programme de français : l’autobiographie.

La formulation des objectifs intrinsèques et extrinsèques permet de comprendre le dialogue qui a pu naitre entre les différents acteurs du projet. Mais, au-delà des temps de construction du projet, c’est aussi dans les temps de co-intervention face aux élèves que leur collaboration a permis au projet de prendre tout son sens.

Le tableau ci-dessus permet de recenser les effets observés. Ceux-ci dépassent ce qui était escompté. En effet, je ne pense pas que tout le travail de réflexion et de planification exposé dans cet article doive être considéré comme l’essence du PÉAC. La démarche qui consiste à expliciter (entre partenaires, avec les élèves) les objectifs est essentielle pour aller plus loin collectivement. Elle doit être articulée avec l’idée de vivre l’ÉAC comme une expérience sociale particulière, dont la richesse ne peut effectivement être totalement anticipée.

Mon expérience de chef d’établissement et de chercheur me conduit à formuler quelques remarques sur l’intérêt de la formalisation du PÉAC dans les établissements scolaires. La compréhension du fait artistique relève de l’initiation à un niveau différent d’entendement du monde ou à une retraduction du vécu. Cette dimension initiatique est souvent exprimée dans mes discussions avec les enseignants, lorsque je cherche à faire sortir de l’implicite les objectifs de l’ÉAC. La circulaire de 2013, déjà citée, ne dit pas autre chose. Il s’agit bien de contribuer pleinement à la réussite des élèves par l’expérience esthétique et le plaisir, l’appropriation de savoirs, de compétences, de valeurs. Nous retrouvons, dans le discours institutionnel, ce qui est jugé comme étant le plus important pour les enseignants qui vivent l’art et à la culture comme le prolongement d’une passion personnelle : organiser la construction et l’épanouissement de l’individu dans son expérience de l’art.

La richesse de l’offre d’ÉAC dans un établissement scolaire contribue à créer une effervescence qui parvient à compenser le relatif éloignement des structures culturelles. Le collège peut devenir un espace ouvert qui accueille et fait rayonner les arts et la culture au profit des élèves. Selon Marcel Mauss, « l’art a non seulement une nature sociale, mais encore des effets sociaux ». Le PÉAC enrichit l’expérience du monde vécue par l’ensemble des acteurs.

Autant de raisons de s’intéresser de plus près au parcours d’éducation artistique et culturelle.

 

Olivier Rosan
Principal du collège Madeleine-Cros de Dourgne (Tarn)
Bibliographie

Marie-Christine Bordeaux et François DeschampsÉducation artistique, l’éternel retour ?, éditions de l’attribut, Toulouse, 2013.

Olivier RosanLa mise en œuvre de l’ÉAC : les conventions, supports de coconstruction d’une politique publique locale ?, mémoire de master de sciences politiques, mention gouvernance des systèmes éducatifs, IEP de Toulouse, sous la direction de Christophe Gaufras, 2015.

CONTEXTE
Une charte pour l’éducation artistique et culturelle
Faisant suite à la loi de 2005 et à la mise en place du PEAC, une charte pour l’éducation artistique et culturelle a été présentée en juillet 2016 par les deux ministres concernées, Audrey Azoulay (Culture) et Najat Vallaud-Belkacem (Éducation nationale). Cette charte affirme la nécessité d’une culture pour tous, de la rencontre avec les œuvres et les artistes, de l’importance de l’éducation artistique et culturelle dans la formation du sujet et du citoyen. Elle affirme l’importance de la démarche de projet dans la coopération entre les acteurs. Enfin, elle affirme la nécessité de la formation, gage de la reconnaissance mutuelle des différents partenaires. En voici quelques extraits.
« 1- L’éducation artistique et culturelle doit être accessible à tous.
2- L’éducation artistique et culturelle associe la fréquentation des œuvres, la rencontre avec les artistes, la pratique artistique et l’acquisition de connaissances.
3- L’éducation artistique et culturelle vise l’acquisition d’une culture partagée […]. C’est une éducation à l’art.
4- L’éducation artistique et culturelle contribue à la formation et à l’émancipation de la personne et du citoyen […]. C’est aussi une éducation par l’art.
6- L’éducation artistique et culturelle permet aux jeunes de donner du sens à leurs expériences et de mieux appréhender le monde contemporain.
7- L’égal accès de tous les jeunes à l’éducation artistique et culturelle repose sur l’engagement mutuel entre différents partenaires.
8- L’éducation artistique et culturelle relève d’une dynamique de projets.
9- L’éducation artistique et culturelle nécessite une formation des différents acteurs favorisant leur connaissance mutuelle.
10- Le développement de l’éducation artistique et culturelle doit faire l’objet de travaux de recherche et d’évaluation permettant de cerner l’impact des actions, d’en améliorer la qualité et d’encourager les démarches innovantes. »