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Mon ami l’arbre
Sur l’ile de la Réunion, le collège de Cambuston, établissement public de 600 élèves, s’étend sur un vaste parc arboré de trois hectares qui compte 122 arbres et arbustes tropicaux, pour certains en danger d’extinction. De nombreuses espèces exotiques et endémiques s’y côtoient : flamboyant, ylang-ylang, eucalyptus, camphrier, bois d’éponge, toto margot, bois de chenille, bois de senteur, etc. Deux siècles auparavant, il y avait là une forêt de « bois de couleur des bas », forêt tropicale, humide et fragile. Cet environnement exceptionnel nous a permis de concevoir un projet pédagogique qui s’inscrit dans l’environnement immédiat des élèves et dans leur histoire : l’arbre y trouve une place de choix, c’est le projet Mon ami l’Arbre. En voici la recette.
« Lorsque tu passes près du petit bois de sable,
Et plus tard lorsqu’il aura grandi et fleuri,
Arrête-toi un moment et écoute.
Ce que tu entends, c’est la parole des anciens bois de couleur
C’est la voix de tous les arbres1 »
Prenez une bonne dose d’enthousiasme, en germe dans chaque élève, ajoutez de la motivation et de la confiance à toute épreuve, beaucoup de persévérance, et surtout prévoyez du plaisir à partager.
Faites appel aux intelligences multiples des élèves en mixant toutes les disciplines : ils pourront mesurer la densité d’une forêt en mathématiques, trouver la racine des mots en latin, découvrir l’arbre du langage ou le jardin des mots en français, créer un kamishibaï sur les contes de Grimm en allemand ou en anglais, réaliser l’arbre généalogique de Pierre Poivre, un ami des arbres, ils fabriqueront un anémomètre, un pluviomètre en physique, un arboretum en sciences de la vie et de la Terre, participeront à une randonnée ou une course d’orientation en éducation physique et sportive, ou chanteront « Aux arbres citoyens » ou « Chanson pour un arbre » en éducation musicale : travaillez le motif de l’arbre.
Rythmez l’année par des temps forts pour créer la synergie.
Organisez un Arbrécédaire, des visites bucoliques mêlant le scientifique et le poétique pour les écoles, des rendez-vous aux jardins pour les parents et les habitants du quartier, un flashmob, un montage vidéo, et pourquoi pas une mise en scène interdegrés sur l’histoire d’un dernier arbre caché au fond d’un musée, ou sur des arbres voyageurs dans l’âme, sous la houlette d’un intervenant culturel.
« Chaque fois que tu plantes l’un des nôtres, dit-elle,
Tu gagnes l’ombre qui t’ouvre à la lumière
Tu te régénères à nos cimes »
Proposez des ateliers multiarts : ce pourrait être l’Art…bre, ou l’Arbre un être vivant et sensible ou Il était un arbre, Mon arbre intérieur, L’arbre bronchique, Promenons-nous sous les arbres, Jouons à l’arbre, Monsieur l’Arbre, etc.
Invitez les partenaires et la communauté scolaire à cette fête de l’arbre. Créez des énigmes autour des arbres ; elles seront à l’image de leur métissage : le petit baobab rappellera l’Afrique, les arbres voyageurs, Madagascar, l’ylang ylang Mayotte. Osez les mélanges pour laisser s’exprimer cette diversité culturelle comme une entrée heureuse dans les apprentissages et en rehausser le gout.
« Tu vois plus haut, tu vois plus loin
Tu prolonges un peu de vie
Pour toi, pour tes enfants, pour l’humanité entière »
Faites ensuite mijoter un florilège de textes en écriture plaisir, de dessins, de mandalas, un livre écorce, un herbier de bois de couleur, un mobile de poèmes feuilles, un arbre des quatre saisons, une fresque murale avec un artiste grapheur, des flamboyants miniatures en volume, des arbres à bijoux, à mots, du papier, des ciseaux, des couleurs, et même un circuit électrique en forme d’arbre, bien sûr ! Réservez.
Racontez le Voyage au pays des arbres de Jean-Marie Gustave Le Clézio, sous les arbres. Offrez à chaque classe participante un livre : L’homme qui dessinait des arbres, Mama Miti, la mère des arbres, Il était un arbre, etc., mais aussi un petit arbre à planter symboliquement pour créer des liens, un bois de couleur : bois de sable, bois d’arnette, ou bois de pintade.
« Chaque fois que tu accomplis ce geste de planter,
Tu rends à la Terre ce que tu lui as pris
Et la Terre te pardonne tes désastres »
Sous un beau flamboyant, le temps d’une rencontre avec Claire Gratias autour de son livre L’incroyable voyage de Simon, faites réaliser le portrait d’un oiseau « en ayant soin de ne toucher à aucune de ses plumes », aurait écrit Prévert. Mélangez le réel et l’imaginaire, l’espace de la classe et la nature qui l’entoure. Ouvrez la porte à une multitude de possibles, accordez du temps.
Donnez-leur des missions : petits reporters, ils deviendront les ambassadeurs des arbres, ils imagineront le jardin des poètes, ils exploreront les forêts de bois de couleur de leur ile, seront sensibles aux énergies renouvelables en visitant une ferme éolienne, ils défendront avec leurs mots un petit arbre endémique massacré, ils dessineront une forêt sur du béton, les feuilles seront leurs mains colorées.
Incorporez à l’ensemble leur sensibilité, leur imaginaire, leur spontanéité.
Épicez le tout avec des accents de contrées lointaines, faites jouer la diversité culturelle : laissez-les traduire avec leurs parents quelques vers de « L’arbre dans la ville » de Jacques Charpentreau en créole, en malgache, en shi-mahorais, en hindi : cela ne donnera que plus de saveur à l’apprentissage de la langue française. Misez sur la créativité et l’innovation en y incluant quelques répliques en langue des signes.
Le résultat dépassera vos attentes, même s’il n’est jamais garanti, le secret est d’y croire.
« Si tu veilles sur elle, elle veille sur toi
Ainsi que le font les bons amis. »
En allant vers l’arbre dans les contes, les poèmes, les romans, le théâtre mais aussi dans les sciences et l’art, les élèves s’ouvrent, au-delà du risque, au regard de l’autre, celui de l’enseignant, des parents, attentifs à ce qui se joue là, devant eux. Mais surtout, c’est un moment de rencontre avec soi-même : des cœurs qui battent la chamade dans les coulisses avant la représentation, des mots mis en bouche, des sourires lumineux au moment des saluts, un air qu’on fredonne pour dire la richesse de notre patrimoine, des souvenirs qui marqueront pour longtemps leur parcours d’élève valeureux.
L’arbre, porteur et garant d’une mémoire, inscrit nos élèves dans une histoire. Ils peuvent ainsi prendre conscience de la richesse de leur patrimoine et comprendre comment leur vécu personnel trouve sa place dans un passé collectif. Faire en sorte qu’ils se réapproprient, à travers le motif de l’arbre, cette histoire, essentielle à la construction de leur identité, pour accéder aux apprentissages et au monde est un des enjeux de ce projet.
À l’image des mythes et des contes dont parle Serge Boimare, l’arbre apparait comme le médiateur culturel libérant la pensée créatrice, développant l’imaginaire, réconciliant l’élève avec le langage, celui pour qui on va prendre le risque d’apprendre et de retrouver le désir de savoir. L’arbre permet de rompre avec l’empêchement de penser. Il devient le tiers entre l’élève et l’enseignant. Passeur d’histoire, il représente un modèle transgénérationnel qui porte la parole des anciens. Il ouvre le livre des questionnements, guide sur le chemin des réponses, vers un futur encore à écrire.
Anjali, élève de 6e rétive aux apprentissages, nous apporta un jour, les yeux brillants, une plante en pot. Pendant des mois, elle avait pris soin des graines que nous lui avions confiées. Elle avait écrit, dans son carnet de lecture : « Ce dont je suis fière c’est de moi et que j’avance. »