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Créer du lien, ouvrir l’école

Une description des projets intergénérationnels du centre de création vocale et scénique d’Aulnay-sous-Bois.

Au-delà de ses projets de créations vocales avec des chœurs d’enfants hors temps scolaire, le CRÉA1, Centre de création vocale et scénique d’Aulnay-sous-Bois, met en place depuis 2010 des projets intergénérationnels ambitieux au sein des écoles primaires. Chaque année, il s’agit de monter un spectacle musical entièrement scénographié, résultat de rencontres humaines et artistiques entre enfants, adultes (enseignants, parents d’élèves, ou séniors) et artistes professionnels. Mais si le but apparent du dispositif est de produire des spectacles de théâtre musical sur la scène du théâtre Jacques-Prévert d’Aulnay, lieu d’implantation du CRÉA, l’objectif induit nous parait bien plus important.

Le lieu

Aulnay-sous-Bois est une ville qui répond aux clichés habituels de l’habitat de banlieue parisienne. Elle est scindée par une route quasi-frontière entre deux zones très étanches. Les hautes tours des quartiers nord sont plus populaires ; le sud de la ville est pavillonnaire. Évidemment, cette géographie correspond à deux réalités sociales : pour le nord, certaines inégalités et difficultés d’accès à la culture ; pour le sud, un niveau socioculturel plus élevé. Les populations scolaires ou adultes qui participent aux projets reflètent les problématiques de chaque territoire, cloisonnement et communautarisme inclus.

©Créa, Erwan Floch, 2015

La musique comme lien social

Depuis trente ans, le CRÉA défend dans toutes ses actions un accès le plus large possible aux pratiques artistiques et à la culture pour tous. Les projets intergénérationnels constituent un bel exemple de démocratisation culturelle et de développement personnel : la mixité sociale et générationnelle, la participation à la création d’une œuvre collective et sa représentation sur scène sont autant d’outils donnés aux enfants pour acquérir la confiance nécessaire à leur développement personnel. Au fil des ateliers, l’écoute, l’autonomie, le respect, la cohésion sont renforcés. Les parents et adultes participant à cette aventure apprennent, quant à eux, à poser un regard différent sur leurs enfants, leurs écoles, leur ville et l’art en général.

Une collaboration avec les établissements scolaires

Chaque projet fait intervenir une ou deux écoles maternelles ou primaires. Le programme est soutenu et porté par les inspecteurs de l’Éducation nationale, les directeurs des écoles et les enseignants. Le partenariat est facilité par le fait que le CRÉA est profondément ancré dans sa ville. Son équipe pédagogique, constituée de quatre musiciennes intervenantes et chefs de chœur, travaille chaque année auprès d’une quarantaine de classes de la ville. Pour que l’aventure réussisse, il faut évidemment que les équipes enseignantes des écoles acceptent de s’investir et de mettre le projet artistique au centre du projet pédagogique. Cela se traduit de plusieurs manières. Par exemple, le projet Prête-moi ta plume, monté en 2012-2013, a été exploité au quotidien dans les classes dans d’autres matières à travers la littérature, la production d’écrits. Il a permis aux enfants d’apprendre un répertoire conséquent de chansons de jazz, style difficile à cet âge. Ils ont travaillé sur les instruments, sur la rythmique, sur l’histoire des compositeurs et musiciens célèbres.

Un apport pédagogique pour les enseignants

Au-delà du travail scolaire, les enseignants bénéficient de séances de travail hebdomadaires avec les musiciens intervenants dont la présence constitue pour eux une véritable formation continue. Rapidement, ils réinvestissent les techniques pédagogiques des intervenantes du CRÉA. Dans leurs classes, les journées commencent souvent par vingt minutes de relaxation, de vocalises et de chants ; chaque enfant, dans ces exercices renouvelés, trouve à développer une présence physique et sonore apaisée. Le chant finit par prendre une place importante. Sans la complicité et le dévouement des enseignants, rien ne peut avoir lieu : vocaliser et chanter est devenu une nécessité et un plaisir pour leurs classes.

Des répétitions, un séjour de création, des concerts

Parallèlement aux chœurs d’enfants, un chœur d’adultes est créé, regroupant soit des parents d’élèves volontaires, le personnel de l’école, soit les membres d’une structure pour personnes âgées, les séniors d’un club du troisième âge par exemple. Déjà les difficultés naissent ; il est difficile pour un adulte qui n’en a pas l’habitude de s’engager à venir répéter un samedi sur deux ! Alors nous provoquons la rencontre ; nous organisons en amont des ateliers dans chaque école pour sensibiliser les parents d’élèves. Ensuite, nous réunissons les deux groupes, ce qui provoque immanquablement des problèmes de transport : il faut franchir la frontière et déjà des liens se créent par le covoiturage. S’ensuivra un weekend de travail tous les deux ou trois mois sur la scène du théâtre Jacques-Prévert d’Aulnay-sous-Bois.

Le moment clé

La semaine de classe transplantée en province constitue une étape fondamentale pendant laquelle tout va se nouer, prendre cohérence et forme, un moment clé pour la création et le partage. Les enfants participent à un grand nombre de répétitions. Ils découvrent, s’il le fallait encore, la difficulté de la mise en place finale. Mais surtout, lors des deux derniers jours, les adultes se mêlent à eux, travaillent avec eux. Et là, tout change, la magie opère, les statuts des uns et des autres se transforment. Les maitres participent, ils sont sur scène, prennent aussi le risque de leur voix, de leurs mouvements, du côté des enfants dans le chœur adulte, situation propice à des échanges nouveaux. Les relations évoluent, les regards aussi.

Des avantages incontestables

Chacun trouve son compte dans ces projets intergénérationnels. Des enfants quelquefois en grande difficulté scolaire reprennent le gout d’apprendre, le gout du respect de l’autre. Ce n’est pas toujours simple, il faut parfois plusieurs séances pour qu’une évolution des comportements ait lieu. Mais c’est cela grandir, c’est un processus lent. Ils apprennent des chansons par cœur et s’aperçoivent qu’ils ont de la mémoire. Certains enfants allophones apprennent un vaste répertoire en français. Pour les intervenants, les formateurs, c’est stimulant de voir un enfant se dépasser, franchir les limites de sa timidité, de son corps, même si, parfois, il est difficile de gérer l’énergie commune de la classe. La présence des adultes, plus calmes, plus concentrés, a un effet apaisant sur l’enfant et sur le groupe. Ils montrent une voie d’apprentissage différente.

Et puis, les adultes voyant les enfants réussir et vivre le projet ne les regardent plus comme des enfants difficiles de banlieue : merveille du changement de regard. Les élèves redeviennent enfants joyeux et joueurs, espiègles peut-être pour des adultes qui les imaginent plus souvent comme des fauteurs de trouble. D’ailleurs, eux aussi apportent quelque chose aux séniors ; d’abord leur dynamisme, leur fantaisie, et peut-être un nouveau désir d’apprendre. Souvent, on note une rupture d’isolement de personnes âgées vivant seules. Certaines deviennent même, pour des enfants dont la famille est lointaine, des grands-parents de cœur. Ils organisent des gouters, échangent des lettres, racontent des histoires. Lucette témoigne : « Je n’avais pas encore participé à ce genre d’expérience. […] On redécouvre les générations, on échange, on partage et c’est bénéfique pour tous. Les enfants sont absolument adorables […], il m’arrive d’organiser des gouters à la maison. » Les générations ne s’opposent pas mais se complètent et s’enrichissent. Les deux groupes s’entraident et sont solidaires.

L’humain d’abord

Qu’est-ce qui fait sens dans ces projets artistiquement ambitieux, lourds à porter, qui ne réussissent que dans l’investissement enthousiaste de tant de personnes ? Nous pensons, au CRÉA, que c’est l’apport humain qui est fondamental. Certes, chacun tirera fierté à participer à un beau spectacle ; Hadi criera, à la fin du concert du chœur Stella Maris « nous l’avons fait ! », et les participants, riant et applaudissant, s’en souviendront toute leur vie. Mais l’artistique, par la réalisation de soi dans un collectif heureux et bienveillant, entre au service de la rencontre humaine, au service de la culture commune. Ici, le projet artistique et culturel abolit, un temps, les différences sociologiques ou générationnelles. Le projet intergénérationnel est dans l’humain, et pas simplement dans la préparation d’un spectacle qu’on donnera pour trois ou quatre représentations.

La finalité, c’est toute l’aventure, toutes les pierres posées sur ce chemin de construction citoyenne où les valeurs de respect et de tolérance sont fondamentales.

L’équipe du CRÉA
Sur notre site
Un entretien avec Didier Grojsman, « C’est un peu une bulle à part pour les enfants ».

Notes
  1. http://www.lecrea.fr