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Vers un socle de connaissances et compétences sur la transition écologique

À la base, je suis professeur en écologie à Sorbonne université. J’ai commencé ma carrière au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) comme chercheur sur les écosystèmes, puis je suis passé à l’enseignement. J’ai monté pas mal de formations nouvelles en sciences de l’environnement en proposant aux étudiants des enseignements transversaux, en commençant par le niveau licence. J’ai fondé plus récemment l’Institut de la transition écologique avec un petit groupe. L’idée est de construire un continuum entre la recherche et les prises de décision dans le domaine environnemental, en tentant de combler le fossé qui existe entre les deux. Même si depuis deux ans je suis « professeur émérite », je suis toujours sur le terrain pour parvenir à ces objectifs.
Ce qui est intéressant dans ce qui vient de se passer, c’est le courage de la ministre, Sylvie Retailleau, de prendre des décisions pas évidentes : à partir de 2025, il devient obligatoire que tous les étudiants, quelle que soit leur discipline, accèdent à une sorte de socle de connaissances et compétences sur la transition écologique. Elle a retenu le chiffrage du rapport Jouzel auquel j’ai contribué : trois crédits sur le cycle licence (sur 180), effort modéré mais qui suscite parfois des réticences. C’est une décision politique importante, car cela veut dire que tout citoyen doit avoir un minimum de savoirs sur le sujet pour pouvoir contribuer à la transition (ou pas, mais en connaissance de cause). Au fond, on l’a déjà fait sur d’autres sujets, par exemple en décidant qu’apprendre une langue est obligatoire ou qu’il est nécessaire d’avoir des connaissances numériques de base.
Ce que je vois aujourd’hui, c’est que les établissements commencent à construire des programmes, certains bien sûr plus en avance que d’autres. Un mouvement de fond est engagé, sans doute parce que c’est mûr. Le rapport Jouzel est tombé au bon moment. Des initiatives se développaient, mais en France, à un moment, il faut des décisions nationales qui donnent de la force et de la légitimité à ceux qui étaient déjà à la manœuvre pour pouvoir généraliser.
Trois crédits, ça reste faible. La difficulté est aussi d’adopter une démarche interdisciplinaire. Il ne suffit pas de faire de la science du climat ou de la biodiversité, il faut aussi de l’économie, de la psychologie, etc. Plus facile à dire qu’à faire. Et il faut aussi traiter la question de comment on agit pour changer les choses, et on n’est pas habitué à traiter ça dans l’enseignement universitaire (un peu plus dans les écoles d’ingénieurs). Il y a de la nouveauté à construire, des partenariats à établir. Mais il faut y aller.
C’est plus un plan de cours qu’autre chose et heureusement ! Un programme au millimètre aurait été inadéquat. On fait confiance aux collègues, d’autant qu’on ne peut aborder la question de la même manière selon qu’on est en fac de sciences ou de lettres, etc. Une fois les grandes lignes définies, il faut forcément adapter le contenu de la formation au contexte pédagogique de l’établissement.
Reste aussi à former les enseignants. Un groupe va rendre des conclusions au ministère, mais il y a un défi énorme à relever, alors même que les enseignants manquent de temps pour tout faire. La souplesse est nécessaire, on devrait pouvoir s’épauler entre établissements, mais ce n’est pas dans nos traditions et il faut vaincre des obstacles bureaucratiques pesants.
On va commencer probablement par la formation des enseignants. C’est déjà un énorme morceau. Un petit groupe d’appui et d’expertise scientifiques accompagne le ministère de la Fonction publique et a établi un fonctionnement inspiré en grande partie de la formation des cadres supérieurs de l’État qui est en cours. On met l’accent sur les connaissances en faisant appel à la communauté scientifique pour se mobiliser.
25 000 cadres supérieurs formés en un an, c’était déjà difficile, mais là, ça va concerner, sur trois ans, deux millions et demi de personnes ! L’idée est aussi de maintenir un contact entre les personnes formées et les scientifiques. Encore très ambitieux ! Mais dans quelques régions, des hauts fonctionnaires sollicitent des scientifiques sur des décisions à prendre suite aux formations. Il faut créer un continuum entre les connaissances environnementales et l’analyse sociale et politique dans les décisions à prendre, cela doit entrer dans les mœurs, devenir banal.
Concernant les cadres supérieurs, elle avait été calibrée sur vingt-huit heures, avec au début des dispositifs type Fresque du climat ou de la biodiversité, puis des conférences sur climat, biodiversité et ressources, des visites de terrain où on est censé analyser de « bonnes pratiques » (étape en cours) et au final, une simulation d’un passage à l’acte (qu’est-ce que je fais si je suis sous-préfet, par exemple, en matière de transition écologique ?), plus compliqué à monter.
La formation devrait se faire de 2025 à 2027, mais ce n’est pas vraiment réaliste. Mais, malgré tout, les choses avancent. Et puis, je pense qu’il s’agit d’un processus exponentiel. Ce qui était impensable il y a peu va devenir évident. Il aurait été plus simple d’organiser des MOOC et s’en tenir à des visios. Le faire en direct avec des scientifiques est essentiel, sinon l’effet « transformant » ne se réalise pas.
L’étape d’après serait de former les fonctionnaires territoriaux, même si déjà des initiatives existent. Il y aurait aussi à penser aux élus, qui sont difficiles à toucher. Mais on manque de bras, alors qu’il faudrait former tout le monde, à commencer par le simple citoyen. On a pris beaucoup de retard, au minimum trente ans de négligence.
Il y a des chocs, des participants reconnaissent qu’ils en savaient peu, par exemple sur la biodiversité. L’important c’est qu’ensuite, ils aient cette préoccupation environnementale dans leurs priorités, qui doit se transformer en exigence. Par exemple quand on passe des commandes, comment crée-t-on une pression sur les fournisseurs ? L’environnement reste encore une variable d’ajustement. Mais cela n’est plus possible. Si un tiers des formés a cette préoccupation en tête, on aura gagné.
Il va y avoir des évaluations menées par deux doctorants. Sur les indices de satisfactions, on a des pourcentages de l’ordre de 70 %, ce qui est un taux assez classique. 80 % environ disent avoir appris des choses qu’ils ignoraient. Sur les fonctionnaires « non supérieurs », on va cibler plus les services que les individus, on se rapprochera davantage du terrain. Ce sera différent de ce qui se fait pour les hauts fonctionnaires, qui sont davantage impliqués dans la conception de l’action. En tout cas, on n’a pas tellement de retours négatifs. L’effort pédagogique va être cependant important, par exemple en s’adressant à des catégories C.
Mais encore une fois, on avance, et il le faut dans une situation climatique et de crise de la biodiversité qui est de plus en plus catastrophique…