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Pourquoi l’explicitation est-elle essentielle en classe ?

Apprendre ne peut se résumer à réussir un exercice. C’est aussi comprendre pourquoi et comment on y est parvenu. Or, en classe, il arrive que des élèves réussissent une tâche sans pour autant mobiliser les compétences attendues. D’autres, au contraire, rencontrent des difficultés sans bien saisir l’origine de leurs blocages.
C’est là que l’explicitation devient un levier puissant : en aidant les élèves à verbaliser leurs démarches, en clarifiant les attentes et les conditions de réussite, nous leur donnons les moyens de structurer leur pensée et d’apprendre plus solidement.
Je partage ici une expérience menée dans mes classes de mathématiques, qui illustre comment j’intègre l’explicitation dans mon enseignement, notamment avec le théorème de Thalès en 4ᵉ. Ce n’est en rien un modèle à suivre, mais simplement un retour d’expérience qui pourrait inspirer d’autres pratiques.
L’explicitation est un axe sur lequel je travaille activement, à la fois dans le cadre du cercle académique sur la maitrise de la langue, mais surtout au sein du groupe didactique de l’IREM (Institut de recherche sur l’enseignement des mathématiques) de Montpellier.
En début d’année, mes élèves ont déjà travaillé sur les agrandissements et réductions. Pour introduire Thalès, je démarre avec une situation-problème, dont la résolution sera organisée sous la forme d’un travail en groupe. L’explicitation intervient à plusieurs niveaux.
1 – Pour contextualiser l’apprentissage
Avant même de présenter le problème, j’explique aux élèves que je vais leur proposer un obstacle : une situation pour laquelle personne n’est censé trouver la solution. L’objectif ? Qu’ils prennent conscience qu’il leur manque une connaissance clé. Identifier la phase de l’apprentissage dans laquelle ils se situent me semble essentiel pour que tous et toutes les élèves osent se lancer. J’appuie cette démarche en leur montrant un schéma issu du livre La coopération, ça s’apprend de Sylvain Connac (ESF Sciences humaines, 2020), inspiré de la courbe de Daniel Favre.
La situation problème que j’utilise ensuite est celle du « problème de Dudu », La maison au bord du lac1.

Schéma non fourni aux élèves mais utile pour comprendre la suite.
2 – Pour s’assurer que tous les élèves peuvent entrer dans la tâche
Une fois la situation posée, je demande aux élèves de formuler la question (calculer la distance entre les frères et la maison, soit la longueur CB sur le schéma) et de lister les données. Cette étape est cruciale, car elle permet à tous d’entrer dans la tâche.
Après un premier temps de recherche individuelle, suivi d’un court moment de confrontation en groupe (cinq minutes), nous faisons remonter toutes les représentations et modélisations, justes ou erronées. L’objectif n’est pas de juger, mais de montrer que toute tentative a de la valeur. Sans lancer de débat à ce stade, j’insiste sur l’importance de cette remontée collective : chaque erreur est une opportunité d’apprentissage. Progressivement, au fil de l’année, les élèves osent davantage partager leurs idées, même lorsqu’ils savent qu’elles sont incorrectes.
3 – Pour le débat mathématique
Une fois les représentations collectées, je lance un débat sur les différentes propositions. C’est ici que commence une phase d’explicitation approfondie. « Enseigner plus explicitement ne consiste pas seulement à expliquer. C’est un processus à plusieurs niveaux qui permet aux élèves d’accéder, par le langage, aux manières de résoudre des tâches scolaires et à structurer progressivement les savoirs.2 »
Les élèves explicitent entre eux. Mon rôle est d’organiser ces échanges et de poser des questions qui les aident à verbaliser leurs raisonnements. Ces questionnements les amènent à prendre conscience des obstacles qu’ils rencontrent et à clarifier leur pensée.
• Proposition 1 : une vue aérienne erronée
Un élève propose un schéma « vue du dessus ». Je valorise son initiative : « Merci d’avoir partagé cette idée ! Pourquoi pensez-vous que cette représentation ne nous aide pas à résoudre le problème ? »
Ensemble, nous concluons que chercher est une étape indispensable pour résoudre un problème mathématique et que se tromper peut aussi être enrichissant. Explorer de mauvaises pistes nous oblige à comprendre pourquoi elles ne fonctionnent pas.
• Proposition 2 : utilisation du théorème de Pythagore
Un autre élève nous propose le schéma suivant :
Moi : « Qu’en pensez-vous ? »
Les élèves argumentent : « Attention cette représentation est erronée : la maison étant sur une butte de terre, la longueur AB ne correspond pas à la hauteur de la maison. » « On ne peut pas utiliser Pythagore, car il nous manque des données : on a bien un triangle rectangle, mais il nous faut connaitre au moins deux longueurs sur trois pour l’utiliser. » Petit à petit, les élèves structurent leur raisonnement et intègrent des notions clés sur l’utilisation des théorèmes.
• Proposition 3 : l’intuition de la proportionnalité
Dans un premier temps, je demande à un élève de venir expliquer sa résolution à l’ensemble de la classe. Souvent, ses explications se limitent à lire les calculs effectués. Pour aller plus loin, j’interviens :
• Moi : « À quoi correspond le nombre 1 dans ta résolution ? Et le nombre 70 ? Pourquoi as-tu décidé de les multiplier ? »
• Élève : « Le 1, c’est l’épaisseur du pouce, et le 70 cm, c’est la longueur de l’avant-bras. Mais je ne sais pas pourquoi j’ai fait cette multiplication. »
J’invite alors la classe à réfléchir collectivement :
Moi : « Quand vous voyez des calculs organisés de cette manière, à quelle notion mathématique cela vous fait-il penser ? »
Élève : « Euh… à la proportionnalité, madame. »
Moi : « La proportionnalité est une relation entre deux grandeurs. Quelles sont celles mises en jeu ici ? »
Élève : « Aucune idée… Ah, peut-être les triangles ABC et EDC ? »
Moi : « Les triangles sont-ils des grandeurs ? »
Élève : « Non, ce sont les côtés qui sont des grandeurs. »
Je leur rappelle alors que les grandeurs permettent de mesurer des caractéristiques d’un objet et qu’elles sont exprimées en unités. Nous reprenons ensemble l’exemple de ma règle jaune d’un mètre, pour distinguer l’objet et les grandeurs qui peuvent la caractériser : sa longueur en mètres et sa masse en grammes. Nous en concluons que ce ne sont pas les côtés des triangles qui sont proportionnels, mais bien leurs longueurs.
La discussion nous amène à une nouvelle question essentielle : pouvons-nous affirmer que les longueurs du triangle EDC sont proportionnelles à celles du triangle ABC ? Les élèves pensent que oui, mais réalisent qu’ils n’ont pas encore les outils mathématiques pour le prouver. Je leur confirme la justesse de leur intuition ainsi que la nécessité de recourir à un nouveau théorème : celui de Thalès. Un dialogue s’entame sur les conditions nécessaires.
Plutôt que d’énoncer immédiatement le théorème, je leur propose un exercice d’écriture :
• Moi : « Essayez d’écrire au brouillon ce théorème de Thalès. N’ayez pas peur de vous tromper, votre formulation sera forcément imparfaite : vous n’êtes pas enseignants de mathématiques. »
• Élève : « Mais pourquoi nous demander ça ? Ne serait-il pas plus simple de nous donner directement l’énoncé ? »
• Moi : « Justement, cet exercice vous fait travailler la compétence « raisonner ». Il vous amène à réfléchir aux conditions nécessaires et à la conclusion du théorème. Ce travail de verbalisation vous aide à structurer votre pensée, bien au-delà des mathématiques. »
Je collecte leurs écrits et prépare un diaporama pour la séance suivante.
Lors de la séance suivante, je projette anonymement certaines productions et nous débattons de leur formulation. Par exemple :
• Moi : « Cette condition est-elle complète ? Qui peut proposer un contre-exemple ? »
• Élève : « C’est quoi encore un contre-exemple, madame ? »
Nous revenons alors sur cette notion et affinons progressivement la formulation du théorème, inscrite au tableau. Ce travail sur le langage permet d’affiner la pensée des élèves.
Moi : « Alors celle-ci sera proportionnelle. Que désigne « celle-ci » ? Quelles grandeurs sont proportionnelles entre elles ? »
Une fois ce débat terminé, nous institutionnalisons enfin le théorème de Thalès : il est noté par chacun dans leur cahier de leçon.
Pour conclure, nous résolvons collectivement un exercice-type afin d’identifier collectivement la liste des critères pour une rédaction rigoureuse.
Déjà deux heures de cours se sont écoulées… Est-ce une perte de temps ? Je ne le pense pas. En consacrant ce temps à l’explicitation, je réduis le besoin d’exercices d’entrainement répétitifs, car davantage d’élèves s’approprient réellement le théorème de Thalès et, au-delà, le raisonnement mathématique.
La confrontation des idées favorise la nécessité de verbaliser son raisonnement, de le mettre en mots pour être compris. Aurélie Chesnais, chercheuse en didactique à Montpellier, souligne que le langage verbal joue un rôle essentiel dans la conceptualisation, notamment à travers les échanges entre élèves et enseignants, à l’écrit comme à l’oral.
L’explicitation est un processus dynamique, qui dépasse la simple explication. En donnant aux élèves des occasions de verbaliser, de confronter et de structurer leurs idées, on les aide à mieux s’approprier les savoirs. Ce travail demande du temps, mais les bénéfices sont visibles : une meilleure compréhension, plus d’engagement et une véritable prise de conscience des démarches mathématiques.
Professeure de mathématiques en collège dans l’académie de Montpellier
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Notes
- Problème exposé ici : https://www.youtube.com/watch?v=T2K_t2JuoDo
- Extrait du dossier « Enseigner plus explicitement » du centre Alain-Savary de l’IFÉ.