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« Plus que jamais, ils ont fait leur métier de professeurs d’Histoire ! »

Comment travailler sur la guerre en Ukraine avec des collégiens ? Selon les contextes, sans doute de manière très différente, mais les expériences comme celle de ce collège de l’académie de Versailles nous montrent l’importance de ne pas déserter le terrain de l’actualité dans nos classes.

Durant les vacances scolaires de la zone C, la guerre en Ukraine s’est déclenchée. Lorsque j’ai constaté qu’une enseignante avait pris le temps de mettre des ressources à disposition de ses élèves en les commentant, je lui ai proposé dans un premier temps de les mutualiser à l’ensemble des élèves de l’établissement en concertation avec ses collègues d’histoire-géographie. En parallèle nous avons été contactés par la mère d’un élève d’origine ukrainienne qui nous faisait part du désarroi de son fils mais aussi de son souhait que quelque chose se fasse au niveau du collège pour transformer le chagrin en action.

L’équipe d’histoire-géographie a accepté la proposition d’une heure d’information ouverte à l’ensemble des élèves de l’établissement et a longuement travaillé à l’élaboration d’un support audiovisuel soigneusement sourcé, en y passant sans doute de nombreuses heures. Une brève réunion deux jours après la rentrée a permis de faire le point sur les enjeux soulevés par l’intervention russe. Nous avons par exemple discuté la partie consacrée à la menace nucléaire car il nous importait d’informer sans inquiéter. Les enseignants ont donc expliqué le concept de dissuasion nucléaire qui normalement a sa place dans le processus qui doit amener des belligérants à se retrouver à la table des négociations.

Quatre jours après la rentrée, nous ne savions pas combien nous allions accueillir d’élèves en cette fin de journée, de 17 heures à 18 heures, un moment où seules deux classes sur vingt-six avaient cours. Sur 700 élèves, entre 120 et 130 de tous âges ont choisi d’assister à ce moment. Cette belle affluence témoigne de la confiance qui est la leur envers leurs professeurs, qui sont intervenus les uns avec les autres pour expliquer, mettre en perspective, donner des repères, commenter des cartes, répondre aux questions.

Témoignages d’élèves

Deux élèves d’origine ukrainienne sont intervenus également pour raconter l’histoire toute récente. Certains membres de leur famille sont restés en Ukraine, d’autres ont pris la longue et difficile route de l’exil. Ils ont fait part des sentiments mais aussi des réflexions que leur inspire ce conflit venu percuter leur histoire personnelle.

Salle comble pour comprendre la guerre.

Une heure n’ayant pas suffi à épuiser les questions d’un public curieux de comprendre, nous avions également choisi de traiter à part et pour elle-même la question de la guerre de l’information et du rôle des réseaux sociaux. Une seconde séance a donc eu lieu huit jours plus tard, avec une affluence à peine moindre, et avec toujours un mélange dans les âges qui nous a beaucoup surpris. Une troisième séance, dans un mois, sera consacrée au complotisme. Mais déjà les professeurs ont aidé les élèves à décrypter des images, des informations, avec le souci plus que jamais d’inciter à la vérification des sources. En temps de guerre, l’information peut toujours être biaisée, de chaque côté. C’est cela qu’il importe de montrer, dans un souci constant de neutralité et de vérité.

Au fond, les professeurs concernés ont fait plus que jamais leur travail de professionnels pour transmettre un savoir rigoureux, non aseptisé, en veillant notamment à ce qu’on emploie les bons mots (une guerre lancée par un dirigeant n’est pas une guerre d’un peuple contre un autre, etc.) et à resituer les choses dans une histoire longue, souvent mal connue et complexe.

Un moment d’école

Pour les adultes qui ont pris part à ces séances, il ne fait aucun doute que la communauté du collège a vécu là un moment d’école d’une gravité particulière, où le savoir transmis porte sur une question vive. L’attention des élèves, suspendus aux lèvres des intervenants, avides de questionner et de s’exprimer, remplissait l’air d’une vibration singulière.

À ce sujet, je renvoie au très beau texte publié sur son blog Mediapart par Gabriel Kleszewski (professeur d’histoire-géographie en collège et formateur académique en Inspé), texte que j’ai partagé avec les professeurs d’histoire-géographie et qui me semble décrire parfaitement la grandeur, la difficulté et la nécessité du rôle qui est le leur en tant que passeurs d’actualité. En fait, il semble que cette dimension s’installe plus avant dans l’habitus professionnel au fur et à mesure que des événements dramatiques viennent secouer les consciences de notre siècle.

Nous avons recueilli quelques réactions d’élèves ; citons Olga qui s’exprime ainsi : « C’est un sujet qui me concerne tout particulièrement de par mon origine. J’ai trouvé les interventions vraiment intéressantes, très objectives et qui ont permis d’avoir un bon point de vue sur la guerre. »

Un travail de fond

Une réaction lue sur Twitter m’a touchée par sa justesse : Anne Pedron soulignait que pendant que des candidats à la présidentielle disent n’importe quoi sur l’école, dans toutes les classes des professeurs font, sans relâche, des merveilles, du travail de fond, tachent de faire d’un réel insupportable et complexe un objet de savoir. Je pense à tous les enseignants du premier degré qui n’ont pas forcément eu la ressource et le soutien que l’on peut trouver dans une équipe disciplinaire, et qui ont accompagné leurs élèves.

La collègue CPE m’a dit quelques jours plus tard que c’était pour des moments comme cela qu’elle fait son métier et qu’elle avait éprouvé une grande fierté d’appartenir à cette communauté d’adultes. Ils sont forts, ces profs !

Et nous voilà honorés de les servir.

Anne Panvier
Principale du collège Jean-Moulin à Chaville, dans les Hauts-de-Seine

Illustration de Leena Mikkola issue de la galerie de dessins « Creatives for UkraSalle comble pour comprendreine », une galerie participative en ligne où chacun est invité à poster des illustrations à la libre disposition de tous.


À lire également sur notre site :
Ressources pour expliquer la guerre en Ukraine

Face à la guerre en Ukraine, la coéducation sur le devant de la scène, par Christelle Wermelinger

En solidarité avec l’Ukraine, communiqué de presse du CRAP-Cahiers pédagogiques