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« Les méthodes doivent être un tremplin plutôt qu’un carcan »

Ils n’ont aucune méthode ! Et toi, c’est quoi ta méthode ? Il y a les « bonnes vieilles méthodes », et puis les méthodes modernes, les méthodes actives ou actives, les méthodes inductives ou déductives… Notre dossier fait un tour d’horizon de ce que nous apportent les méthodes pour apprendre. Entretien avec ses coordonnateurs.
Qu’est-ce qu’on entend par méthodes, dans ce dossier? Et est-il question des méthodes des enseignants ou de celles à apprendre aux élèves ?

Céline Walkowiak : Il y a dans le dossier des articles qui s’attachent à définir la notion de méthode, mais nous avons aussi laissé la place à des articles de terrain, dans lesquels des enseignants explorent dans les classes différents dispositifs, qu’ils considèrent comme des méthodes, des protocoles, des stratégies ou des outils. Nous voulions axer le dossier sur les méthodes que l’on propose aux élèves, mais inévitablement la question se pose aussi au point de vue de l’enseignant. En effet, une méthode pour apprendre n’est-elle pas aussi parfois, souvent, toujours une méthode pour enseigner ?

Grégory Delboé : Je suis totalement d’accord avec Céline. En admettant l’idée assez simple que « la méthode, c’est ce qui marche à condition de la suivre », alors distinguer enseigner et apprendre n’a plus beaucoup de sens. Pour le dire de façon plus académique, Sylvain Connac précise dans son article que la méthode est « un programme, réglé à l’avance, d’une série d’opérations à accomplir en vue d’atteindre un résultat déterminé ». Or, ce résultat convoité est le plus souvent un apprentissage, mission essentielle de l’enseignant. Les méthodes impliqueraient donc, de fait, enseigner et apprendre. Il existe néanmoins une exception : celle de la méthode de l’élève qui n’aurait fait l’objet d’aucune action consciente et rationnelle de l’enseignant. Il ne s’agit alors plus du « chemin à suivre », mais du cheminement de chacun au gré des expériences, le « chemin suivi » qui était la première acception historique du mot méthode. On pourrait donc dire qu’en matière de méthode, il est impossible de délier enseigner d’apprendre, mais que la réciproque n’est pas forcément vraie : il est possible d’apprendre et de construire sa (propre) méthode sans que personne n’ait rien enseigné.

Est-ce qu’on peut alors penser que c’est à chacun de trouver sa propre méthode ou y en a-t-il d’incontournables ?

C. W. : Certaines méthodes sont plus dogmatiques, codifiées, protocolaires que d’autres. Je pense que l’important, c’est de se demander quelles prises on offre aux élèves pour entrer, puis avancer dans les apprentissages, surtout quand ils sont complexes. Il y a dans le dossier un article de Benjamin Mercier sur les escaliers d’écriture qui, me semble-t-il, répond bien à cette problématique, car il interroge la façon dont on étaye les élèves pour produire un écrit. Sachant que l’auteur propose une méthode schématisée par un escalier en reconnaissant en même temps qu’on peut traiter les différentes marches de l’escalier dans l’ordre qui nous convient. Une méthode donc, et déjà, en même temps, des pistes pour la dépasser, se l’approprier, s’en détacher.

G. D. : Les articles engagent deux idées qui pourraient sembler opposées. Certains proposent une méthode de type « pas japonais » : celui qui exécute la méthode est guidé, sécurisé, rassuré, mais bien peu autonome (au sens de « celui qui agit et pense selon ses propres règles »). C’est là qu’il s’agit de poser le pied, dit la méthode, et pas ailleurs ! Ce conformisme peut faire sens à certaines étapes de l’expérience, lorsque la question qui nous préoccupe est « comment font ceux qui réussissent ? ». Il ne faut alors pas penser idéologiquement que la méthode rend passif car, dans ce cas, elle peut être sacrément mobilisatrice.

Le problème, c’est qu’un groupe classe rassemble rarement des élèves qui nourrissent les mêmes préoccupations au même moment. Et si la méthode des pas japonais est exclusive, l’enseignant prend le risque de démobiliser une partie de sa classe. De nombreux articles discutent et proposent des nuances voire des alternatives pour envisager des méthodes moins serrées. Le chemin est alors suffisamment large pour permettre l’autonomie, engager des tâtonnements (qui n’en sont pas moins méthodiques), placer l’élève dans la double fonction de concepteur et d’exécutant réflexif. Finalement, avec beaucoup d’expérience, il me semble possible d’installer des pas japonais sur ce chemin élargi, pour que chacun puisse s’y retrouver sans s’y perdre. Évidemment, dans ce cas, les dispositifs à mettre en place se complexifient.

Quelle serait selon vous, après cette coordination, la réponse à la question posée par le titre du dossier, « Que nous apportent les méthodes ? » ?

C. W. : Les méthodes rassurent. Elles rassurent les élèves, les enseignants qui débutent, ou les enseignants plus aguerris qui souhaitent sortir de leur zone de confort pour élargir leurs pratiques pédagogiques. Mais ces méthodes doivent s’accompagner d’une analyse réflexive sur leur impact et leurs limites, elles doivent pouvoir être abandonnées si nécessaire, aménagées aux besoins de chacun, repensées dans certains cas, dépassées dans tous. Un tremplin plutôt qu’un carcan.

G. D. : Spontanément, je répondrai le « clé en main ». Trois idées peuvent servir de scanner pour les articles du dossier. Le « programme réglé à l’avance », premier élément de la définition ci-dessus, offre de la visibilité sur l’avenir. Cette visibilité rassure, comme le dit Céline, dans la mesure où elle semble réduire les incertitudes. Cette anticipation rigoureuse est liée à « une série d’opérations », deuxième élément de définition. Alors que nous avions l’assurance de savoir où on allait mettre les pieds, nous voilà pris en main. Décidément, quel que soit le processus, la méthode nous apporte le confort dont nous pourrions avoir besoin. Et au bout du chemin, le produit, le « résultat déterminé », apporte la caution qu’il nous manquait encore peut-être pour se laisser convaincre. Et qui ne le serait pas ? La méthode nous vend de la visibilité, des points de repères et garantit le résultat. La méthode nous séduit, donc, tant que le « clé en main » s’adapte à la serrure de celui qui y croit. On peut ne plus y croire, dédogmatiser, lorsque la méthode nous apporte son lot de désillusions. Pour un enseignant, croire que la méthode à elle seule conduit au Graal, c’est ne pas avoir compris que l’exécution ne peut se passer d’une part de recontextualisation et de personnalisation. Car finalement, qu’on le veuille ou non, c’est chacun sa méthode.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

N° 577 : Que nous apportent les méthodes ?