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La vocation vous va si bien

Couverture du n° 596, « Citoyenneté(s) »

Faut-il en finir avec la vocation de prof ? C’est la question que nous posons dans un épisode de Nipédu où craquent quelques coutures1. L’un de nous file un mauvais coton et avoue qu’il est un vieux prof aigri. Un autre montre combien enseigner est un métier qui a du style. Un troisième pose la question essentielle : qu’est-ce qui motive aujourd’hui à devenir prof ?

La recherche nous propose le modèle fit choice, traduisez « choix ajusté », à l’image d’un costume seyant, qui met en lumière les facteurs qui créent une vocation. Il y aurait trois familles de motivations : l’influence de la socialisation (ses propres expériences d’élève, la persuasion ou la dissuasion par l’entourage), l’utilité personnelle (sécurité d’emploi, temps pour la famille, vacances) et l’utilité sociale (possibilité d’influencer l’avenir des enfants, d’améliorer l’équité sociale).

À ces trois catégories s’ajoutent la valeur intrinsèque (le plaisir à enseigner), la perception de ses compétences et, enfin, la carrière par dépit. Ces critères ne surprendront pas les enseignants, et il ne fait pas un pli que chacun identifiera ce qui a pu composer le patron de sa vocation.

Mais ne manque-t-il pas la fierté de rejoindre le corps enseignant ? Peut-être n’est-elle qu’un savant mélange entre influence sociale et utilité sociale. À moins que (plus) personne ne nourrisse sa vocation par fierté d’intégrer la communauté enseignante ?

Faisons le pari inverse, en affirmant que cette fierté existe et qu’elle se rapporte à l’identité collective enseignante. Selon le chercheur Richard Wittorski, dont les travaux portent sur la professionnalisation, la constitution de l’identité collective répond à trois critères : le besoin de se défendre vis-à-vis des contraintes qui lui sont imposées – il n’y a qu’à songer au récent débat sur les groupes de niveau ou besoins –, mais aussi de revendiquer une définition autonome de son propre projet d’existence – qui serait la liberté pédagogique ? –, et, enfin, d’être reconnu dans l’espace social. Pour ça, on peut affirmer sans trop de risques que « les profs » ont une identité forte dans les imaginaires scolaires2.

Et donc, qu’en est-il de la fierté enseignante en France ? Elle pourrait exister, comme c’est le cas en Finlande où les enseignants bénéficient encore du statut de héros de la patrie. Imaginons une grande après-midi de remise de décorations, disons sur les Champs-Élysées, avec des gens déguisés en bonnets phrygiens, de la musique électro et des feux d’artifices bleu blanc rouge pour célébrer les profs.

Fierté collective

Nous mettons en majesté les corporations qui, d’après nous, font rayonner le pays dans le monde et prouvent à l’humanité que la France est bien le plus grand et le plus beau pays du monde – appelons ça la vocation nationale. Aujourd’hui, non seulement on ne célèbre pas les profs (voir les remises de palmes académiques dans une salle à la froide déco, un mercredi à 15 h 00 avec des gobelets en plastique…). On leur envoie trop souvent le message inverse.

Et si la fierté d’intégrer l’identité collective enseignante peut nourrir des vocations, gare à trop lui tailler un costard ! Entendons Wittorski comme une mise en garde : « Les identités collectives se réveillent notamment à chaque fois que l’on tend à uniformiser l’ensemble, ce qui produit un affrontement majeur entre les pouvoirs homogénéisants et les capacités différentielles. »

Régis Forgione, Fabien Hobart, Jean-Philippe Maitre

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Couverture du n° 596, « Citoyenneté(s) »


Notes
  1. À écouter ici : https://nipcast.com/en-finir-avec-la-vocation-de-prof/.
  2. https://nipcast.com/imaginaires-scolaires/.