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« Créer un lien de confiance entre les jeunes et les savoirs scientifiques »

©DR

Comment enseigner les sciences en CM1-CM2 pour mieux impliquer les élèves et les familiariser avec les méthodes scientifiques ? Les éditions Nathan viennent de publier Sciences et technologie. 10 missions pour des apprentis chercheurs, un manuel d’éducation aux sciences par la recherche. Ange Ansour, directrice de l’Afper (Association française pour l’éducation par la recherche) et cofondatrice des Savanturiers-École de la Recherche, également coautrice de ce manuel, nous explique en quoi cela consiste.
D’où est parti le projet de faire un manuel des Savanturiers ?

Les projets Savanturiers sont nés officiellement en septembre 2013 au CRI (Centre de recherches interdisciplinaires, aujourd’hui Learning Planet Institute). C’était le résultat de plusieurs années de projets menés dans ma classe quand j’étais professeure des écoles. Au fur et à mesure d’un travail très étroit avec d’autres enseignants et avec Émilie Carosin et Marc Demeuse, chercheurs à l’université de Mons (Belgique), nous avons abouti à un modèle pédagogique, celui de l’éducation par la recherche.

Je me suis rendu compte qu’il y avait une limite à l’accès à ce type de pédagogie, complexe à mettre en œuvre. Les obstacles sont de nature variée : le temps dont on dispose, la formation initiale, les moyens à disposition dans l’école ou la classe. Il y a aussi des écueils possibles : comment ne pas tomber dans travers des pédagogies de projet ? Comment distinguer approche constructiviste et initiation à la production des savoirs ?

Avec mes deux coauteurs, Patrice Clair et Valentin Dulondel, nous voulions rendre ce modèle accessible au plus grand nombre des enseignants et enseignantes, en le formalisant et en levant les confusions. Nous avons travaillé avec dix chercheurs différents à la fois pour chacun des chapitres et pour la conception scientifique générale de l’ouvrage.

Destiné aux collègues de CM1 et CM2, ce manuel présente une spécificité : il donne les bases d’une formation scientifique aux enseignants. L’introduction de chaque chapitre donne à l’enseignant les connaissances nécessaires pour comprendre le domaine scientifique qui y sera abordé. Le manuel guide les enseignants pas à pas et ils peuvent être certains de la rigueur scientifique, puisque tout a été fait avec les dix chercheurs qui nous ont accompagnés. La démarche d’éducation par la recherche a été évaluée à plusieurs reprises, les rapports d’évaluation sont publics, en ligne, et explicitent la plus-value en termes d’apprentissages des élèves.

Comment avez-vous conçu ce manuel ?

Les programmes de CM1 et CM2 en sciences comprennent un nombre énorme de notions à acquérir. A l’aide de chercheurs, nous avons mis à plat toutes ces notions, en les regroupant pour leur donner une cohérence scientifique interne. Ce regroupement devait aussi obéir aux contraintes pragmatiques de la classe. Nous avons créé dix missions ou chapitres, sur dix thématiques différentes, qui sont autant de laboratoires pour les élèves. Tout le programme est couvert, avec un chapitre par période scolaire, sur deux ans. Tout peut être adapté pour l’intérieur de la classe ou être fait dehors, en particulier le chapitre « Zombois », sur le bois mort.

Chacun de ces mini-labos a été conçu avec un chercheur ou une chercheuse spécialiste de la problématique autour de laquelle s’articulent toutes les notions du programme reliées. Les chapitres s’ouvrent avec une vidéo dans laquelle un chercheur lance un défi aux élèves. Toutes les vidéos suivent le même scénario, utilisent des mots-clé communs, afin que l’information soit plus facile à extraire pour les élèves.

Toutes les missions comportent cinq étapes. La première étape est celle de la découverte de la problématique grâce à une vidéo tournée par le scientifique référent du chapitre. Il y explique qui il est, ce qu’il fait, quelles sont les problématiques, et précise quelques notions, puis donne aux élèves leur mission. La deuxième étape consiste à faire un état de l’art, à partir d’un article rédigé spécifiquement pour les élèves par le chercheur ou la chercheuse ou d’un jeu de documents scientifiques. La troisième étape, c’est un protocole de recherche à mener, et la quatrième, c’est l’interprétation des données. Enfin, la cinquième étape, c’est la restitution, pour laquelle nous avons créé des modèles de rédaction d’article scientifique, de poster, de présentation orale, de vidéo, voire de maquette ou modélisation.

Nous avons essayé de reproduire la vie de laboratoire dans chacune des missions, en mêlant de manière très intriquée ce qui relève de la pédagogie et de la recherche scientifique. Il ne s’agit pas de singer le monde des chercheurs ‒ l’élève ou l’enseignant ne sont pas des producteurs de savoir ‒ mais de faire comprendre à l’élève que son travail à l’école participe d’une même chaine.

Et nous avons aussi veillé à avoir des profils très variés de chercheurs, des personnalités et des âges différents, ainsi, les élèves peuvent se projeter en eux.

Au-delà des sciences, les élèves ont des travaux mathématiques et d’écriture à chaque chapitre, et font aussi de l’histoire des sciences, en abordant la construction de la méthode scientifique.

Et à quoi cela ressemble-t-il ?

Cet ouvrage est en deux parties. La partie papier est un outil pour l’enseignant. En ligne, sur Lea.fr, le site pédagogique des éditions Nathan, sont regroupés toutes les ressources et les supports pour les élèves. Ces supports sont à imprimer ou pas. Nous savons que les moyens manquent dans les classes, donc tout est faisable et accessible dans l’environnement ordinaire de la classe. Par exemple, les collègues peuvent imprimer le cahier du chercheur pour chaque élève, pour les rassembler à la fin de l’année, mais ce n’est pas indispensable pour mener le projet.

Dans le manuel, chaque chapitre présente en introduction toutes les connaissances scientifiques dont a besoin l’enseignant, avec des points de vigilance (les risques de confusion, par exemple), et des lexiques. Mais c’est bien un manuel, pas un livre de théorie, c’est un outil pour la classe.

Avec le livre et le site, les collègues ont toutes les procédures et les gestes professionnels détaillés pour chaque chapitre, pour organiser la classe, contextualiser, formuler la consigne, expliciter les savoirs et les procédures, pour piloter l’activité des élèves (ne pas faire à leur place ni les laisser seuls), étayer ‒ le rôle indispensable de l’enseignant ! ‒ et mutualiser. Nous savons où ça peut coincer, parce que nous avons testé la démarche d’éducation par la recherche nous-mêmes.

C’est ambitieux, mais faisable, parce que le manuel est très explicite sur les contenus, la mission, etc.

Qu’apporte l’éducation par la recherche aux élèves ?

On donne une clé puissante aux élèves : il faut que les enfants, dès le plus jeune âge, comprennent comment on construit les savoirs, il faut les préparer à un monde où il y a un dérèglement climatique, l’intelligence artificielle, des pandémies… Il leur faut une boussole scientifique, pour savoir distinguer les régimes de vérité.

L’école est le lieu dédié aux savoirs. Mais quel est le statut de ceux-ci ? Et quel est le lien entre leur manuel ou les livres, et un laboratoire de recherche ? Pour nous, l’objectif de la démarche est de créer un lien de confiance entre les jeunes, dotés de leur esprit critique, et les savoirs scientifiques produits par la recherche. Savoir qu’il y a des savoirs plus ou moins stabilisés et que la communauté scientifique fonctionne comme ça, avec des marges d’erreurs, c’est important pour qu’ils puissent s’orienter, réfléchir et prendre des décisions par la suite. Nous avons donc des objectifs scientifiques et épistémologiques mais aussi des objectifs citoyens.

Nous pensons aussi que cette démarche, si elle est suivie tout au long de l’année, rentre alors dans l’ordinaire de la classe, à la différence des sorties et visites ponctuelles. Cela permet de créer dans les classes une familiarité avec la culture scientifique et l’innovation, et de développer l’esprit critique que côtoient certains enfants dans l’ordinaire de leur famille où la pédagogisation du quotidien leur donne une longueur d’avance. Nous sommes tous les trois enseignants en éducation prioritaire, nous savons qu’il y a de grandes différences en ce domaine entre les familles. Il n’y a que dans cet ordinaire de la classe que nous pouvons cultiver l’ambition pour tous les élèves et déjouer les déterminismes de capital culturel.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

À lire également sur notre site :

Les Savanturiers : le chemin de l’investigation scientifique, par Monique Royer


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Couverture du n° 533 des Cahiers pédagogiques, "Créer et expérimenter en sciences et technologies".