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La force du travail en équipe

Les coordonnateurs du LNC

Les structures de retour à l’école sont dédiées à la rescolarisation de jeunes ayant rompu avec l’école. L’organisation, fondée sur un collectif enseignant porte un soin particulier au suivi individuel des lycéens et à leur remobilisation vers un projet. Rencontre avec l’équipe du LNC (Lycée de la nouvelle chance) de Cergy, dans le Val d’Oise, la première structure de retour à l’école de l’académie de Versailles, qui va bientôt fêter ses dix ans.

Ils sont dix-sept enseignants réunis pour leur réunion hebdomadaire de concertation, deux heures inscrites dans leur emploi du temps chaque mardi matin. « C’est un espace privilégié, un moment important pour le travail d’équipe où l’on peut parler. » Les professeurs sont volontaires pour travailler dans la structure, partageant leur temps de travail avec des heures de cours au lycée Kastler, établissement de tutelle du dispositif.

Enseigner au LNC conduit les enseignants à modifier leurs pratiques et leurs regards sur les jeunes dans les deux contextes. Ils sont engagés et investis, travaillent ensemble depuis longtemps avec le souci de partager, d’œuvrer collectivement. « Le travail en équipe au quotidien est la force de notre structure. »

La structure comprend deux classes de première et deux classes de terminale générales et technologiques avec pour chacune des effectifs de quinze à vingt élèves. Elle accueille des jeunes qui ont décroché pour des raisons variées et souvent multiples, sociales, familiales, médicales ou encore liées au monde de l’école, à des difficultés relationnelles avec les enseignants ou avec les autres élèves. « Les faibles effectifs permettent de personnaliser le travail avec les jeunes pendant le temps de la classe mais aussi individuellement ».

Des jeunes volontaires

Les jeunes viennent volontairement. Ils sont recrutés à la suite d’un entretien mené par un membre de l’équipe éducative et un des psychologues de l’Éducation nationale de Cergy. L’objectif est de cerner les difficultés à l’origine du décrochage, d’envisager la faisabilité d’un projet de retour à l’école et d’identifier les aménagements à mettre en place. Des tests de niveau complètent le diagnostic. « Mais cela ne suffit pas à voir toutes les difficultés. Beaucoup de choses se révèlent durant les premiers mois. »

Alors, de ce fait, un enseignant référent est attribué à chaque élève. Il assure un suivi psychopédagogique et, en cas de difficultés ou de besoins détectés, oriente vers des partenaires : le psychologue scolaire, un psychologue du privé dont les séances sont payées par l’établissement, le pôle médical de l’Éducation nationale, ou vers une structure de suivi social. Les temps de rencontre des lycéens avec leur référent sont inscrits dans l’emploi du temps.

Le « bocal » où travaillent les coordonnateurs

Le système de référence et les réunions de concertation sont d’autant plus importants que la structure fonctionne sans vie scolaire et sans conseiller principal d’éducation. Trois professeurs coordonnateurs assurent le suivi des jeunes au quotidien, supervisent l’organisation générale de la structure, le travail d’équipe en étroite collaboration avec les acteurs du lycée et les partenaires extérieurs.

Un soutien collectif

Les retours sur le suivi individuel des élèves se partagent en équipe un mardi sur deux et de façon informelle lorsque c’est nécessaire. « En tant que référent, c’est important de ne pas gérer seul pour rester lucide et efficace, sinon cela peut devenir difficile face aux problématiques que l’on nous amène. L’équipe apporte un soutien collectif. » Les décisions concernant les lycéens sont prises collectivement, elles sont communiquées aux intéressés dans une démarche d’échange et d’accompagnement.

Un soin particulier est apporté au relationnel entre enseignants et lycéens. « Nous n’avons pas le même relationnel que dans le système classique. On reste dans notre position d’adultes mais on évite la posture qui a pu contribuer au décrochage. » Une journée d’intégration est organisée en début d’année à la base de loisirs de Cergy avec des activités sportives partagées. « On n’est pas toujours bons, on apprend, on rigole. Ça dédramatise. » Tout au long de l’année, hors temps de pandémie, une salle commune permet de manger ensemble, de jouer au babyfoot. Des moments de convivialité sont organisés avant chaque vacances, des sorties au cinéma par exemple. Ces partages contribuent à reconstruire la scolarité, à instaurer la confiance et le respect mutuel pour favoriser la réparation.

Des ateliers se déroulent le jeudi après-midi : théâtre avec une comédienne de la Nouvelle scène nationale de Cergy, yoga, ateliers d’écriture, temps d’études collectif ou encore par le passé une webradio. Les enseignants peuvent participer. Un conseil des élèves se réunit régulièrement, fait des propositions, contribue à les mettre en œuvre. « Il y a une forte cohésion avec un même espace et différents temps de partage mais c’est plus compliqué en période de COVID. »

L’ile des possibles

La pandémie a aussi mis entre parenthèses le projet structurant du LNC : « l’ile des possibles ». Chaque année, en mars, un séjour de trois jours est organisé dans un écosite agricole du Vexin. « C’est un autre rapport à la consommation et à la production et cela permet de sortir les jeunes du cadre urbain. » L’objectif de ce projet structurant du LNC est de créer en groupe une société utopique, une « ile des possibles », dans laquelle ils vont devoir choisir le régime politique, le mode de production, le système éducatif et judiciaire, etc. « On mélange les classes et les disciplines pour un projet transversal qui fasse sens pour eux. Les élèves interrogent beaucoup le sens. »

Tous les enseignants se relayent pour être présents au cours du séjour, les élèves les interrogent si besoin. Les productions sont présentées à la fin avec un vote pour déterminer l’ile préférée. L’idée est de « réinvestir les savoirs, en les questionnant, en s’en emparant en groupe » par un projet conçu comme « une dernière respiration avant le bac, pour donner du sens aux connaissances ».

La cohésion et la culture d’équipe sont indispensables en temps ordinaire au LNC et encore plus dans une période mêlant les difficultés liées à la mise en œuvre de la réforme du lycée et celles provoquées par la pandémie.

L’évaluation et le bac

Le sujet de l’évaluation dans le cadre de la réforme du bac a beaucoup occupé l’équipe « en particulier la question du contrôle continu, difficile à appréhender par des jeunes qui sont dans la discontinuité et ont des rapports difficiles à l’évaluation ». Le collectif a choisi de répartir l’évaluation sur plusieurs critères, incluant différents types de productions écrites et orales mais aussi l’investissement. « Cela permet de prendre en compte plus de choses, pas uniquement les résultats mais aussi de voir la progression. C’est important pour ce profil d’élèves de sortir d’une évaluation-sanction avec le risque de décrochage et la question de la confrontation. »

Les réunions hebdomadaires de concertation sont aussi le lieu de coconstruction, de suivi et d’évaluation de projets interdisciplinaires. Une thématique par an est choisie et une demande de formation établissement est déposée. « Nous avons une culture de la prise de décision collégiale, de la concertation. »

En fin d’année, les projets sont évalués, leur reconduction ou non est décidée, d’autres initiatives peuvent être prévues. « On se met d’accord sur les budgets et les horaires dédiés, pris dans les différentes disciplines. Avec la lourdeur des enseignements de spécialité, c’est plus compliqué. » Or, pour des élèves en raccrochage scolaire, ces projets permettent d’aborder les apprentissages de façon active.

Réfléchir ensemble

Des temps d’analyse de pratiques se déroulent tout au long de l’année. Nécessaires pour appréhender la diversité des élèves et des difficultés, ils stimulent la culture d’équipe par une approche réflexive collective.

Une partie de l’équipe en stage à l’ile d’Oléron

L’équipe pédagogique bénéficie également d’une recherche-action menée par trois enseignants-chercheurs de l’université de Cergy : deux en sciences de l’éducation et un en géographie. Les deux premiers accompagnent le collectif en observant les pratiques en classe et en émettant des propositions à partir de ce qui est fait, mutualisé ou pourrait être fait. Le géographe travaille sur les espaces d’apprentissage en proposant des aménagements d’espaces d’apprentissage et de travail. « C’est intéressant mais assez frustrant car les locaux sont dégradés. Il y a un décalage entre les envies et la réalité. »

Le dispositif LNC construit et animé collectivement atteint ses objectifs principaux, ceux du raccrochage et de la réparation. Le taux moyen de 81 % de réussite au bac est satisfaisant pour ce type de public et les orientations diffèrent peu de celles de bacheliers en structure classique. La réussite se lit aussi dans l’effet positif sur l’estime de soi, sur la réparation du lien au sein des familles et avec l’école. « Des anciens élèves nous donnent spontanément des nouvelles, disent qu’ils vont mieux, nous remercient même s’ils n’ont pas obtenu le bac. Des parents viennent témoigner lors des portes ouvertes sur l’équilibre familial qu’ils ont retrouvé. »

Alors, malgré les difficultés liées à la période chaotique, les réussites et la force du collectif donnent l’énergie d’analyser, d’adapter, de partager toujours et encore les projets et les difficultés.

Monique Royer

Le site du Lycée de la nouvelle chance de Cergy