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De nouveaux programmes
Tout part d’une commande politique, ministérielle, au CSP (Conseil supérieur des programmes). La lettre de commande donne des orientations. Ces nouveaux programmes ont été commandés par Gabriel Attal. Ce sont des groupes d’experts (enseignants, inspecteurs, universitaires) qui travaillent à partir de la lettre de commande. Ils produisent des textes qui sont remis au CSP, qui lui-même les retravaille et publie un projet. Le projet a été publié en janvier 2024. Il y a ensuite une phase de concertation avec les syndicats, les associations disciplinaires et les enseignants (concertation en ligne dans ce cas). Enfin les programmes définitifs ont été publiés en juin 2024.
Ils ont pris en compte les remarques remontées lors des consultations :
- Suppression de la quatrième colonne (« mise en relation avec les projets menés dans l’EMC »), comprise par les enseignants comme un travail supplémentaire.
- La colonne « démarches et situations d’apprentissage » a été renommée de « propositions » à « possibles » pour ne pas être prise pour des injonctions. La colonne fondamentale est la deuxième, sur les contenus.
- Par ailleurs, le ministère avait aussi fourni une liste de textes à faire lire aux élèves. Perçue comme « plaquée » sur le programme, cette liste a été supprimée.
À sa création, l’EMC avait un programme pensé avec une progression annuelle. Au fil du temps, les réformes de chaque niveau de l’enseignement l’ont fait éclater en multiples programmes, selon les séries, indépendants les uns des autres. La commande était donc de refaire un seul programme cohérent du CP à la terminale, qui intègre les « éducations à » et les compétences psychosociales. La commande était aussi de l’annualiser (sortir des programmes de cycles) et d’insister sur la connaissance des institutions.
« On n’a jamais autant enseigné la citoyenneté en France qu’actuellement », dit Jérôme Grondeux : il ne s’agit pas de tout chambouler, mais les programmes antérieurs en primaire et collège, bien que très riches et pertinents sur la notion de citoyenneté, étaient trop vastes. En lycée général le choix était très riche mais ne garantissait pas que tous les élèves aient vu la même chose. L’ajout des « éducations à » rendait l’ensemble confus.
« Refaire de l’EMC la clé de voute du parcours citoyen » est donc la motivation principale, en structurant le tout, en le mettant en cohérence, avec quelques orientations principales :
- travail interdisciplinaire ;
- prise en compte du travail déjà effectué par les enseignants en collège depuis 2015 pour rester proche de ce qui se fait déjà ;
- construire une progressivité (avec une approche spiralaire qui doit aider l’enseignant à choisir le degré d’approfondissement de la notion en fonction de sa place dans le curriculum) ;
- ne pas confondre EMC et éducation à la citoyenneté : on ne doit pas tout faire rentrer dans l’EMC. L’éducation à la citoyenneté est plus vaste et se passe aussi ailleurs qu’en cours (dans les CVC et CVL, les projets EDD, etc). Ce nouveau programme doit permettre de relancer la réflexion sur le parcours citoyen.
Il donne une impression d’abondance, car il est écrit avec le désir d’être précis. Par ailleurs, il repose sur le souhait de conserver tout le potentiel d’innovation pédagogique qu’il y a dans l’EMC, discipline par excellence de la pédagogie de projets, du travail de l’oral et de l’évaluation des compétences. « On ne donne pas une note de citoyenneté », rappelle Jérôme Grondeux, mais on évalue un degré d’investissement des élèves.
À la création de l’EMC, le mot moral posait problème. Il a même été question d’un enseignement de « morale laïque ». Le débat sur l’appellation montrait les réticences à enseigner la morale, assimilée à la bienpensance ou au catéchisme républicain. Avec le temps, les enseignants et le grand public ont intégré le sigle de cet enseignement et donc le mot morale, au sens de mœurs et de règles de vie en société. C’est une morale sociale, civique. Le terme renvoie aussi aux compétences psychosociales : vivre en société. L’enlever donnerait à penser que l’éducation civique ne serait plus qu’un enseignement des institutions. La question de l’engagement est liée au terme de morale.
Les valeurs sont des préférences collectives. Les principes, eux, ont un sens juridique, ils sont directeurs du droit, c’est-à-dire qu’ils guident le droit.
Enseigner des valeurs et des principes, c’est comprendre les tensions qui les traversent : « Ce n’est déjà pas simple pour un individu de vivre selon ses valeurs, ça ne l’est pas non plus pour un collectif. » L’enseignant ne doit pas idéaliser l’EMC auprès de ses élèves, mais montrer ce qu’on essaie de faire dans un contexte où tout le monde n’est pas d’accord sur les moyens et les objectifs. On retrouve la dimension morale, normative : on ne fait pas la morale, on essaie de mettre œuvre des valeurs et des principes, même si on n’y arrive pas tout le temps.
Il y a un paradoxe avec ce sujet. C’est un contenu d’enseignement souvent critiqué, et, dans le même temps, son absence est souvent déplorée. L’EMC doit permettre aux élèves de comprendre à quoi sert une institution, pas les détails de son fonctionnement.
Quelques exemples pour illustrer la place des institutions :
– En 6e : en lien avec l’élection des délégués, comprendre qu’il y a des élus à tous les niveaux, même si on ne détaille pas leurs fonctions, sur lesquelles on reviendra plus tard.
– En 4e : l’État de droit est un État où personne n’est tout-puissant, pas même le peuple (par le vote des lois), d’où le rôle du Conseil constitutionnel.
– En 3e : les institutions européennes. On peut rentrer par le problème suivant : les États ont déjà leurs propres institutions, mais on veut en plus mettre les citoyens en rapport direct avec le niveau européen, d’où des ajustements imparfaits. Entrer par le problème, ne pas présenter les institutions comme parfaites, c’est montrer que l’Union européenne est construite entre une logique fédérale et confédérale dès le départ. Ça laisse pour les élèves le futur ouvert.
La progressivité des apprentissages est la clé pour ne pas en faire trop, d’où l’importance d’avoir une vue d’ensemble des programmes du début à la fin.
La façon dont les élèves se tournent vers leurs enseignants à chaque évènement important montre la confiance qu’ils leur portent, plus qu’envers les médias. L’école n’est pas neutre sur le plan des valeurs, puisqu’elle enseigne les valeurs de la République, mais elle n’est pas partisane, et c’est ce qui permet cette confiance.
Une séquence d’actualité comme celle que l’on vient de vivre depuis le 9 juin, avec les élections européennes puis législatives, peut donner des exemples sur l’enseignement de la Constitution. L’enseignant ne doit pas donner l’impression de prendre parti mais montrer sur quels arguments s’appuient les uns et les autres.
Son travail est donc d’extraire de l’actualité ce qui est en rapport avec les programmes. Il va filtrer l’actualité par les programmes, par son projet pédagogique, par sa neutralité d’enseignant. Son rôle est d’aider à comprendre le cadre d’un débat démocratique, pas de chercher à le trancher. Affirmer des positions partisanes peut faire perdre de la légitimité à l’enseignant et placer ses élèves dans un conflit de loyauté. Par l’EMC, on montre que la démocratie est un travail, un processus, on essaie de faire au mieux, mais tout peut être discuté.
Bon à savoir : Les questions sont, grosso modo, celles posées par Lætitia Paeme à Jérôme Grondeux, la présentation ayant pris la forme d’un entretien. Les citations entre guillemets sont de Jérôme Grondeux.