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L’école d’aujourd’hui à la lumière de l’histoire

Claude Lelièvre, Odile Jacob, 2021

Voilà un livre qui serait utile à tous ceux qui bâtissent un tableau fantasmé de « l’école d’autrefois », alors qu’ils sont souvent dans l’ignorance complète des réalités historiques. Mais en fait, il est utile à tout le monde pour ce qu’il nous apprend, avec érudition et rigueur, outre le plaisir à déguster la « malice » dont sait fait preuve l’ami Claude Lelièvre.

L’école de Jules Ferry fut à la fois moins et plus innovante qu’on ne le croit. Elle hérite du passé (par exemple l’importance de l’agrégation, l’éducation morale…), mais a su aussi bousculer l’ordre établi, ce qui fait qu’au fond, il est paradoxal de la mettre au service du conservatisme aujourd’hui. Et on rencontre tout le long du livre nombre de surprises.

L’auteur a l’art des citations savoureuses, par exemple celles de Jules Ferry réclamant une pédagogie moins magistrale, et celles des conservateurs défendant l’élitisme de façon ouverte (sans les euphémismes d’aujourd’hui qui en sont la version hypocrite). Parmi les idées reçues que remet en cause le livre, on trouve notamment celle qui mettrait l’école traditionnelle du côté de « l’instruction « opposée à « l’éducation » alors qu’elle avait une visée morale forte. Les plaintes contre le niveau désastreux des élèves (mais aussi des nouveaux enseignants) ne datent pas non plus d’aujourd’hui. Citons quelques titres de sous-chapitres très parlants : « Jules Ferry n’a pas rendu l’école obligatoire », « Le moment ferryste n’est pas favorable à la dictée », « Les devoirs envers Dieu » (formulation maintenue par souci tactique très longtemps), « Les hussards noirs ne sont pas les instituteurs, mais les normaliens ».

Parmi les thèmes abordés, on citera la longue marche des jeunes filles pour trouver leur place dans l’école (mais en sciences, cela ne s’est guère arrangé), les aléas du baccalauréat et autres examens, les zigzags concernant les vacances scolaires, les fluctuations concernant la formation des enseignants, avec un focus sur les écoles normales.

L’auteur n’a pas voulu trop aborder les années récentes, mais on trouvera malgré tout évoquées certaines polémiques actuelles. Mieux vaut savoir que les élèves des écoles publiques n’ont jamais porté un uniforme, que le bon vieux « certoche » touchait moins de la moitié d’une classe d’âge, que la notation était contestée par les plus hautes instances, dont le ministre, à la veille de mai 68 (le fameux colloque d’Amiens), que la loi Debré sur le financement de l’école privée, stipendiée par le camp laïque, fut aussi très critiquée par nombre de catholiques choqués par le conditionnement des financements à la signature d’un « contrat ». Mieux vaut connaitre les difficultés à réformer le bac, à adopter d’autres formes pédagogiques et à rehausser le rôle du travail personnel par rapport aux « cours ». De longs développements sont consacrés au bac et la part respective de l’oral et l’écrit là encore résonne avec le temps présent. Sans parler du bac 68 qui ressemble quelque peu au bac Covid, ce qui peut rassurer si on en croit l’étude publiée montrant l’absence d’effets négatifs de « l’examen donné à tout le monde » !

Et à l’heure où l’on vante le mérite, à travers les bourses notamment, Claude Lelièvre rappelle ces paroles fortes de Ferdinand Buisson qui, après avoir évoqué la division de la société se reflétant dans l’école, affirmait : « Une telle différence de traitement entre ces deux classes nous devient insupportable. Nous avons, pour le masquer, imaginé le système des bourses. »

Un livre à la fois savant, donc, mais de lecture aisée, qui cherche à « apporter quelques lumières, sans éblouir, mais pour éclairer (…) en amusant parfois, en étonnant souvent, mais en argumentant toujours ».

Jean-Michel Zakhartchouk