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Il n’y a pas de devoir d’obéissance des enseignants dans la loi

©DR.
Emmanuel Zemmour : La première chose qu’il faut rappeler, c’est que les valeurs et les principes du service public ne sont pas des abstractions. Ces termes ont tellement été utilisés, parfois à tort et à travers, que beaucoup de collègues peuvent avoir du mal à s’y retrouver. Pour y voir plus clair, il peut être utile de revenir aux textes fondamentaux, comme la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ou encore le préambule de la constitution de 1946, qui ont une valeur constitutionnelle.
Pour ne donner que quelques exemples, l’égalité des droits, la liberté de conscience, la liberté religieuse, l’égalité entre femmes et hommes, la liberté d’expression ou encore le droit de grève sont garantis par la Constitution.
Ce ne sont pas des mots en l’air. Cela signifie concrètement qu’une injonction hiérarchique qui contreviendrait à ces principes, parce qu’elle imposerait par exemple un traitement discriminatoire à certains élèves, serait illégale car anticonstitutionnelle. Or, les enseignants, comme tous les agents publics, sont pleinement responsables de leurs actes. Autrement dit, s’ils obéissent à un ordre illégal, ce sont eux qui devront en répondre devant la justice.
E. Z. : Non. Ce terme n’apparait d’ailleurs nulle part dans la loi. Cela n’a pas toujours été le cas. Dans le tout premier statut de la Fonction publique, adopté en 1941 sous le régime de Vichy, il était expressément exigé des agents qu’ils se soumettent aux ordres de leurs supérieurs, même si ceux-ci étaient illégaux. Mais, heureusement, cette législation a été abandonnée en 1946.
Le statut de la Fonction publique prévoit ainsi, depuis 1983, que les agents publics doivent « se conformer aux instructions de [leur] supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ». Il insiste ainsi davantage sur la responsabilité des agents que sur l’autorité de leur hiérarchie.
Les choses sont donc très claires pour les collègues : non seulement ils ne sont pas obligés d’exécuter des ordres qui contreviendraient à la loi, mais ils ont en plus un devoir d’y désobéir.
E. Z. : La comparaison des différents programmes pour l’Éducation nationale n’a pas été simple, car, derrière les déclarations d’intention, il y a souvent peu de mesures concrètes. Quant à savoir les demandes qui pourraient en découler dans les établissements, c’est encore plus difficile.
Ce que l’on peut dire, c’est que sur les quatre programmes que nous avons consultés, un seul fait explicitement de l’universalité de l’accès à l’éducation une priorité, c’est celui du Nouveau Front populaire. Nous parlions de valeurs du service public tout à l’heure : le fait de garantir aux élèves et aux familles que tout sera fait pour que chaque enfant puisse recevoir le meilleur accompagnement possible en est une déclinaison. Cela se traduit par exemple dans la mesure de gratuité des cantines scolaires, qui n’est pas une petite mesure pour le bienêtre des élèves, ou encore par le recrutement de personnels qui favorisent l’épanouissement de tous (médecins et infirmières scolaires, assistants d’éducation, conseillers principaux d’éducation ou accompagnants des élèves en situation de handicap).
Les programmes des partis Ensemble ou des Républicains ne comportent quant à eux pas de mesures qui laisseraient entrevoir immédiatement des demandes problématiques de la part de la hiérarchie. Concernant Ensemble, il est cependant difficile d’ignorer que les deux mandatures de la majorité précédente n’ont pas contribué à la sérénité de la communauté éducative. Il faut écouter les syndicats et les associations de parents d’élèves sur ce point, ils sont très clairs. Comme dans d’autres services publics, les collectifs de travail ont été mis sous pression en se voyant obligés de compenser la dégradation du service par un investissement supplémentaire. Plus récemment, l’opposition quasi unanime au tri des élèves en groupes de niveau à partir du collège rappelle bien que l’attachement au principe d’égalité peut parfois mettre des collègues en porte-à-faux avec leur hiérarchie.
Enfin, le programme du Rassemblement national, pour ce qu’il laisse entrevoir, est bien plus préoccupant. En proposant de conditionner l’accès à certains services nécessaires au bon déroulement de la scolarité des enfants (allocations familiales, bourses, logement étudiant) à un critère de nationalité, il renonce explicitement à la vocation universelle de l’école publique. À cela s’ajoute le rapport policier que suggère la lecture de ce programme, exigeant des enseignants qu’ils se tiennent à l’affut d’éventuels élèves perturbateurs et leur imposant des sanctions-plancher, qui pourraient avoir des conséquences graves. Je rappelle que dans le programme de ce même parti aux élections présidentielles de 2022, il était indiqué que les établissements qui ne prononceraient pas des sanctions suffisamment sévères contre leurs élèves pourraient être, eux-mêmes, punis.
En outre, la volonté du RN d’obtenir un droit de regard politique sur les programmes scolaires laisse présager de graves atteintes à la liberté pédagogique des enseignants. En tant que professionnels de l’éducation, notre rôle est de nous appuyer sur l’état des connaissances scientifiques dans chacune de nos disciplines, pas de relayer les obsessions idéologiques d’une éventuelle majorité politique. Là encore, il est précisé que le « devoir de neutralité » serait particulièrement surveillé par les corps d’inspection. Mais de quelle « neutralité » s’agit-il ici ? Celle qui considère que les inégalités liées à l’appartenance de genre n’existent pas ? Celle qui accorde trop de place à la guerre d’Algérie dans le programme d’histoire de terminale ?
E. Z. : Encore une fois, nous sommes des agents publics et, en tant que tels, nous avons le devoir d’exercer notre mission conformément aux principes républicains. Cela ne signifie pas qu’il n’y aura pas de tentatives d’intimidation, mais plutôt qu’il faudra toujours garder en tête que rien ne nous oblige à être les rouages d’une machine infernale.
Mais, quiconque a déjà connu des conflits avec sa hiérarchie le sait, même quand on est certain que le droit est de son côté, ce n’est jamais facile de résister. Cela coute de l’énergie, de la sérénité, de l’argent parfois aussi. Il peut aussi être difficile de bien distinguer les marges de manœuvre réelles dont on dispose, et tout le système, lorsqu’il dysfonctionne, peut s’accorder pour nous faire douter de notre propre jugement.
La seule chose qui est certaine, c’est que plus un agent est isolé, plus il est fragile et plus il est exposé. Quoi qu’il se passe le 7 juillet, quelles que soient les conditions de la prochaine rentrée et des suivantes, nous avons besoin de collectifs de professionnels pour pouvoir exercer correctement notre métier. Cela signifie d’abord adhérer et rester en lien avec les syndicats. Mais cela passe aussi par le fait de faire vivre la solidarité sur son lieu de travail : entre les cours, pendant les pauses ou sur l’heure du déjeuner. Discuter, soutenir, proposer des ressources pour s’informer, rassurer, ce sont autant de gestes barrières essentiels contre toutes les tentatives de dénaturer le service public d’éducation.
Pour en savoir plus :
Le collectif Nos services publics a comparé les programmes sur les services publics des quatre principaux partis présentant des candidats pour ces élections législatives, Ensemble, le Nouveau Front populaire, le Rassemblement national et Les Républicains.
Ce comparateur est consultable en ligne : https://comparateur.nosservicespublics.fr/
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