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Harcèlement scolaire : cartographie d’une boite à outils

Cartographier les outils existants contre le harcèlement pour en révéler la pluralité et la complémentarité : voilà le travail présenté ici. De quoi permettre aux équipes des établissements d’agir, du niveau individuel à l’échelle institutionnelle, sans opposer les différentes approches possibles.

De par les caractéristiques de ma situation professionnelle, à la fois ressource et acteur dans les établissements, je me suis formé aux problématiques des situations de harcèlement de manière large et variée. Ma mission de référent 3PF (Programme de protection des publics fragiles) et mon activité d’enseignant spécialisé sur le terrain m’obligent à effectuer le grand écart entre mises en place institutionnelles et prise en compte des facteurs individuels.

Au gré des lectures personnelles, des formations reçues et des conférences suivies, je me suis perdu dans les différentes méthodes et approches. Chacune étant présentée comme solution quasi universelle, mais également comme réponse aux lacunes visiblement évidentes des méthodes et approches voisines, celles-ci finissent par être perçues comme concurrentes.

Face à ce non-sens, j’ai souhaité prendre du recul et organiser de manière simple et concise les différents outils autour d’une cartographie.

Des propositions complémentaires

Je me suis alors rappelé de la grille d’Ardoino de gestion des conflits, qui m’a semblé constituer la base la plus naturelle qui soit, le harcèlement et le cyberharcèlement étant des situations problématiques globales qui gagnent à être interrogées depuis la couche individuelle jusqu’à la couche institutionnelle, en passant par l’indispensable dimension groupale.

De manière très simple, j’ai repris cette grille d’Ardoino, en y ajoutant une séparation entre prévention et remédiation et j’ai tenté d’y placer de la manière la plus éclairée possible les outils dont j’avais eu connaissance.

Au fur et à mesure de la construction de la cartographie, il m’est apparu évident que les différents outils n’avaient absolument rien d’antinomiques, mais qu’ils devaient absolument s’entendre comme des propositions complémentaires, agissant à différents niveaux et poursuivant différents buts. Le tout vers un objectif commun : que plus aucun élève ne soit durablement1 victime de harcèlement.

Une cartographie qui donne à penser

Cette cartographie s’entend comme une proposition, comme un espace de réflexion, et non comme un modèle. Voici à quoi elle ressemble à l’heure de l’écriture de l’article ; elle ne sera probablement plus la même à l’heure où vous le lirez et sera encore différente quand vous aurez pu vous l’approprier.

Visuel élaboré par le SGEC (Secrétariat général de l’enseignement catholique en France) à partir du travail de Clément Gardiennet.

Ce que donne à penser cette cartographie, c’est que les méthodes de l’école de Palo Alto agissant sur l’individu et les différents dispositifs agissant sur le groupe n’ont pas de raison d’être opposés.

Ce que donne à penser cette cartographie, c’est que les outils ou dispositifs spécifiques au harcèlement issus des travaux d’Anatole Pikas – comme la méthode de la préoccupation partagée – peuvent également côtoyer des outils non spécifiques tels que la médiation entre pairs.

Ce que donne à penser cette cartographie, c’est que les outils de prévention comme le développement des compétences psychosociales ne sont pas incompatibles avec des dispositifs arrêtant une sanction comme les conseils d’éducation disciplinaires – qui permettent de prononcer une sanction probatoire là où il n’est pas possible de faire la preuve de l’acte, ce qui est souvent le cas avec le harcèlement.

Un travail en équipes

Ce que donne à penser cette cartographie, c’est que toutes les couches sont à interroger, y compris la couche institutionnelle, moins intuitive à priori, mais indispensable en tant que vecteur de valeurs communes.

Ce que donne à penser cette cartographie, c’est que l’adoption d’une voie unique est illusoire, que les différents acteurs, dispositifs, protocoles, méthodes et approches ne devraient s’imaginer qu’en imbrication avec les autres.

Ce que donne à penser cette cartographie, c’est qu’une équipe ayant l’expertise nécessaire pour composer sa propre recette en interrogeant le phénomène de manière globale devrait permettre à ses élèves de bien vivre au sein de son institution.

On peut par exemple imaginer une équipe faisant le choix d’utiliser le jeu Takattak pour préparer individuellement les élèves à ne pas constituer des cibles – selon les principes de l’école de Palo Alto. Une équipe qui utilise également le parcours « cohésion » pour agir sur le groupe en prévention. Une équipe qui se dote d’un point d’écoute pour aller chercher les situations et qui s’est formée à la méthode « No Blame » pour la résolution des situations. Le tout cadré par un protocole d’établissement pour la prise en charge des situations de harcèlement.

La nécessité de se former

Une autre équipe aura peut-être fait le choix suite à une formation d’initier le « jeu de l’idiot » – pour s’exercer à ne pas devenir une cible – au niveau individuel, insistera sur la communication non violente avec le « message clair » et aura mis en place un lieu de médiation entre pairs géré par des élèves formés. Dispositif permettant alors de limiter au cas les plus appropriés le déclenchement d’une méthode de la préoccupation partagée, possiblement prévue par un plan académique ou national.

Une dernière aura peut-être mis l’accent dans son projet d’établissement sur les compétences psychosociales en complément de la tenue régulière d’espaces de parole régulés. Elle se sera probablement dotée d’une équipe d’élèves ambassadeurs et choisira le conseil d’éducation disciplinaire pour répondre de manière institutionnelle aux situations plus persistantes.

Bien entendu, cette cartographie ne suffit pas. Pour être en mesure de dégainer le bon outil au bon moment et pour la bonne situation, les équipes auront encore longtemps besoin de formation, d’accompagnement et de partage de pratique, mais ça, c’est une autre histoire. Une histoire qui pourrait également se lire depuis sa dimension individuelle jusqu’à sa dimension institutionnelle.

Clément Gardiennet
Enseignant spécialisé et référent 3PF (Programme de protection des publics fragiles), enseignement catholique de l’Aube et de la Haute-Marne

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Contre le harcèlement scolaire : préoccupation partagée et cohésion d’équipe, par Yannick Langlais et Elsa Véniant

Harcèlement : une nouvelle responsabilité pour les chefs d’établissement, par Elsa Véniant, Yannick Langlais (accès payant)

Apprendre à apprivoiser sa peur, par Armelle Nouis

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Le livre du mois du n° 529 – Le harcèlement scolaire, recension et interview de Nicole Catheline


Sur notre librairie

Couverture du n° 579, « Respect ! »

Notes
  1. Écrire « pas du tout » serait utopique : si les outils de prévention étaient suffisants, il n’y aurait qu’une moitié à cette cartographie. Il ne s’agit pas de donner à croire qu’on peut éradiquer le harcèlement, faire en sorte qu’il soit plus rare et peu durable est bien plus réaliste, tout en étant déjà ambitieux.