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Échos de la vie scolaire en milieu rural
Ce nouveau métier est une reconversion, après avoir travaillé dans la protection de l’environnement. Quelque chose lui manquait sans qu’elle puisse le définir. Avec des parents enseignants et chef d’établissement, elle a « baigné dans l’éducation », elle était attirée par le secteur puis s’en est écartée pour y revenir. « Je me suis posée en me disant que l’Éducation nationale était faite pour moi mais que je ne souhaitais pas devenir enseignante. Et puis, j’ai lu la circulaire de mission des CPE. » Elle sent que c’est vers là qu’elle souhaite aller.
Pendant qu’elle prépare le concours en candidate libre, elle occupe un poste d’assistante d’éducation (AED) pour « avoir un pied dans un établissement et appréhender le travail de vie scolaire ». Elle travaille au pays basque dans un collège, un lycée et un dispositif relais où elle se sensibilise particulièrement aux questions de difficultés scolaires et de décrochage.
Pendant son année de stage et de son master MEEF (Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation), elle est nommée dans un collège bordelais de plus de 800 élèves. Le contraste est saisissant avec le collège rural de 470 élèves où elle exerce comme titulaire depuis la rentrée.
Elle y est la seule CPE et exerce aussi des missions d’adjointe pour la gestion des conseils de classe ou la gestion quotidienne des emplois du temps, par exemple. « Je sens que je remplis pleinement ma fonction de conseillère du chef d’établissement, qui n’a pas d’adjoint. Nous nous sollicitons réciproquement. Je fais partie de l’équipe de direction. Cela élargit le champ de la gestion de la vie scolaire. » Elle est épaulée au quotidien par sept AED correspondant à cinq emplois à temps plein. L’équipe est nouvelle, tout comme une bonne partie de l’équipe enseignante, ainsi que l’infirmière.
Son travail de CPE est celui défini par la circulaire ministérielle. C’est le contexte qui le singularise. Le collège possède un des indices d’éloignement les plus importants du département du Loiret, un éloignement à la fois géographique, culturel et un frein à la poursuite des études. Le public est plutôt défavorisé, avec la moitié des élèves dont les parents sont ouvriers ou sans activité.
L’ouverture au monde, à ce qui est extérieur à l’établissement est donc un des objectifs que se fixe l’équipe pédagogique. « Avec les enseignants, on mène un travail sur l’orientation pour lutter contre l’autocensure et le manque d’ambition. Beaucoup d’élèves ne se voient pas faire des études alors qu’ils en ont les capacités. La méconnaissance des aides au financement pour la poursuite d’études par les parents est également un frein majeur. »
Les professeurs principaux de 3e ont invité, entre autres, un médecin et une avocate pour témoigner sur des métiers qui existent au-delà du CAP ou du Bac pro, ouvrir les champs de réflexion d’orientation, de motivation. « Les parents sont un levier pour encourager leurs enfants, mais ils ne sont pas toujours faciles à atteindre. Ils ne sont pas toujours véhiculés, ont parfois des horaires décalés et il y a la fracture numérique. » Une réflexion est menée en équipe pédagogique pour faire venir plus massivement les parents aux réunions d’information et aux rencontres avec les enseignants. 80 % des élèves arrivent en transport scolaire.
Les permanences sont aussi un moment fort du travail en équipe, cette fois au niveau de la vie scolaire, pour s’outiller, faire de ces temps hors cours des moments riches d’apprentissages. Et puis, pour faciliter le lien avec les élèves, les aider à atténuer leur stress, un chien est présent plusieurs fois par semaine à la vie scolaire. « Il est d’une grande aide, c’est un bon média quand les enfants ne vont pas bien. »
Avec une dizaine de situations d’absentéisme important, majoritairement en 3e, le décrochage scolaire est un sujet de préoccupation. Il dépasse largement la fonction de CPE, avec un accompagnement individuel nécessaire associant d’autres métiers hors de l’établissement. « Avoir travaillé dans un dispositif relais m’aide beaucoup. Il y a toujours un à côté qui fait le décrochage : des traumatismes d’enfance ou des situations familiales compliquées, par exemple, qui dépassent nos compétences. »
Sans assistante sociale dans le collège, dans un désert médical et avec une longue liste d’attente pour avoir un rendez-vous chez un orthophoniste ou un psychologue, trouver des solutions n’est pas simple. À cela se rajoute la difficulté d’entrer en communication avec la famille ou à ce qu’elle se déplace au collège. Un acteur local apporte toutefois son appui : la Maison des adolescents effectue des permanences dans l’établissement et propose si besoin un suivi psychologique régulier et gratuit.
Le contraste est saisissant là aussi avec les structures dans lesquelles elle a travaillé en vie scolaire. « Ce sont des problématiques que je n’ai pas rencontrées avant. Sur la côte basque, le public était issu de classes sociales privilégiées. En banlieue bordelaise, les structures médicales et éducatives étaient nombreuses et à proximité. Là, on est presque seuls en équipe à pouvoir trouver des solutions aux élèves et aux familles. »
Dans ce contexte, la notion d’équipe est importante. Celle de la vie scolaire se réunit très régulièrement et réfléchit notamment aux moyens d’accrocher les élèves dans leur scolarité, de leur donner envie de venir au collège et plus largement de faire vivre un sentiment d’appartenance à l’établissement. « C’est passionnant, ce travail en interdépendance, ces regards croisés pour trouver des solutions ! Le métier de CPE veut cela aussi : on se doit de pouvoir communiquer avec tous les personnels présents dans l’établissement. »
Avec un collègue CPE, elle explore la question de la difficulté scolaire en voyageant. Le tandem s’est formé dans le collège basque où elle était assistante d’éducation quelques années plus tôt. Ils ont en commun la création d’un dispositif pour repérer les éventuelles difficultés d’apprentissage des élèves et trouver des solutions en lien avec des partenaires locaux. Ils avaient alors l’appui d’un chercheur en psychologie avec lequel ils avaient rédigé un article universitaire, une première étape qui les a encouragés à creuser plus encore la question.
« On s’est demandé ce que faisaient nos collègues européens. Pendant les vacances on part à leur rencontre dans leurs établissements pour découvrir leur système scolaire, voir ce qui est mis en place concernant la difficulté scolaire et comment sont réparties les missions de CPE et du service de vie scolaire. » Ils sont déjà allés en Estonie, en Finlande, en Allemagne, en Espagne, au Portugal. Ils iront prochainement en Italie, en Croatie et en Slovénie. Le choix de la destination se fait en fonction du classement PISA et de la situation géographique des pays en Europe.
À chaque fois, ils passent deux jours dans un établissement repéré grâce à l’association Pistes solidaires ou par le biais d’etwinning. Ils échangent avec la direction, les enseignants, les personnels en charge de la difficulté scolaire qui sont différents d’un pays à l’autre. Ils posent la question des valeurs qui sous-tendent les pratiques éducatives, regardent la place et le rôle des enseignants.
Ils ont constaté que le service de vie scolaire n’existe pas ailleurs et que les missions sont organisées autrement, prises en charge par des enseignants ou des professionnels autres que dans le système français. « En Finlande, un assistant de classe est présent aux côtés des enseignants pour leur apporter un appui, avec un rôle qui ressemble à la fois à celui des AESH (accompagnants d’élève en situation de handicap) et des Atsem (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles). Cela ouvre des perspectives. »
L’ambition du duo est de partager ce qu’ils ont vu dans un livre. « Ce n’est pas facile de trouver un ouvrage sur les systèmes scolaires étrangers qui explique entre autres le nombre d’heures de cours par élève, la gestion des devoirs, le travail enseignant et les modalités de recrutement. Ces rencontres sont un moyen d’observer dans une réalité de terrain ce qui est mis en place autour de la difficulté scolaire. Ce serait un moyen de proposer notre école idéale en réflexion ouverte. »
De l’Europe à sa petite ville du Loiret, la question de la difficulté et du décrochage scolaires est une constante dans ses pratiques professionnelles. Dans son collège, la palette de ses activités est large, faite d’actions au quotidien, de travail en équipe et de responsabilités, ce qui la ravit. « C’est exactement ce que je recherchais dans ma fonction. Aucun jour ne ressemble à un autre. C’est un métier vivant, qui mobilise un large éventail de compétences différentes, et duquel on apprend tout le temps. C’est véritablement enrichissant au quotidien. »
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