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Le choix d’une nouvelle vie professionnelle

Fabienne Viktorovitch est depuis cette année enseignante de français titulaire. Elle nous partage ses surprises, ses tâtonnements pour intéresser ses élèves à sa matière, et, au-delà, pour les engager dans des apprentissages malgré la densité des programmes.

Enseignante en collège n’est pas son premier métier. Elle a auparavant enseigné pendant dix ans le français langue étrangère en Suisse, puis été responsable pédagogique dans une école de communication. Ce dernier travail était varié, avec à la fois des activités d’organisation, de coordination et des partenariats.

Mais elle avait « l’impression de courir comme un poulet sans tête » avec une charge de travail énorme. « J’avais perdu le sens du travail, je ne savais plus comment le faire pour que ce soit efficace alors qu’il y avait sans cesse des réunions, des plans quinquennaux qui changeaient chaque année. »

Et puis, elle a trois enfants, avec qui elle aimerait partager plus de temps. L’enseignement la tente, elle passe le concours en espérant « un épanouissement intellectuel, une liberté de pensée et de proposer ».

Des relations franches

Elle trouve l’un et l’autre dès son année de stage. Elle se sent écoutée, conseillée à la fois par la direction du collège et par ses collègues. « On a des relations franches, sans l’ambiance de rivalité que l’on a en entreprise. » Son année de stage la ravit tout comme ses débuts de titulaire dans un collège de Rueil-Malmaison, jusqu’à récemment classé en éducation prioritaire.

Un constat toutefois lui pose question. Elle observe la difficulté des élèves à accepter la forme scolaire, voire leur non-acceptation de la discipline. « Que s’est-il passé entre l’école primaire et le collège ? Là, ils s’insultent dans les couloirs, il faut du temps pour obtenir le silence dans la classe. » Elle s’inquiète d’un avenir cantonné aux voies de garage pour des jeunes qui sont réfractaires à la demande scolaire et dont elle perçoit les capacités et la gentillesse.

Aménager la classe

Pour améliorer la mise au travail, elle change l’aménagement de sa classe en l’organisant en ilots pour favoriser le travail collaboratif. Les élèves apprécient puis, avec l’amoindrissement de l’effet de surprise, s’impliquent moins. Elle essaie ensuite des tables positionnées en chevrons sans être pleinement satisfaite. Actuellement, l’aménagement est en demi-cercle, à la façon d’un amphithéâtre avec un grand espace pour qu’elle puisse circuler. Le travail de groupe est facilité.

« La disposition de la salle est un moyen de travailler pas une fin en soi. Je pioche dans les possibilités et je garde l’aménagement un mois pour un peu de stabilité. » Lors d’un temps de vie de classe, les élèves de 5e ont demandé la création d’un espace pour lire, s’isoler. Elle pense l’appliquer l’année prochaine, avec un coin lecture garni de poufs et d’une petite bibliothèque. Elle réfléchit aussi à organiser des temps de lecture offerte ou partagée de quinze minutes, ce qui permettrait à tous, bons lecteurs ou non, d’accéder aux textes.

Elle a initié des notes qualitatives pour valoriser l’aspect citoyen, le respect de la circulation de la parole, l’écoute des autres, par exemple. « Les automatismes démocratiques sont une compétence non évaluée au collège mais pourtant essentielle et liée au savoir-être. » Elle a vu un 20 obtenu par un élève sur l’aspect citoyen, déclencher chez lui une envie de travailler alors qu’il s’estimait nul en français.

Des projets collaboratifs

Dans son approche pédagogique, elle se dit « encore imprégnée par ce que j’ai entendu en master ». Son mémoire questionnait « comment l’écriture collaborative numérique permet d’améliorer l’écriture » et prenait Les Misérables comme terrain de pratique.

Elle puise dans son expérience suisse l’importance de mettre les élèves en activité. Elle précise que les effectifs y sont moindres et les programmes moins chargés. « En Suisse, la pédagogie est très influencée par Montessori. L’aspect faire faire aux élèves est important, même à l’université avec de nombreux travaux de groupe. »

S’inspirant de ces différentes sources, elle développe des projets collaboratifs de théâtralisation pour susciter l’engagement de ses élèves. Les travaux menés avec les 4e et les 3e s’articulent avec un futur LéA (lieu d’éducation associé) sur l’écriture littéraire dans le cadre d’un partenariat entre l’Inspé de Sorbonne université et plusieurs établissements d’Ile-de-France.

Apprendre les codes du théâtre

Les classes de 5e travaillent autour des Misérables, avec une invitation à imaginer des changements dans l’histoire. « Et si l’histoire se déroulait au XXIe siècle ? » « Et si Fantine rencontrait Victor Hugo, que lui dirait-elle ? » Les propositions sont diverses pour écrire sous une forme théâtrale et en utilisant le numérique.

Dans chaque groupe, les élèves ont tour à tour des missions spécifiques pour le projet, créer une illustration, imaginer des décors, par exemple. Certains ont joué devant la classe, d’autres ont présenté leur projet comme le ferait une compagnie de théâtre à des journalistes. « On voit des miracles s’opérer. Les élèves ont progressé. Ils se sont appropriés les codes du théâtre ».

Brouillon à huit mains sur La Vénus d’Ille.

Les 4e se sont mis dans la peau d’archéologues découvrant La Vénus d’Ille, d’après la nouvelle de Prosper Mérimée, en écrivant un texte narratif intégrant des dialogues avec la statue. Les élèves présentaient de façon anonyme leur écrit à la classe et leurs camarades partageaient leurs retours sur des post-it. Ils ont même créé une petite sculpture de la Vénus « Ça a été une réussite totale pour les élèves qui se sont pris au jeu, ils ont amélioré leur texte en prenant en compte les remarques de leurs pairs. En revanche, ceux qui ne se sont pas investis sont restés avec leurs lacunes. »

S’imaginer en rhinocéros

Travail de brouillon sur Rhinocéros.

Les 3e ont travaillé en début d’année sur l’autobiographie en s’inspirant d’Un secret de Philippe Grimbert. Ils ont ensuite exploré le Rhinocéros de Ionesco. Ils se sont mis à la place du narrateur puis dans celle d’un rhinocéros, et enfin dans celle d’un habitant transformé en rhinocéros. « Se mettre dans la peau de différents personnages pour écrire un texte long, seul ou à plusieurs, pour comprendre les ressorts d’un texte polémique, ou s’approprier les codes littéraires du fantastique, tels sont les enjeux des travaux d’écriture menés avec eux. »

L’enseignant de sciences de la vie et de la Terre a fourni une fiche détaillée sur l’animal pour aider à la crédibilité des récits. Les élèves travaillaient d’abord leur brouillon individuellement puis l’écriture était commune. « Ça a bien marché. Il y a eu beaucoup plus d’écoute mutuelle ensuite, une meilleure ambiance de classe. »

Interdisciplinarité

Ces projets sont des fils rouges déroulés pendant plusieurs semaines, souvent avec la complicité de la professeure documentaliste avec qui elle investit aussi la semaine de la presse. Elle envisage d’associer l’année prochaine l’enseignant d’arts plastiques pour faire travailler les élèves sur les décors de théâtre. Avec un collègue d’histoire-géographie, elle a accompagné des classes pour rencontrer Boris Golzio, qui venait présenter sa bande dessinée Chroniques de Francine R., résistante et déportée.

Elle apprécie le travail interdisciplinaire facilité par la dimension humaine de son établissement. « C’est un petit collège avec deux à trois classes pour chaque niveau. Nous sommes trois profs de français. L’équipe est restreinte donc on travaille ensemble. On dit ce qu’on fait, on propose des projets ».

Les montagnes du programme

Elle sait cependant que tout ne peut pas se faire en projet, que toutes les notions du programme ne peuvent ainsi être couvertes. Elle confie d’ailleurs sa surprise face à « l’injonction programmatique ». « On a beaucoup de ressources à disposition avec Eduscol, des revues et des sites pédagogiques. C’est rassurant pour faire évoluer les cours, mais les élèves que j’ai en face de moi ne sont pas en phase avec ça. »

En formation, elle n’a pas ou peu appris comment répondre aux besoins des élèves, comment trouver des solutions pour qu’ils s’intéressent. « C’est un public en demande d’autre chose que des cours précis programmatiques. Et qui manque parfois de connaissances de base. »

Elle ressent la difficulté à être pleinement disponible pour gérer à la fois les « montagnes du programme » et des élèves qui sont dans leur propre cheminement, qui n’ont pas forcément envie d’être là. Elle jongle entre le stress pour faire le programme, le temps à accorder à la discipline, l’attention à porter à chaque collégien, celui qui a besoin d’aide, celui qui comprend vite, sans se laisser happer par les perturbateurs. Elle subit sa propre fatigue provoquée par les longs déplacements entre son domicile et son travail. Elle s’interroge : « Pourquoi nous envoyer loin de notre lieu d’habitation dans des établissements très mal desservis par les transports en commun ? »

Elle souligne aussi la non reconnaissance de la carrière précédente lorsqu’on vient du privé. Elle fait la part des choses entre le système Éducation nationale et l’enseignement dont elle vit avec bonheur la dimension intensément humaine. « Je suis touchée par l’humain que je vois autour de moi, tous ces profs qui remuent ciel et terre pour les élèves. » Elle aime son nouveau métier qui la pousse à réfléchir, à trouver des solutions qui ne seront pas des recettes miracles, à les construire avec ses élèves. Elle est heureuse de les aider à s’ouvrir au monde en apportant la solidité de son expérience.

Monique Royer

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N°519 – À l’école du théâtre

Coordonné par Nathalie et Yannick BineauQu’est-ce que les élèves apprennent avec le théâtre, de l’école à l’université, dans toutes les disciplines ? Sans se limiter au théâtre pour lui-même, ni aux liens étroits qu’il entretient avec la langue et la littérature, dans quel but et comment travailler avec le théâtre pour optimiser les apprentissages de tous les élèves ?