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Faire respirer l’école, en mode collectif

Benjamin Gentils

Benjamin Gentils

Photo Vassa Konstantinovitch

L’association la Fabrique des communs pédagogiques a initié le développement des « classes dehors », né du confinement et d’une nécessité de faire vivre autrement l’éducation dans une période où l’impératif sanitaire restreignait l’espace social. Benjamin Gentils, l’un des fondateurs de ce collectif, raconte son émergence.

D’une école de commerce qui le laisse sur sa faim, à Sciences po Lille pour se frotter aux logiques des politiques publiques, il oscille pour conforter ce qu’il apprend ailleurs, dans la gestion de projets associatifs. Un certain tropisme pour les suds le mène au Maroc après un passage aux Nations-unies, où il travaille sur des problématiques syndicales et de réorganisation. Il s’intéresse à la politique culturelle marocaine et à la façon dont quatre générations successives issues de l’immigration gardent un attachement à la culture du Maroc.

En parallèle, il s’implique dans des dynamiques de participation citoyenne. Lors d’un stage au secrétariat d’État de l’Enseignement et de la Recherche, il côtoie la politiste Suzanne Berger, qui a travaillé notamment sur la première mondialisation, pour une étude sur la politique publique d’innovation. « Nous étions à la fois avec le cercle des entreprises et celui du monde académique. L’intérêt, c’était le frottement entre les deux cercles, les interactions. Je regarde toujours cela. »

Son passage au ministère de l’Éducation nationale, pour contribuer à la création du Laboratoire de l’innovation, enrichit son expérience des politiques publiques et sa connaissance des organisations ministérielles et de leur diversité.

Tiers lieux et logiciels libres

Il s’investit de plus en plus fortement auprès de tiers-lieux « avec des praticiens des logiciels libres qui se retrouvent ensemble pour mettre le progrès technique au service de l’Homme ». Pour préciser ce que sont les tiers-lieux, il se réfère au sociologue Antoine Buret qui les définit comme « une configuration sociale où des individus venant d’horizons différents se rencontrent pour créer des représentations communes ».

À l’occasion du premier confinement, l’idée s’impose de soutenir le service public de l’éducation en apportant un appui aux enseignants qui se sentent démunis. Un appel est émis sur la plateforme du libre framablog, pour construire le collectif informel. En quinze jours, plus de 2 000 contributeurs se manifestent.
Une quinzaine de programmes sont lancés sur le vécu des enseignants en période de confinement, son effet sur l’éducation ou encore le retour en classe. « L’idée était d’agir par les communs en rassemblant des compétences différentes, de faire reconnaitre les contributions des agents publics et, également, d’avoir un espace de convivialité. »

Ça commence par un webinaire

Un webinaire organisé peu après la réouverture des écoles accueille 500 participants, qui quasiment tous ont en tête les cercles blancs peints sur le sol des cours de récréation pour éviter les contacts et toutes les contraintes qui transforment l’espace et les interactions sociales. Une enseignante, dont la classe était jusque-là organisée en ilots, se retrouve avec des rangées de tables bien droites. « Elle a expliqué qu’elle avait décidé de transformer l’espace en village avec des rues et des places qui portaient des noms. C’est un exemple sur la transformation en opportunité pédagogique. »

Les webinaires sont des lieux où les initiatives se partagent, où les paroles des enseignants et des parents sont écoutées, où des propositions sont émises, des collaborations se dessinent. Notamment, un participant qui travaille sur le réaménagement de l’espace public rédige un guide pour aménager une classe sans beaucoup d’argent. « Les partages dans le webinaire sont des ressources adossées à une logique communautaire, car l’idée, c’est de créer d’abord une communauté de pratiques de professionnels ou d’amateurs, les ressources viennent après. »

« Le sujet était l’éducation en temps de crise, nous étions dans la logique d’association de crise. Puis on a commencé à se structurer avec une première assemblée générale en mai 2020 et une direction collégiale. » L’association Faire école ensemble rassemble des personnels et des retraités du secteur éducatif, des développeurs, des designeurs, des architectes, des géographes, des sociologues, et d’autres profils qui composent un précieux éventail de compétences. Elle n’a pas vocation à perdurer et ses statuts prévoient son caractère éphémère.

De la crise à la durée

En 2021, elle se transforme en Fabrique des communs pédagogiques pour construire des actions dans la durée. « On s’est rendu compte en échangeant avec des acteurs de l’éducation populaire que l’éducation nécessitait du temps, agir sur les communs également. »

Dans les webinaires, l’idée de faire classe dehors revient régulièrement. « Les profs avaient envie d’enlever le masque et de faire autre chose. » Lorsqu’à l’occasion des vacances de printemps 2021, les écoles restent fermées trois semaines pour raison sanitaire, un programme est lancé pour travailler sur le thème, associant différentes compétences.

Développer la classe dehors répond à des enjeux à la fois pédagogiques, environnementaux et sanitaires. « On en revient aux évidences. Comment éduquer aux questions environnementales ? Comment observer les changements climatiques près de chez soi pour avoir des capacités de compréhension et des capacités d’agir ? »

Circulation des ressources

L’initiative attire. Les ressources, les informations circulent avec l’appui du numérique. La convivialité aide à fédérer des profils différents – venus de l’univers informatique, de l’éducation à l’environnement et plus largement populaire, de l’Éducation nationale –, à créer une coalition d’acteurs. « À nous de penser comment la ressource utile peut être disponible sur tous les supports possibles, à la fois sur le site des Cahiers ou du Café pédagogique, le site de l’Éducation nationale et la plateforme de la classe dehors. »

La crise sanitaire s’éloigne. Le thème de la classe dehors demeure d’actualité, pour lutter notamment contre l’écoanxiété, mais pas uniquement. « Il n’y a pas de transition écologique sans mettre l’école au cœur et sans enseignants, sans comprendre son milieu. Il n’y a pas de transition sans éducation. »

affiche des rencontres internationales 2025 de la classe dehors.

Des rencontres internationales

Des scientifiques, compagnons de la Fabrique, soufflent l’idée d’une rencontre internationale. Des élus locaux rencontrés valident l’idée. La première édition des Rencontres internationales de la classe dehors voit le jour à Poitiers en 2023. La deuxième se déroulera en mai 2025 à Marseille. Ces rencontres permettent de toucher de nouveaux enseignants et de leur montrer ce qu’il est possible de faire, dans l’idée toujours d’être un soutien au service public de l’éducation, dans une logique de mutualisation des supports, de partage de formations. « C’est un mouvement de fond, un mouvement transformant, puissant. »

Un club des collectivités est initié, dans une logique sociale et globale, une approche systémique pour que les enfants aient, quel que soit le jour de la semaine, le lieu où ils vivent, un accès à un environnement sain, comme le stipule la Convention internationale des droits de l’enfant.

Monique Royer

Pour en savoir plus

Le padlet de la Fabrique des communs pédagogiques

Le site de la classe dehors

Le site des Rencontres internationales de la classe dehors


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