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Des Rencontres internationales sur l’école dehors

L’engouement pour la « classe dehors » ne se dément pas. Après avoir publié un dossier consacré à cette thématique, les Cahiers pédagogiques sont bien volontiers partenaires d’une prochaine manifestation internationale qui va permettre des échanges et des réflexions de fond. Entretien avec trois des organisateurs de ces Rencontres internationales de la classe dehors, qui auront lieu à Poitiers du 31 mai au 4 juin.
Pourquoi ces premières Rencontres internationales de la classe dehors ?

Moïna Fauchier-Delavigne : L’idée a été émise par les membres du comité scientifique informel qui s’était mobilisé autour de l’action de la coalition « classe dehors » impulsée par l’association la Fabrique des communs pédagogiques en avril 2021, suite à la seconde fermeture des établissements scolaires.

Plusieurs colloques ont été organisés ces derniers temps, mais là, nous avons voulu associer de nombreux partenaires pour soutenir les enseignants désireux d’aller dehors avec leurs élèves. C’est ainsi que vont participer aussi bien des associations pédagogiques, des agences et des opérateurs de l’état, des associations de défense de l’environnement, des mouvements d’éducation populaire que des collectivités, des laboratoires de recherche, des artistes… Parmi les premiers soutiens, sont à noter : l’Académie de Poitiers, l’Ageem (Association générale des enseignants des écoles et classes maternelles publiques), la Ligue de l’enseignement, la Mission laïque française, l’Office français de la biodiversité, le Réseau Canopé et la Ville de Poitiers (liste complète en ligne)…

Benjamin Gentils : Ces Rencontres sont aussi nées pour répondre au besoin de reconnexion des enfants avec la nature, qui est pointé par la recherche depuis plusieurs années, à la nécessité de retrouver un espace non confiné suite à la crise sanitaire, mais aussi de repenser la forme scolaire, une double dynamique donc.

Crystèle Ferjou : Aller dehors n’est peut-être pas nouveau (classes de découverte, projets autour de l’environnement), mais ce qui est intéressant, c’est l’intégration du dehors comme nouvel espace d’enseignement dans son quotidien d’enseignant.

M.F.-D. : Le fort développement de la classe dehors ces derniers temps coïncide avec l’accès à de nombreux outils et ressources qui permettent de collaborer (tiers lieux, logiciels libres…). Après le covid et une longue période éloignée les uns des autres, nous sentions le besoin de réunir des acteurs les plus divers : praticiens, chercheurs, mais aussi architectes, élus, pour faire levier. La pratique s’est rapidement répandue en deux ans et j’espère que d’ici quelques années, plus de la moitié des élèves français pourront faire classe dehors chaque semaine, dans des espaces différents, dont des espaces naturels. C’est à la fois une question d’éducation, de santé publique, d’apprentissage et de transition écologique.

Quel est le déroulé de ces Rencontres ?

M.F.-D. : La programmation sera adaptée à de nombreux publics : professionnels de l’éducation avec des journées de formations dédiées (personnels de l’Éducation nationale, agents et élus des collectivités, animateurs nature, journalistes, écodélégués…), enseignants et élèves, grand public. L’enjeu de la formation, et en particulier celles des enseignants, est capital et la mobilisation du réseau des Inspé, une nécessité !

Un colloque scientifique international permettra de mettre en lumière une pluralité de pratiques, s’attachera à faire lien avec les pratiques dont est héritière la classe dehors et à interroger ses effets sur les territoires et celles et ceux qui l’habitent (humains et non humains).

Enfin, pendant une journée, le 1er Juin 2023, les enfants enchanteront Poitiers. Cette expérience de rendre la rue aux enfants a pour but de faire vivre à toutes et tous, enfants comme adultes, l’espace public comme un espace sûr et convivial d’apprentissage ludique, d’ouverture à l’autre et au monde. Un appel à participation adressé aux enseignants de l’académie de Poitiers est prévu courant janvier 2023.

B.G. : Il y a aura aussi une forte implication de l’éducation populaire, comme celle de la Ligue de l’enseignement qui nous accompagne dans l’organisation de ces Rencontres. Je voudrais dire aussi que, si la classe dehors permet d’ancrer les apprentissages, et donc d’acquérir les fondamentaux, nous nous situons dans le contexte de la crise climatique et d’un impératif de préserver la biodiversité. La classe dehors, c’est aussi repenser les questions de mobilisation environnementale et développer une prise de conscience écologique, en se rapprochant de la nature.

En même temps que les Rencontres, pour celles et ceux qui ne seront pas à Poitiers, se déroulera la semaine francophone de la classe dehors. Tous les enseignantes et les enseignants de la maternelle à l’université sont invités à sortir dehors au moins une demi-journée avec leur élèves, à proximité de leur lieu habituel d’enseignement.

Chaque enseignant sera invité à partager une photo de sa classe dehors, un témoignage d’élève et une ressource pédagogique pour contribuer à une bibliothèque libre de droits de ressources pédagogiques pour la classe dehors, accessible gratuitement et sans condition à toutes et tous.

La classe dehors, c’en est où ?

M.F.-D. : De plus en plus d’enseignants pratiquent la classe dehors, mais ils ne sont pas encore assez « visibles », et doivent encore souvent prouver l’intérêt de la démarche avant de commencer. On ne doit plus entendre demain : « J’aimerais le faire, mais mon inspecteur ne veut pas. » L’intérêt de la classe dehors doit être reconnu par tous, et le développement de cette pratique doit être accompagné par l’ensemble de la communauté éducative.

B.G. : En maternelle, ça marche très fort. C’est vrai que c’est moins simple à mettre en place dans le second degré, mais on a la bonne surprise de constater que la moitié des personnes inscrites pour l’instant à la semaine Classe dehors sont en collège ou lycée. Dans le second degré, l’accompagnement est particulièrement important. Nous avons besoin d’une mobilisation nationale des Cardie (cellules académiques recherche, développement, innovation et expérimentation) mais aussi des Ateliers Canopé, des réseaux d’éducation à l’environnement et des CAUE (Conseils d’architecture, d’ur­banisme et de l’environnement).

L’investissement de la ville de Poitiers est intéressant aussi parce qu’il montre que la classe dehors peut se faire en ville ; on n’a pas besoin d’avoir une forêt à proximité.

C.F. : Oui, il faut investir tous les lieux possibles. Les enfants doivent redécouvrir la nature de proximité et l’école a un rôle à jouer pour renouer avec elle, aussi bien en milieu rural qu’urbain. On peut faire classe dehors partout.

M.F.-D. : Faire classe dehors répond aussi au besoin de lien social : on est dehors, avec ses camarades et son enseignant, ensemble. C’est essentiel, alors que les enfants ne jouent plus dehors et sont devenus des enfants d’intérieur, qui sont trop souvent statiques, et seuls devant un écran. En ville aussi, on peut trouver des espaces de nature, plus qu’on n’imagine à priori. Nous avions d’ailleurs fait un webinaire à ce sujet en mai 2021. Toute la documentation est librement accessible en ligne.

C.F. : On a des témoignages de parents qui nous disent que les enfants vivant l’école dehors ont envie de se réapproprier le jardin familial, les espaces verts et tout l’espace de proximité.

Qu’en est-il de la dimension internationale ?

B.G. : On a beaucoup regardé la classe dehors « choisie » dans les pays du Nord, scandinaves en particulier. Mais je m’intéresse de plus en plus à la classe dehors « subie » dans les pays du sud (insuffisance d’infrastructures bâties, camps de réfugiés, etc.) et les principes de résilience et de continuité des apprentissages dans des pays qui n’ont pas les moyens d’avoir une superstructure scolaire. En plus, en France, alors qu’il fait de plus en plus chaud, la classe dehors peut être aussi une solution. Nous avons donc beaucoup à apprendre du sud.

Il y a beaucoup de chercheurs étrangers dans le comité scientifique, quinze pays sont impliqués dans la semaine francophone. Nous sommes aussi partenaires de la Mission laïque française, et nous organiserons des live entre classes partout dans le monde.

En même temps, il faut réfléchir sur la forme scolaire. Celle-ci peut rester très traditionnelle, même dehors.

C.F. : Oui, bien sûr, il faut transformer la forme scolaire, et le dehors offre cette possibilité de changement, car il devient un quatrième paramètre, outre le maître, l’élève et le savoir ; un paramètre imprévisible auquel il faut savoir s’adapter.

Pour finir, Benjamin, peux-tu nous parler de la Fabrique des communs pédagogiques qui est force motrice pour ces journées ?

B.G. : Nous en avons un miroir dans cet entretien et nous incluons les Cahiers pédagogiques dedans. Beaucoup de monde est impliqué. Je rajoute aux acteurs dont nous avons parlé précédemment les retraités de l’éducation. Notre logique, c’est le renforcement du service public et en aucun cas une substitution. Nous revendiquons un statut pour un secteur qui n’est ni l’État, ni une entreprise, mais qui réunit des coalitions d’acteurs (état, associations, entreprises, individus) autour de communs.

On essaie avant tout de créer du lien entre les personnes, entre les organisations et de proposer les conditions du faire ensemble (faire classe dehors, fabriquer du matériel pédagogique, concevoir des ressources, etc.). Notre parti pris, c’est le recours aux licences ouvertes. On partage une culture de libre circulation des connaissances. Pour cela, nous nous appuyons sur le numérique et les technologies, mais au service de l’Homme, et pas l’inverse. Nous nous inscrivons en ce sens dans la lecture d’Ivan Illich du progrès technique, et tâchons de conserver un certain esprit de convivialité ! Enfin, si la Fabrique des communs pédagogiques est un acteur de l’innovation, elle s’inscrit également dans une tradition d’éducation populaire et dans la continuité des combats pour l’émancipation de tous et toutes.

Le numérique a de l’importance dans la classe dehors, qui utilise le smartphone ou les tablettes (enregistrements de sons, photos…).

B.G. : Tout à fait, le numérique doit permettre de documenter et de partager les trouvailles et connaissances. Par exemple, pendant les Rencontres, on va organiser des balades pédagogiques dans Poitiers (mathématiques ou naturalistes) dont les parcours ont été créés par des enseignants sur Open Street Map (merci à Hervé et Monique !). Toutefois, pour se reconnecter avec la nature, il ne faut pas mettre son casque de réalité virtuelle, mais ses godasses, ses bottes s’il pleut, pour aller voir l’arbre près de chez soi, même s’il n’est pas très beau, même s’il n’est pas très rare.

M.F.-D. : Effectivement, il s’agit de découvrir l’arbre d’à côté, avant les animaux exotiques. L’école dehors contribue aussi à faire découvrir aux enfants la « beauté du monde », de ce qui les entoure au quotidien, au fil des saisons. C’est essentiel, surtout quand on sait que, pour de nombreux enfants, le seul contact avec la nature se limite à leur quartier et leur école et que, s’ils ne font pas classe dehors ou ne vont pas en classe verte, ils peuvent ne jamais toucher la terre. Cela participe de la lutte contre les inégalités.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

Moïna Fauchier-Delavigne est membre de la Fabrique des communs pédagogiques, journaliste et autrice d’articles et livres sur le sujet de la classe dehors.
Benjamin Gentils est membre de la Fabrique des communs pédagogiques, coordinateur des Rencontres internationales de la classe dehors.
Crystèle Ferjou est conseillère pédagogique dans les Deux-Sèvres, autrice d’ouvrages sur le sujet et accompagnatrice d’enseignants praticiens de la classe dehors.


Le site des Rencontres internationales de la classe dehors.

Pour participer, du mercredi 31 mai au dimanche 4 juin 2023 à Poitiers.


À lire également sur notre site :

Enseigner dehors : le métier d’enseignant en question, par Aurélie Zwang
Des bienfaits du déconfinement, avant-propos de notre dossier « Apprendre dehors », par Aurélie Zwang et Jean-Michel Zakhartchouk


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N°570 – Apprendre dehors

Depuis les confinements successifs, l’intérêt pour les pratiques d’éducation en plein air est grandissant. Inscrites dans l’histoire de la pédagogie, elles sont non seulement mises en œuvre à l’école, de façon régulière ou lors de sorties de terrain plus ponctuelles, mais aussi dans le périscolaire. Ce dossier interroge ce qui s’apprend de spécifique dehors.