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Être à côté, en toute humilité

Le métier d’enseignant ne l’attirait pas vraiment, lui, l’ancien élève redoublant. Il se souvient de la date où il a commencé à cheminer vers cette profession. « C’était le 7 janvier 2002. Je commençais en tant que surveillant au collège des Fontaines, à La-Guerche-de-Bretagne. J’y arrive sans expérience. Lors d’une visite du lycée professionnel La Champagne de Vitré, en compagnie d’élèves, j’assiste à un cours de lettres avec une production de textes, à laquelle nous sommes tous invités. Lors de la correction, je découvre le texte brillant d’un élève dont le seul problème est l’orthographe. Je me dis que ma place est là. » Il ressent tout de suite la confiance, celle des lycéens, celle du chef d’établissement et de ses collègues.
Pendant trois ans, au lycée Bréquigny de Rennes, il accompagne des jeunes qui, étant internes et souvent en sport-études, le voient plus que leurs parents. C’est une expérience fondatrice. Il apprend beaucoup sur l’éthique et l’éducation auprès des deux CPE (conseillers principaux d’éducation). Il retient en particulier cette phrase qu’il gardera comme une véritable devise : « Les élèves ne sont pas des boites de conserve. » Une invitation à considérer chacun « avec beaucoup d’empathie, de là où ils sont, sans oublier de là où l’on regarde ».
Il est touché par le public du lycée professionnel : il se sent utile auprès de ces élèves. « Ils sont bavards, ne respectent pas toujours les règles, mais quand ils s’engagent, ils s’engagent. On se ressemble beaucoup. » Il passe uniquement le concours lettres, histoire et géographie en lycée professionnel, séduit aussi à l’idée d’enseigner en bivalence.
C’est une période où il vit un peu ce que vivent ses élèves : « On me disait : “Pourquoi tu ne passes pas le CAPES ?” » La remarque l’interroge, lui pour qui l’enseignement professionnel est une voie d’accomplissement et non de garage. À l’IUFM (Institut universitaire de formation des maitres), il étudie enfin avec plaisir, reliant la théorie avec le concret de ce que vivent et apprennent les élèves, rencontre des enseignants formateurs qui assurent un véritable mentorat.
Il enseigne un an en Picardie puis à Chartres. Son chef d’établissement l’accompagne, lui apprend de nouvelles choses sur le métier. Adepte du « co-pillage », Il observe les profs d’éducation physique et sportive, qui incluent compétences et coopération dans leur approche pédagogique. Il cherche le meilleur moyen pour aider les élèves à surmonter leurs difficultés, à « supprimer tous les grains de sable qui bloquent les apprentissages pour que les décrocheurs reviennent en classe ».
La motivation est un sujet qui le mobilise. Son mémoire de titularisation, intitulé « Je m’ennuie », y est consacré. Il découvre le pédagogue Lev Vygotski et puise des idées dans le socioconstructivisme. Il s’inspire des enseignants de l’élémentaire et de leurs pratiques coopératives, recherche des outils au service d’une démarche pédagogique axée vers « l’élève tel qu’il est et non pas comme il l’imaginait ».
Il s’oriente vers l’utilisation du numérique au service d’un projet pédagogique, tente la classe inversée avec des capsules postées sur une plateforme Moodle. « Cela me permettait de structurer le travail des élèves, de les intéresser aux cours au travers de textes et de vidéos, et d’être ensuite à côté d’eux. La question était de savoir comment créer un espace pour qu’ils progressent, mais suffisamment proche pour qu’ils ne soient pas perdus. »
Il se rend rapidement compte que les capsules sont trop nombreuses, que ses élèves n’ont pas tous facilement accès à Internet, que le passage de la motivation à l’engagement n’est pas si aisé. Il suit des conférences du professeur Marcel Lebrun, du psychologue André Tricot ou d’autres sur les sciences cognitives. Il se préoccupe de respecter les rythmes des enfants, d’éviter de surcharger leurs journées déjà allongées par les temps de transport scolaire. « Tu tentes des trucs, un qui marche, d’autres qui ne marchent pas, et tu évolues. »
Les années 2010 sont celles de l’émergence de la tech dans l’éducation. Des temps d’échanges de pratiques et d’idées entre profs se multiplient, comme Ludovia, le réseau Canopé, ou encore Twitter, qui était alors un espace d’échanges et d’entraide exempt de malveillance. Il partage ses initiatives, s’inspire des autres. « J’ai beaucoup copié le premier degré : les ceintures de compétences, les ilots bonifiés. Ce qui était mis en place au collège ou au lycée, eux le faisaient depuis longtemps. Par ces rencontres, j’ai aussi découvert des auteurs comme Marcel Mauss et le concept de “don et contre don”. Je ne me suis jamais senti propriétaire de ce que je faisais, je m’inspirais des autres et les autres venaient voir ce que je faisais. » Les rencontres se transforment souvent en amitié, en fraternité pédagogique (en France, Suisse et Belgique) dans laquelle il se sent « grandir grâce aux autres ». Il partage ses pratiques dans des chroniques pour Thot-Cursus, Educavox et Le 1.
L’histoire de la Shoah et le complotisme sont des thèmes qui le mobilisent. Ils se sont imposés alors qu’il ne parvenait pas à gérer de façon pédagogiquement satisfaisante les déclarations répétées d’un élève complotiste. « Moi, de mon estrade, je lui disais que les Illuminati n’existent pas. Lui soutenait le contraire, et c’était comme un combat de coqs plus qu’un échange prof-élève. Je n’étais pas à ma place. Je n’ai pas assez fait preuve d’empathie. »
Il oriente son approche pédagogique vers le développement de l’esprit critique sous l’angle « comment ne pas se faire avoir ». Il utilise l’ouvrage Matin brun de Franck Pavloff, fait intervenir Hélène Mouchard-Zay, fille de Jean Zay et fondatrice du Cercil, Musée-Mémorial des enfants du Vel d’Hiv à Orléans. Il multiplie les approches loin du jugement moral, considérant les différences de capital culturel, le fait que l’esprit critique n’est pas inné mais s’apprend.
« On oublie trop souvent que nous sommes passés à travers le filtre de l’université, pas les élèves ! Cela renvoie à ton job : celui de leur apprendre en ayant une certaine humilité, de se mettre en empathie pour voir qui est l’élève, où il est, et quels sont ses besoins, de prendre l’élève tel qu’il est, avec son sac rempli de plus ou moins de difficultés et de souffrances. » Il prononce encore une fois le mot confiance comme le sésame qui permet de déverrouiller, de favoriser le lâcher-prise pour apprendre et envisager la réussite.
Parallèlement à son travail d’enseignant, il s’engage pour le numérique citoyen, en particulier comme membre du Conseil régional du numérique de la Région Centre-Val de Loire. Lors du premier confinement, il contribue au sein du fablab Betamachine au reconditionnement d’ordinateurs pour les mettre à disposition des familles qui n’en ont pas.
Là encore, il touche une réalité que vivent certains de ses élèves : un logement trop petit où l’ordinateur prend une place démesurée, un forfait internet qui rajoute aux charges de la famille. Et, sur l’autre versant, un accès désormais possible à internet pour les enfants et pour toute la famille.
Lorsqu’il devient directeur de deux ateliers Canopé à Chartres et à Orléans, il puise dans cette expérience, l’apprentissage de la documentation, de la traçabilité. Il s’immerge dans un autre univers et baigne dans l’ingénierie pédagogique cinq jours sur cinq. « C’est une école où tu apprends le travail d’équipe mais d’une autre manière. » Il est du côté de l’animation, du pilotage au sein d’un territoire où les liens se tissent en rhizomes avec les collectivités locales, les services de l’État, les mouvements d’éducation populaire, « les acteurs engagés pour l’éducation avec qui on travaille, tous ensemble, dans l’idée d’une alliance éducative ».
Il cite quelques initiatives nourries de durabilité, une borne arcade en matériel recyclé grâce à Olivier, un repair café, « pour montrer tous les possibles » ; d’autres engagées socialement. Avec une régie de quartier une action est engagée pour lutter contre l’illectronisme de femmes isolées, nommée « Opération framboise », en clin d’œil au nano-ordinateur Raspberry Pi utilisé pour les ateliers. L’un d’eux aborde les réseaux sociaux pour mieux les connaitre et décrypter les discours, un autre s’appuie sur des jeux de société pour aborder les algorithmes de façon ludique. À chaque initiative, c’est toute l’équipe de Canopé qui se mobilise pour sa réussite. Un réjouissant travail collectif.
Mais la classe lui manque, les élèves aussi. Il s’oriente vers une fonction support, celle d’Inspecteur de l’Éducation Nationale, cette fois dans l’académie de Besançon. Il découvre le métier « dans un bain de bienveillance » auprès de ses collègues inspecteurs et d’un groupe de formateurs « inspirants et inspirés ».
Là encore, il met en avant l’idée d’accompagnement et de communs. « On est propriétaires de rien. C’est un commun, on a des convictions, tous engagés dans le service public. ». Il reprend la devise de ses débuts pour l’adapter : « Les profs non plus ne sont pas des boites de conserve. » Il aimerait que son métier se nomme facilitateur plutôt qu’inspecteur, pour souligner qu’il est « à côté de » le temps d’une journée et que la suite appartient à l’enseignant. « Ils sont les praticiens du quotidien. »
Il parle des profs non pas comme des héros à la Robin Williams dans Le Cercle des poètes disparus, mais comme des personnes déterminantes dans le parcours d’adolescents et citoyens en construction. « Leur rôle est de salubrité publique. L’élève doit apprendre par lui-même à être élève, à devenir un citoyen émancipé. Les enseignants facilitent cela. Ils les accompagnent. Le système d’éducation permet à des générations de devenir citoyens. Grâce au travail de milliers, millions de profs, de CPE, chefs d’établissement, d’infirmières, de psyEN, etc. qui vont prendre soin des élèves de 3 ans à 17 ans. »
Il invite à la confiance, confiance des enseignants dans leur propre rôle, unique, celui « d’équiper intellectuellement les enfants », de prendre du recul aussi face à la profusion des informations et des contenus issus du numérique. Ce rôle se vit aux côtés d’autres apporteurs de contenus, encyclopédies hier, Youtubeurs et intelligence artificielle générative aujourd’hui. Il vante le travail d’équipe, les rencontres, lui qui voit son parcours et son bonheur professionnel comme le fruit de ce qu’il a appris avec et auprès des autres, de la Picardie à Rennes, en passant par Chartres et la Franche-Comté.
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