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Inspecteur d’hier, inspecteur d’aujourd’hui

Lorsque j’ai réussi le concours d’inspecteur de l’Éducation nationale, ma grand-mère, ancienne institutrice, m’a transmis une note de service datée du 14 février 1947, établie par l’inspecteur primaire de la circonscription d’Avallon (Yonne).
Cette note de service marque l’autorité que souhaitait réaffirmer l’inspecteur auprès des enseignantes et enseignants de la circonscription, à la lecture-même de l’objet rédigé comme suit : « Rappeler certaines prescriptions réglementaires qu’on a perdues de vue dans un certain nombre d’écoles », s’apparentant à un rappel à l’ordre écrit. Il est d’ailleurs renforcé par le nota situé après le point n°8 : « À partir de la date de réception de la présente note, toute infraction aux prescriptions qui précèdent entraînera automatiquement une diminution de la note de mérite. »
Avant les années 1960, l’inspection des institutrices et des instituteurs avait lieu chaque année, de manière inopinée, et était très souvent crainte. Bien que visant à renforcer la place des enseignants auprès des pouvoirs locaux (curé et maire en particulier) et les valeurs de l’école républicaine jusqu’au plus profond des campagnes, l’inspection constitue un acte de contrôle redoutable et marquant.
Pour ma grand-mère, alors institutrice de la classe unique de l’école primaire publique de Cheuilly, hameau d’une cinquantaine d’habitants, l’arrivée de l’inspecteur primaire dans sa salle de classe attenante à la chapelle était chaque année un évènement. Celui-ci venait en train d’Avallon à Cravant, puis parcourait environ six kilomètres avec le vélo qu’il avait chargé dans la « Micheline ».
L’aspect solennel de l’acte d’inspection s’illustre dans le dix-septième point de la note de service, qui recommande d’installer dans chaque classe deux porte-manteaux ou crochets afin que les manteaux de l’inspecteur et des autorités susceptibles de l’accompagner ne soient posés sur des tables poussiéreuses.
Il se retrouve également au point n°18, qui stipule que chaque enseignant doit « se reporter constamment » à cette présente note de service, qui sera « collée dans le cahier personnel des rapports d’Inspection ». En effet, chaque inspection donnait lieu à un rapport que l’instituteur ou l’institutrice était tenu de recopier à la main dans un cahier personnel.
En 2023 (circulaire du 29-8-2023), le législateur réaffirme la nécessaire présence de l’inspecteur dans la classe, vraisemblablement parce que les missions se sont diversifiées, étendues à des charges administratives supplémentaires et à l’utilisation d’applicatifs numériques inexistants en 1947 : « Dans le cadre du volet accompagnement du PPCR, la présence dans la classe, dans l’école, dans l’établissement permet de s’assurer de la qualité des enseignements dispensés à tout moment de la carrière, d’encourager et favoriser le travail d’équipe et de répondre aux besoins individuels ou collectifs de conseils, d’appui, de formation ».
Le contrôle de la qualité des enseignements demeure le cœur de la mission de l’inspecteur, mais l’évolution des exigences est notable en matière de prise en compte des besoins des élèves, d’observation de la qualité des apprentissages et de leur vie à l’école, d’évaluation de leurs acquisitions. Cela transparait à plusieurs reprises dans la note de service de 1947, à travers les points qui traitent de l’enseignement des disciplines (compositions mensuelles, orthographe et rédaction, étude du milieu local et histoire-géographie, éducation physique, chant, etc.).
Prenons l’exemple du point n°11 : là où la notion de classe et d’année scolaire est marquée (« Lecture : Pousser activement cet enseignement. Sauf déficience nettement caractérisée, les élèves du cours préparatoire (6 à 7 ans) doivent lire couramment à la fin de l’année scolaire »), les programmes actuels évoquent la mise en place des cycles (« L’apprentissage de la lecture est l’objectif central du cycle 2 »).
Là où l’inspecteur exprime un jugement sur la valeur des textes lus ou appris (point n°13) (« Supprimer sur les listes réglementaires, quel que soit le cours auquel ils sont destinés, les textes niais et sans valeur. Notre littérature est suffisamment riche pour que les enfants y trouvent leur nourriture spirituelle sans qu’il soit besoin de puiser dans l’œuvre d’illustres inconnus ou d’auteurs de second ordre. »), les programmes actuels évoquent le parcours de lecteur et la culture littéraire (« [Le professeur] fait lire 5 à 10 œuvres complètes par an, issues principalement du patrimoine et de la littérature de jeunesse. Il privilégie les lectures fondatrices qui construisent la culture littéraire des élèves »).
Arrêtons-nous également sur le point n°15 (éducation physique), qui enjoint les enseignants à appliquer « des instructions récentes » (celles de 1945) : « L’exécution de quelques mouvements d’éducation physique sera demandée, chaque fois que ce sera possible, à l’occasion des inspections ».
Même si l’enjeu de santé était déjà identifié en 1947, il s’inscrit dans un cadre sensiblement plus ambitieux en 2024, année olympique : « Pratiquer une activité physique quotidienne contribue au bien-être et à la santé, conditions fondamentales pour bien apprendre. Le ministère chargé de l’éducation nationale s’engage, en collaboration avec Paris 2024 et le mouvement sportif, à ce que chaque élève bénéficie d’au moins 30 minutes d’activité physique quotidienne dans toutes les écoles primaires quand l’EPS n’est pas inscrite au programme de la journée. »
Certaines « prescriptions » pédagogiques font l’objet de recommandations qui figurent toujours dans les référentiels nationaux actuels. Citons le calcul mental (point n°14 : « du calcul mental qui doit être enseigné chaque jour à tous les cours »), qui fait l’objet d’une indication similaire dans le guide ministériel « Pour enseigner les nombres, le calcul et la résolution de problèmes au CP » publié en 2021 : « Le calcul mental et le calcul en ligne doivent faire l’objet d’une pratique quotidienne d’au moins 15 minutes. On privilégiera, dans le cadre de plans de séquences, l’alternance de séries de séances courtes (10-15 minutes) avec des séances longues (30-45 minutes). »
Si certaines « prescriptions » d’ordre pédagogique ont perdu leur validité, la plupart des « prescriptions règlementaires » rappelées par l’inspecteur primaire restent d’actualité : la tenue en parfait état d’ordre et de propreté des locaux, WC compris (point n°1), la surveillance effective de la cour de récréation en différents points par les enseignants (point n°2), la tenue des registres matricule et d’appel (points n°3 et 4), la correction et la tenue des cahiers par les élèves et la vérification par le maitre qui doivent être faites sérieusement (point n°9), etc.
Cette note de service, contextualisée dans l’espace d’une circonscription de l’Yonne et dans le temps, à la période qui suit immédiatement la Seconde Guerre mondiale, montre l’incarnation de la fonction d’inspecteur au sein du cadre fixé au plan national, lui-même décliné à l’échelle départementale (avec un renforcement progressif du niveau académique).
À l’heure actuelle, et malgré une charge de travail en constante évolution, en particulier pour les aspects administratifs, les inspectrices et les inspecteurs parviennent à développer de nouvelles pratiques, notamment dans les champs de la gestion des ressources humaines et de l’accompagnement des parcours professionnels ou encore par leur participation à l’évaluation externe d’unités d’enseignement.
L’objectif de fédérer les équipes pour améliorer la qualité de la scolarisation de tous les élèves, dont ceux qui ont des besoins spécifiques, peut s’incarner dans des projets ambitieux comme l’installation d’une résidence pédagogique de l’équipe des conseillers pédagogiques et de l’inspecteur, pendant plusieurs mois au sein d’une école de la circonscription de Cluses (Haute-Savoie).

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