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Illustration de couverture du numéro 595 des Cahiers pédagogiques, "Racismes et école".

Illustration de couverture du numéro 595

Illustration d’Émilie Seto

Un élève vous dit : « Monsieur, Madame, vous êtes raciste ! » Que répondez-vous ? La question a été posée en vue de notre dossier sur les racismes et l’école, à paraitre ce mois-ci, aux militantes et militants du CRAP-Cahiers pédagogiques. Réponses sous la forme d’un exercice de style.

Maitre de soi

« J’évite à priori la torgnole. J’attends, je diffère, surtout pas de compulsivité. »

Empathique

« Je demanderais : « Qu’est-ce qui te fait dire cela ? » Et peut-être après : “Qu’est-ce que c’est qu’être raciste, pour toi ?” Il y a derrière ce type de discours une logique qui peut ne pas apparaitre d’emblée. Ça peut vouloir dire : “Vous êtes raciste, vous avez eu un comportement raciste, vous ne m’avez pas bien parlé, nous sommes différents, je n’appartiens pas à ton monde (je suis moi-même raciste)… ”
Et je ne me sens pas attaqué autrement que symboliquement. Ce n’est pas moi comme sujet mais moi comme fonction qui est d’abord en jeu. »

Plaisantin

« Bah oui, comme tout le monde. Je fais des généralisations abusives, je suis pétri de stéréotypes sur les autres cultures et j’ai du mal à faire complètement mien l’acceptation inconditionnelle de la personne. Comme de ton côté tu as l’air d’avoir réussi à dépasser tout ça, j’espère que tu vas m’aider à être vigilant. »

Troublé

« Raciste, moi ? Je serais interloquée et je ne sais pas si j’arriverais à répondre quelque chose d’intelligent, d’adapté psychologiquement et d’intéressant pédagogiquement.

Est-ce que mon image de personne ouverte et accueillante ne risquerait pas d’être bousculée au point que je perdrais mon sang-froid ?
Est-ce que je pourrais me reprendre à temps et demander à l’élève de préciser sa pensée ? Pourquoi, en quoi, raciste ?
Serions-nous seuls, en tête à tête ? Dans un groupe, avec trente paires d’yeux qui attendent, le téléphone ouvert et le réseau social qui chauffe ?

NON, JE NE SUIS PAS RACISTE ET JE VAIS TE LE MONTRER FAÇON PUZZLE ! »

Démonstratif

« Tu me dis cela parce que tu penses que c’est parce que je serais raciste que je t’ai mis une mauvaise note, ou que j’ai sanctionné ton comportement. Je crois au contraire que ce serait une forme de racisme de ne pas le faire en te traitant différemment des autres élèves. C’est parce que je m’efforce de traiter de la même façon tous les élèves que j’ai fait ce que tu qualifies de “racisme”, pour te trouver des excuses. »

Pas sourd

« En primaire, ça n’arrive pas tant, mais ça m’est arrivé une fois. Enfin, pas “Vous êtes raciste”, mais, glissé au copain – pas aussi discrètement que prévu –, “elle est raciste”, après que j’ai grondé deux élèves qui en malmenaient un autre en récréation. Je vous livre ma réaction spontanée : j’ai pris un air outré, pour montrer que l’accusation était grave, et que c’était une des pires insultes qu’on pouvait me faire. Et puis j’ai dit que j’avais l’habitude de gronder les agresseurs, pas les victimes ni ceux qui n’avaient rien fait. Je crois que j’ai même demandé s’ils préféraient que je sanctionne quelqu’un d’autre à leur place pour montrer que je ne suis pas raciste. En tous cas, ils ont eu l’air convaincu : ils ont dit que non. »

Théâtral

« Quand vous me dites que je suis raciste, je me sens choqué, car j’ai besoin de comprendre. En même temps, ça me réjouit, car j’ai de l’espoir. C’est la première fois que vous me dites quelque chose de personnel en me regardant droit dans les yeux. Nous allons pouvoir parler. »

Magistral

« Prenez vos livres à la page 32. »

Administratif inquiet

« C’est quelque chose qui arrive régulièrement quand je reçois les élèves dans le cadre d’une sanction. En gros, le dialogue ressemble très souvent à ça :

“‒ T’façon, Mme Machin, elle est raciste !

– Le sujet, ce n’est pas Mme Machin mais ton attitude. On te reproche d’avoir fait ça. C’est bien ce qui s’est passé ?

– Oui M’sieur.

– Tu sais que c’est interdit, n’est-ce pas ?

– Oui.

– C’est interdit et la règle est la même pour tous. Tu vois, ce n’est pas une histoire de racisme, c’est un problème de respect des règles.” »

Secondarisant

« Si ça m’arrivait aujourd’hui, j’aurais une réponse du genre : “Je ne sais pas ce qui t’a fait ressentir cela, mais si un geste ou un mot de ma part a pu te donner cette idée je m’en excuse. Et j’aimerais que tu m’expliques pour que je ne le reproduise pas.” Puis, en différé, si les circonstances le permettent, j’aborderais en classe la question du racisme systémique et ses origines historiques, de manière à inscrire l’idée que cette histoire produit des attitudes qui dépassent les volontés individuelles, des deux côtés.

Je n’aurais surement pas eu une telle position il y a une dizaine d’années, mais j’ai ouvert les yeux (un peu) sur ces mécanismes grâce aux façons de penser des jeunes, notamment mes enfants et leurs amies et amis. »

Merci à Sylvie Abdelgaber, Michèle Amiel, Gwenael Le Guével, Jean-Charles Léon, Yannick Mével, Édith Miquet, Jeanne-Claude Mori, Marine Rougé, Antoine Tresgots, Jean-Michel Zakhartchouk

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 À paraitre

Image de couverture du numéro 595