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Du racisme et des jeunes. Témoignages de profs, paroles d’élèves

Aurélien Aramini, éditions de L’Aube, 2022

Un ouvrage qui part du terrain et qui invite à la complexité, double mérite de cette enquête, publiée en partenariat avec la plateforme internationale sur le racisme et l’antisémitisme (PIRA). La préface de François Dubet souligne d’ailleurs l’intérêt d’un travail qui « reste au plus près des individus, élèves ou professeurs » et nous oblige à « renoncer à toutes nos interprétations préalables et aux explications si robustes qu’elles nous empêchent souvent de voir ce qui se joue vraiment ». L’une des conclusions est que mener des actions antiracistes à l’école est complexe et non dénué d’effets pervers, et que le racisme, qui peut s’exprimer chez certains élèves, nécessite une analyse approfondie.

L’auteur a mené son étude dans deux collèges assez différents (l’un populaire et l’autre plus favorisé ou plus mixte) et un lycée professionnel avec ses spécificités (une section bac pro Métiers de la sécurité, dont le public est très différent de celui des autres sections où sont présents de nombreux jeunes issus de l’immigration, avec parfois des tensions fortes entre les élèves concernés) .

On se renvoie la balle

D’un côté, on ne trouve guère de « racisme théorique » chez les élèves ; on sait que le racisme, « c’est mal », mais d’un autre côté, il y a ce racisme diffus d’interactions entre individus, où d’ailleurs on se renvoie la balle. Une professeure de collège explique : « J’avais l’impression d’avoir une classe avec deux groupes qui ne se mélangeaient jamais, qui ne se parlaient pas, et j’avais souvent de la part de ceux qui représentaient le quartier dans leur façon de parler une sémantique vous/nous. » Quand certains nient le « racisme antiblanc », d’autres au contraire le disent visible et fréquent. En fait, remarque l’auteur, « tout le monde se renvoie la faute ».

Comment les enseignants s’efforcent-ils de lutter contre ces préjugés ? Comment combattre le racisme ? L’auteur montre bien qu’il existe deux options avec chacune leurs inconvénients ou effets pervers. Soit on met l’accent sur l’universel, ce qui rassemble au-delà des différences, mais on risque alors d’être dans l’abstraction, d’obtenir des élèves une attitude conformiste « de façade », et de mettre ainsi sous le tapis les différences, les tensions. Soit on part de l’idée de l’acceptation des différences, d’intercompréhension entre cultures ou comportements, et le piège, bien résumé par François Dubet, est alors d’« accentuer les identifications des élèves à leurs différences, et dans une certaine mesure, les obliger à choisir leur camp ».

Cela est illustré par diverses expériences (représentations théâtrales, rencontres avec des associations, etc.), pour lesquelles les résultats sont parfois mitigés. Lorsqu’un établissement fait intervenir un imam qui prône la tolérance et fustige tout racisme, cela peut poser un problème quand ce dernier fait en même temps des remarques sur la tenue des jeunes filles présentes. De même, la visite de différents lieux de culte rate un peu sa cible quand une éducatrice musulmane d’une association ne s’intéresse qu’à la mosquée et n’accompagne pas les élèves à la cathédrale.

Mais la venue de migrants, décrivant leur itinéraire tourmenté pour arriver en France et leurs conditions de vie actuelles, s’avère un moment fort qui touche des élèves, à priori peu empathiques avec le sort des étrangers… Pour certains, qui n’ont pas de contact direct avec des migrants et notamment des « gens de couleur », c’est quasiment un révélateur et un désinhibiteur d’angoisse.

Concernant la lutte contre l’antisémitisme, l’enquête ne note pas de difficultés particulières lorsqu’il s’agit d’étudier la Shoah, mais les problèmes surgissent dès que certains élèves dénoncent le traitement spécifique de l’antisémitisme et évoquent la Palestine. Pour Aurélien Aramini et certains des acteurs interrogés, il est important de mener cette lutte dans un cadre plus vaste, en intégrant par exemple l’histoire de la Shoah à celle des divers génocides.

Un hommage à ceux qui s’engagent

Si l’ouvrage montre bien la complexité de ces actions antiracistes, il rend aussi hommage explicitement à tous ceux qui s’engagent. Et à son tour, l’historien et ancien recteur de l’académie de Besançon, où s’est déroulée l’enquête, Jean-François Chanet fait de même pour Aurélien Aramini, professeur de philosophie menant ce travail avec rigueur, en mettant au premier plan la parole des acteurs et en montrant au final l’importance des actions collectives (on pourra lire la belle citation de Ferdinand Buisson qui, il y a plus d’un siècle, insistait sur la nécessité pour les professeurs de ne pas être « seuls »).

Si on peut avoir quelques réserves sur l’aspect répétitif de certains passages et si l’on doit bien sûr contextualiser une enquête qui concerne une région et un petit nombre d’établissements, on recommande avant tout la lecture de ce livre, qui renvoie dos à dos tous ceux qui sont dans le simplisme – ceux  qui pourfendent tout ce qui leur parait ressembler au relativisme ou au « wokisme », comme ceux qui assimilent au contraire l’universel à une idéologie néocoloniale – en faisant parler les élèves, avec leurs contradictions, mais aussi leur vécu, leur ressenti et les vraies questions qu’ils posent dans notre société très fragmentée.