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Éduquer avec la nature : apprentissages et contraintes

À la Biennale internationale de l’éducation nouvelle organisée à Bruxelles du 29 octobre au 1er novembre, l’un des ateliers se déroulait dehors, au bord du lac… Un lieu idoine pour échanger sur la nature comme contexte et support d’apprentissage. L’animateur de l’atelier, nous en fait un récit évocateur et vivifiant.

Ce matin-là, je me rends à la Biennale sous la pluie en me questionnant sur l’organisation de mon atelier sur l’apprentissage au contact de la nature que j’avais bien entendu prévu à l’extérieur. Je me console alors en me remémorant les paroles d’Ovide Decroly : « La classe, c’est quand il pleut ! » La frustration se disperse alors avec les nuages et voici que percent les rayons obliques du soleil. Ouf ! Alors que les participants et participantes cherchent la salle de l’atelier sur la pancarte du bâtiment 2, ils découvrent indiqué : « Rendez-vous dehors au bord du lac ». Nous avons deux heures pour nous rencontrer, mutualiser nos pratiques et construire ensemble les balises du tâtonnement pédagogique pour clarifier l’éducation dans, et avec, la nature.

Se présenter, se rencontrer

On ne se connait pas, mais nous sommes toutes et tous là. Pourquoi ? Question à laquelle nous tentons de répondre en cherchant d’abord individuellement un fragment de la nature qui nous environne, capable de résumer la valeur éducative qui nous est propre. On le dépose ensuite sur une feuille avec un mot pour résumer notre intention puis nous explicitons notre collecte aux autres.

Hélène, enseignante en collège, commence : « J’ai choisi cette feuille d’arbre, car on y voit bien les multiples ramifications qui forment un tout, pas nécessairement géométrique mais cohérent. Pour moi ça résume bien ce qu’est l’éducation. » Paulin, directeur d’un centre d’éducation populaire au Togo poursuit : « J’ai pris cette branche de saule car elle est à la fois belle au regard, et utile au corps pour les migraines. L’éducation c’est aussi ça! »

Quand tout le monde a présenté sa valeur éducative, on se questionne : « Finalement quel est l’intérêt d’avoir fait cette présentation avec des fragments de nature ? » Après quelques minutes de silence, des pistes se dessinent. Loïc, enseignant, précise : « Cette activité aide à parler de soi en se mettant à distance via une médiation naturelle. » Céline complète : « On a dû prendre le temps d’observer autour de nous tout en se questionnant sur ce que cela nous inspire par rapport à notre rapport à l’éducation. On ne prend pas toujours ce temps assis sur une chaise. » Ting, enseignante en primaire, ajoute alors : « Quand on a fait le tour des présentations, j’étais curieuse de savoir pourquoi les autres avaient choisi ces fragments et j’étais obligée de bien me concentrer pour les écouter car dehors, vu les sons, il faut faire un effort pour se concentrer. Quand on est enfermé entre quatre murs, bien souvent, c’est plus facile de partir ailleurs dans notre tête. »

Finalement, cette activité nous invite à la contemplation. On a parfois du mal à assumer cet objectif, perçu comme non rationnel ou marginal. Or, à bien y réfléchir, il s’agit de coupler une observation attentive et rationnelle de notre environnement, comme les ramifications de la feuille observées par Hélène, avec la symbolique du message que nous voulons faire passer. Nous nous sommes donc rencontrés en aiguisant notre créativité personnelle et éveillant la curiosité des autres. Deux compétences souvent envisagées comme spontanées, mais qui peuvent s’apprendre au contact de la nature.

Partager des pratiques

« Pour faire apprendre des notions autour de la rivière, ça me parait évident que c’est plus naturel d’aller au bord d’une rivière plutôt que de la projeter sur un écran blanc en classe. » Cette évidence, nous sommes bien entendu tentés de la partager intuitivement mais la suite de l’atelier nous invite justement à nous questionner plus en profondeur : « Mais pour quelles raisons est-ce nécessaire d’aller au contact de la nature pour apprendre ? »

Ting partage une réflexion : « Moi, j’emmène les jeunes de 6 ans dehors pour qu’ils dessinent une partie de nature qu’ils observent en détail. Ainsi, mon objectif pédagogique c’est qu’ils développent leur observation et des compétences graphiques. À chaque fois, je me rends compte que, finalement, mon intention pédagogique dépasse ce cadre. Les enfants se questionnent sur ce qu’ils voient : « Madame, pourquoi les nuages c’est bleu et parfois gris ? » ; « Vous avez vu cet escargot là, c’est vraiment ses yeux les trucs qui se replient ? » Certains diront sans doute qu’on s’éloigne du sujet mais je pense que c’est justement là le sujet. » On va dehors pour se confronter à l’imprévu. Un imprévu qui questionne et qui forme à l’esprit critique au travers d’une sérendipité féconde.

Christelle, professeure des écoles, enchaine : « Avec les maternelles, on doit aborder les saisons. Alors, pour l’hiver, on leur montre des dessins sur les livres avec de la neige et des personnes en manteau. Ça, c’est le savoir théorique. Les élèves n’en restent pas à cette naïveté crédule : “Mais madame, c’est pas vrai ! Il n’y a pas toujours de neige en hiver ici ! Ou alors ça veut dire qu’il n’y a pas d’hiver à Marseille ? » Michela, enseignante en Italie, acquiesce, car elle se retrouve exactement dans la même situation. Pour elles, aller enseigner dans et avec la nature c’est aussi partir du réel, du quotidien des jeunes pour rapprocher et raccorder les savoirs académiques aux expériences personnelles. Olivier résume : « On cherche souvent à les intéresser alors qu’en allant au contact de la nature ou de leur environnement quotidien, et en partant de là, ils trouvent ce sens tant recherché. »

Alors que notre réflexion touche à sa fin, Christelle se lance : « Moi, je pense quand même à quelque chose qu’on apprend uniquement dans la nature, je veux dire la “vraie” nature. Ma pratique pédagogique dans la nature, c’est souvent dans la cour, le parc ou le potager dans l’école, mais je pense que c’est bien aussi d’aller parfois dans des contextes naturels moins maitrisés. C’est plus risqué car, par définition, on n’a pas la main sur tout : une branche cassée, un trou, des buissons, etc., mais justement cette confrontation au risque n’est-elle pas quelque chose à apprendre ? N’est-elle pas un levier pour les apprentissages de certaines attitudes comme la concentration ? »

Baliser le tâtonnement pédagogique

Nous avons terminé l’atelier en ouvrant les réflexions sur des paroles d’élèves : « Pourquoi on fait ça dehors ? C’est pas confortable et il fait froid ! » ; « On peut utiliser le téléphone portable ? » ; « Je suis beaucoup plus déconcentré ici ! » ; « Je m’ennuie là, on n’apprend rien ! », etc. Éduquer dans la nature, c’est comme dans une salle de classe, on rencontre aussi des comportements d’évitement. Loin de s’y résigner, nous avons tenté de les envisager comme des forces de rappel pour baliser notre cheminement pédagogique.

Ting insiste : « Ça ne suffit pas de se réveiller un matin et de dire aux élèves : allez on sort dehors faire cours ! » Transposer la même approche éducative de l’intérieur à l’extérieur ne peut pas fonctionner. Il faut bel et bien la faire évoluer pour passer de l’éducation dans la nature à une éducation avec la nature. Ce n’est pas facile, ça se prépare et ça se rate aussi, mais ça se tente. Olivier précise : « Bien sûr, on ne peut pas faire dehors ce qu’on peut faire dedans ! Par exemple, on réduit les temps de rassemblement collectif et on les limite à des petits collectifs si on veut faire du magistral. » Ce n’est pas simple, car, par définition, on ne peut pas prévoir toutes les éventualités, il faut d’ailleurs sans doute y renoncer, ce qui fait alors bouger la posture d’éducateur.

Par ailleurs, on ne peut sans doute pas non plus miser sur une émergence spontanée des apprentissages au contact de la nature. « Ça m’arrive de leur laisser des temps libres dans la nature après l’activité pour les laisser se balader tranquillement, et la plupart se réfugient dans leur téléphone portable », dit un autre participant. Il semble alors nécessaire d’organiser ces temps et de ne pas condamner la contemplation aux aléas de la volonté personnelle afin de permettre à toutes et tous de s’y consacrer, au moins une fois.

Olivier mentionne des conditions : « En bref, apprendre avec la nature, ça s’organise et ça ne doit pas se faire qu’une seule fois, mais de manière plus fréquente pour que les jeunes s’habituent ». D’ailleurs, un des participants sort tous les lundis matin depuis la fin du confinement avec les CP-CE1 : « Maintenant que c’est inscrit dans l’emploi du temps, ils ont l’habitude, gèrent le matériel que j’emporte, et les parents sont vraiment super partants. Ce sont eux qui expliquent aux autres parents à la rentrée comment ça se passe. Le faire régulièrement installe de bonnes pratiques. »

Alors qu’on range le matériel de l’atelier, les mots de Janus Korczak nous traversent et résonnent : « La spontanéité n’est pas la liberté. » Et cela nous oblige sans cesse à nous questionner sur les « belles contraintes », celles qui rendent libres.

Laurent Reynaud
Enseignant de SVT au lycée Jacques-Feyder d’Épinay-sur-Seine

Petite bibliographie :
« École et écologie ? Blablabla… » n°18 de N’autre école
L’école dans et avec la nature, Corinne Martel et Sylvain Wagnon, ESF Sciences humaines, 2022

À lire également sur notre site :

Éduquer, c’est politique, par Hélène Limat
L’éducation contre la barbarie, par Cécile Blanchard


Sur notre librairie :

N°570 – Apprendre dehors

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N°560 – Urgence écologique : un défi pour l’école

Coordonné par Peggy Colcanap et Jean-Michel Zakhartchouk

Ce dossier nous invite à aller plus loin que l’éducation à l’environnement ou au développement durable. Comment permettre à nos élèves de prendre conscience des enjeux de cette indispensable transition écologique : apport de connaissances, actions locales, formation à l’éco-citoyenneté…