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L’éducation contre la barbarie

« L’être humain est une aventure », affirme Bernard Charlot, dès le titre de sa conférence à la troisième Biennale internationale de l’éducation nouvelle à Bruxelles. Et cette aventure penche aujourd’hui dangereusement vers la barbarie, alerte celui qui vit depuis des années au Brésil, à la veille du second tour d’une élection présidentielle qui oppose Lula et Bolsonaro. Il appelle à replacer l’humain au centre de la pensée et de la pratique pédagogiques.

« Peut-être que notre problème fondamental aujourd’hui n’est plus d’écouter les jeunes mais de savoir ce que nous avons à leur dire », assène le pédagogue et chercheur en sciences de l’éducation Bernard Charlot, en invitant les participants à la troisième Biennale internationale de l’éducation à penser cette question.

Aujourd’hui, dit-il, ce que nous disons aux jeunes se résume presque à « étudie pour avoir un bon métier plus tard ». Or, évoquant Greta Thunberg et les grèves scolaires du mouvement Youth for Climate, il fait observer que « lorsque les jeunes veulent parler d’avenir, la première chose qu’ils font, c’est une grève de l’école ». De même, le chercheur s’interroge sur ce à quoi rêvent les jeunes : « À être de grands savants, de grands politiques, de grands artistes ? Ou plutôt au succès par le sport et le spectacle, qui, apparemment, ne supposent pas l’école ? »

Il faut donc se demander comment faire pour que l’école redevienne un endroit où les jeunes peuvent parler de l’avenir, alors que « nous vivons dans une logique de concurrence généralisée qui commence à l’école ».

Quelle pédagogie contemporaine ?

Or, selon lui, « il n’y a pas de pédagogie contemporaine au sens où il n’y a pas l’équivalent de ce qu’ont été ou ont tenté d’être les grandes pédagogiques classiques, qu’elles soient traditionnelles ou nouvelles ».

« L’éducation à l’école traditionnelle, héritée des Jésuites, se fait contre le désir et donc contre le corps. Quel est l’ennemi du développement de la raison ? C’est la passion, l’émotion et le corps ! On en enseigne des disciplines scolaire parce que l’objectif fondamental est de discipliner les corps. »

De son côté, « l‘éducation nouvelle se place spontanément du côté du désir contre la norme. Mais il s’agit toujours de la norme et du désir. » Et Bernard Charlot estime que « nous vivons une situation de bricolage permanent : les enseignants ont des pratiques de base traditionnelles, du fait de l’organisation du temps et de l’espace de l’école, dans lesquelles ils tentent d’importer un peu d’autre chose ».

Mais nous sommes dans des sociétés qui légitiment le désir : nous ne sommes plus dans des sociétés de l’épargne mais des sociétés de la consommation et de la publicité. Or, « la pédagogie traditionnelle fonctionne de plus en plus mal dans une telle société, où un prof ennuyeux n’est plus tolérable ». Mais il fait observer que la pédagogie nouvelle, par définition une pédagogie de lutte contre les structures dominantes, ne peut pas s’imposer pour devenir une norme. « Nous allons devoir affronter la question de la norme et du désir d’une manière nouvelle. C’est la question écologique fondamentale de la limite, entre désir et norme. »

Et puis, aujourd’hui, estime-t-il, ce sont les patrons de FaceBook et de Twitter qui disent ce qu’est la norme, eux que l’on appelle à réguler (donc à dire la norme) leurs réseaux sociaux. « La norme est technique, elle n’est plus éthique ou politique. »

Éducation OU barbarie

Pour Bernard Charlot, « nous sommes confrontés à un retour en force de la barbarie. Elle n’a jamais complètement disparu, mais nous pensions que nous nous étions dans un mouvement historique allant toujours vers plus de civilisation. Ce n’est plus évident du tout. » Il décrit le « retour en grâce du religieux », la « stupidité arrogante des politiques, élus à cause de cela, et même pour cela ». Et il alerte : « Il faut avoir conscience que cela avance en Europe. » En outre, « à cette barbarie classique, s’ajoute une cyberbarbarie, celle de la haine et du harcèlement sur les réseaux sociaux. »

Or, « la barbarie est le contraire de l’éducation ». Il faut réfléchir à ce que nous avons à construire et à penser pour tenter de freiner ce mouvement vers la barbarie. Et pour cela, « commencer par réintroduire l’humain au centre de la pensée. Nous devons réinventer une utopie anthropopédagogique, un type d’humain que les jeunes aient envie de devenir. »

Il faut donc aujourd’hui refonder une pensée pédagogique qui puisse être une pensée d’éducation nouvelle. Et il ne s’agira pas d’une neuroéducation car, sans rejeter les acquis des neurosciences, Bernard Charlot repousse l’idée qu’il puisse y avoir une éducation qui en découle.

Au fondement de cette utopie et de « pédagogies nouvelles redevenues nouvelles », Bernard Charlot liste trois points incontournables.

Il défend la nécessité d’une rupture radicale avec les modes d’évaluation actuels, qui ne sont pas pédagogiques mais des modes de tri, de sélection, d’orientation, qui correspondent à une logique de concurrence exacerbée.

Il faut penser les contenus d’éducation, dans une logique de la solidarité : « Il faut les repenser radicalement, sans se contenter d’en rajouter systématiquement. Qu’est-ce qu’il est important d’enseigner aujourd’hui aux jeunes ? » Et il insiste : « Pas utile, important. »

Enfin, pour repenser la pédagogie, il défend ce qui est pour lui « l’équation pédagogique fondamentale » : « apprendre = activité intellectuelle + sens + plaisir ».

Cécile Blanchard

Bon à savoir :
Il est possible de suivre la Biennale à distance de plusieurs manières :
Sur Twitter avec la balise #BIEN22
Sur le blog du collectif Convergences pour l’éducation nouvelle : https://blogs.mediapart.fr/convergences-pour-leducation-nouvelle
Les séances d’ouvertures et de clôture sont diffusées en direct : https://convergences-educnouv.org/live


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Coordonné par Sabine Coste et Nicole Priou

Comment les enseignants, individuellement et collectivement, interprètent-ils des textes officiels apparemment intrusifs de manière à stimuler leur créativité ? Comment s’approprient-ils des situations matérielles, organisationnelles, sociales fortement contraignantes ?