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Mes raisons de penser qu’il y a une crise ne sont pas du tout les vôtres

Un questionnaire sur l’école dans la boite aux lettres. Les questions, alarmistes, très orientées et parfois presque malhonnêtes, n’appellent pas vraiment de réponse argumentée. Mais on peut s’y essayer quand même!

Une officine (pour en savoir plus, voir cet article sur le site Questions de classes) arrose en ce moment les boites aux lettres (des enseignants, des parents peut-être ?) de questionnaires intitulés « référendum national ». On se demande d’ailleurs où elle a trouvé les adresses postales privées des destinataires. Quant à l’argent pour payer les documents et l’enveloppe retour préaffranchie, il aura fallu sans doute compléter le produit de la quête musclée qui se trouve en douzième « question » par quelques dons plus larges et plus intéressés.

Que pourrait-on lui répondre ? Quelques idées (je reprends les questions in extenso) :
« 1. Avant de lire cette lettre, étiez-vous conscient de la gravité de la crise qui frappe les écoles en France ?  »
Je propose :
– Oui, tout à fait, mais mes raisons de penser qu’il y a une crise ne sont pas du tout les vôtres : contrairement à vous, je pense qu’il n’y a pas assez de méthodes actives, qu’on ne prend pas assez en compte les élèves « dys », qu’il faudrait plus de moyens pour l’école ; contrairement à vous, je suis épatée par la quantité de connaissances des jeunes d’aujourd’hui, dans des domaines beaucoup plus variés qu’il y a cinquante ans, et je sais que l’école y est pour une part, même si elle est largement stimulée aujourd’hui par les médias.

Ou bien

– Non, mais je ne le suis pas plus après la lecture de votre lettre, qui sonne faux d’un bout à l’autre : nostalgie idéalisée d’une école du passé, qui excluait et faisait échouer largement, qui surtout brimait, cadrait sévèrement… La meilleure preuve en serait peut-être l’étroitesse d’esprit dont vous témoignez, vous qui semblez y avoir « réussi » ! Fausse aussi votre présentation de la politique actuelle de l’école : « collège unique » : il l’est (en théorie) depuis plusieurs dizaines d’années, et il faudrait justement qu’il le soit vraiment, en pratique ; « augmentations de postes qui n’ont rien à voir avec le métier », dites-vous : il est vrai que beaucoup de postes créés ont été utilisés pour la formation des enseignants. Voulez-vous dire qu’il ne faudrait plus les former ? Passons, il faudrait tout reprendre !

« 2.  Êtes-vous favorable à une réduction de la durée des vacances scolaires pour consacrer le temps supplémentaire à l’apprentissage du français lu, écrit, parlé et récité ? »
« Récité » surtout est très drôle, faisons de nos enfants de petits perroquets bien dressés !
Vous savez très bien manipuler les gens ! Vous oubliez soigneusement de préciser qu’il ne peut s’agir que des vacances d’été. Et vous savez très bien que si les vacances scolaires (d’été) sont réduites, cela ne sera pas pour augmenter le temps scolaire annuel, mais pour alléger des journées et les semaines… Et cela serait une très bonne chose. La France est l’un des pays où les journées des jeunes écoliers sont les plus lourdes.

La morale, ou la réflexion ?

« 3. Selon vous, donner de vrais cours de morale, de civisme et de politesse dans les écoles devrait être pour les enfants : positif, négatif, inutile ? »
Effectivement, je pense qu’il faudrait donner des cours de civisme et de politesse … aux parents, aux employeurs, aux gens qui font leur « show » à la télé, aux footballeurs, à certains hommes politiques, à monsieur Internet même ! Vous ne croyez pas honnêtement que faire réciter (par cœur, bien sûr !) de beaux principes de morale et taper sur les doigts des récalcitrants sera un contrepoids suffisant face aux modèles que la société propose aux jeunes ? Par contre les « vrais » contrepoids à ces tendances peuvent être d’apprendre aux jeunes à travailler collectivement (pas de concurrence, pas d’élitisme), à réfléchir dans des débats de fond, construits, à s’ouvrir sur d’autres cultures dans une école qui ne discrimine pas…

« 4. Faut-il réintroduire un examen d’entrée en sixième pour s’assurer que tous les enfants qui entrent au collège savent parfaitement lire, écrire et compter ? »
J’aimerais bien savoir ce que veut dire savoir « parfaitement » lire, écrire, et compter, et comment vous allez pouvoir le tester « parfaitement » !
Mais surtout, que ferez-vous de ceux qui ne sauront pas « parfaitement » ? Vous allez les envoyer à l’usine (où ils auront besoin de savoir lire, écrire, compter, et même de beaucoup d’autres choses) ? Leur faire casser des cailloux au bagne ? Sinon ?

Le mythe de la méthode globale

« 5. Êtes-vous favorable à la suppression de la méthode de lecture globale dans les écoles primaires ? »
Je pense que vous voulez dire « la suppression de l’utilisation de la méthode… » : il y a des moments où il faut savoir « parfaitement » écrire !
Voilà enfin une revendication qui ne sera pas difficile à satisfaire, étant donné que cette méthode n’est quasiment pas utilisée… Vous essayez de faire croire que la seule alternative est entre la méthode de lecture globale « pure » et le « syllabique pur », que vous croyez avoir vécu dans votre enfance… Mais on a fait des progrès depuis cinquante ans !
Lisez un peu !
Lecture : et si on s’intéressait aux pratiques réelles ? par Jean-Michel Zakhartchouk
« Lecture : Roland Goigoux enterre la querelle des méthodes » dans le Café pédagogique
Roland Goigoux : « Écrire sous la dictée 15 minutes par semaine suffit » sur le site de Vousnousils

« 6. Considérez-vous qu’il est urgent de rendre aux professeurs les moyens règlementaires nécessaires pour se faire respecter dans leur salle de classe ? »
« Rendre », tout d’abord, est joli : je pense que vous ne vous souvenez pas du maitre, ou du professeur d’histoire-géographie (ou de maths) de votre jeunesse, dont le dos (ou le visage !) voyait passer avions en papier et boules puantes ? De la maitresse d’école qui devait crier du matin au soir ? Les moyens « règlementaires » existaient, ils existent à peu près de la même façon…
Mais surtout, pensez-vous qu’aujourd’hui, des parents soient prêts à accepter que l’école ressemble, pour leurs enfants, à une prison ou un camp militaire, où on obéit par peur de la punition, où on apprend dans la crainte et la violence ? Alors, une école où on apprend dans le calme, oui, une école où tout le monde respecte tout le monde, oui, mais vos « moyens règlementaires » ne me semblent pas les bons pour y arriver.

Que doit enseigner l’école ?

« 7. Pensez-vous que l’école doit se concentrer sur sa mission de transmettre le savoir, et refuser les idéologies douteuses (« genre », etc.) ? »
Là, vous n’êtes pas très cohérents, si vous me permettez : à la question 3, vous vouliez des cours de morale et de civisme, c’est à dire retirer l’éducation aux parents pour la confier à l’école ; et maintenant, vous voulez que l’école se contente de transmettre ce que vous appelez « le savoir » ! Sans avoir l’air de vous souvenir que tout savoir est « idéologique », tout savoir est porteur de « valeurs », celles auxquelles vous adhérez ou les autres…

La question est bien là : définir ce que notre société d’aujourd’hui considère comme devant être acquis par tous les enfants, pour, comme vous le dites, « affronter la vie », mais aussi, surtout, pour contribuer de façon positive, heureuse même, pour eux et pour tous, à la construction de la société de demain, d’une société plus juste, moins violente, moins inégalitaire. C’est à cet effort de réflexion collective qu’ont tendu les réformes récentes, en particulier le Socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Dans le monde d’aujourd’hui, on n’est pas un citoyen, un homme ou une femme accompli, avec comme bagage votre « savoir » rétréci et la « morale » qui va avec.

« 8. Pensez-vous que le gouvernement doit mettre fin à l’omnipotence au sein du ministère des syndicats d’enseignants qui empêchent de prendre les bonnes décisions pour sauver l’école ? »
Vocabulaire exagéré, typique des démagogues. L’omnipotence n’existe pas, pas plus celle des syndicats d’enseignants que celle des routiers ou des conducteurs de train. Et il ne s’agit pas de « sauver l’école », il s’agit d’infléchir son évolution. Un seul président qui supprime des dizaines de milliers de postes la fait bien régresser, un mouvement trublion comme le vôtre contribue à rendre la réflexion collective encore plus difficile, et donc à retarder encore les bonnes décisions. Les bonnes décisions sont celles qui sont prises ensemble, en négociant, sur le long terme, sans vocabulaire alarmiste, et entre gens de bonne foi.

« 9. Pensez-vous qu’il est nécessaire de mettre en place une solide formation des professeurs auprès d’ainés expérimentés aux compétences et aux méthodes reconnues pour leur efficacité ? »
Bien sûr, une bonne formation des enseignants est indispensable. Elle doit reposer sur une formation théorique large et profonde, et sur une entrée dans la pratique bien accompagnée. Pensons à ce qu’est (nous l’espérons) la formation des médecins qui nous soignent.
Mais ce que vous décrivez ferait plutôt craindre la reproduction, pendant des dizaines d’années d’une école qui ne sait regarder qu’en arrière, que répéter des routines. Non merci ! Est-ce qu’on forme les ingénieurs dans les usines du dix-neuvième siècle ? les médecins comme en 1900 ? Apprend-on aux commerciaux à faire la « réclame » comme en 1950 ? Soyons sérieux !

Je passe sur les questions 10 et 11, qui sont juste destinées à amener le lecteur à répondre enfin « OUI, je vais vous donner un chèque »… Ce que je ne ferai pas.

Françoise Colsaet
Directrice des publications des Cahiers pédagogiques

À lire également sur notre site :
Le programme du FN sur l’école: Plus indigent que sinistre ou plus sinistre qu’indigent ? (décembre 2015), par Jean-Michel Zakhartchouk