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Échos du congrès de la classe inversée

Des pièges à éviter

«Dix pièges à éviter» ont été égrenés lors de la première table ronde par Annick Arsenault Carter, venue du Nouveau-Brunswick canadien, le professeur de français Jean-Marie Lejeune capable de se déguiser en superman dans ses capsules vidéo de grammaire et Luc Chevalier, universitaire un peu extra terrestre car intéressé par la pédagogie. Pour eux, il ne faut pas trop se laisser impressionner par les réactions hostiles, de collègues, parents, ou élèves, mais parvenir à expliquer sa démarche, ce qui passe par l’implication les acteurs des classes inversées. Pour ne pas se laisser déborder par le travail supplémentaire de préparation des capsules, il faut mutualiser et lutter contre la tentation du perfectionnisme. Un outil majeur a été mis en avant : le «plan de travail» inspiré de Freinet, lequel donne du sens à la démarche pédagogique globale.

Les classes inversées nous conduisent à la différenciation et à une relative personnalisation, mais aussi à davantage de «lâcher prise» de la part des enseignants. Moins que jamais, c’est la technique qui commande, l’important est l’apprentissage de l’autonomie et la libération d’un temps souvent peu utile en classe consacré à l’apport magistral au profit d’un accent plus fort mis sur le travail concret des élèves.

Jean-Michel Zakhartchouk

Il existe un Storify de cette table ronde, fait à partir des tweets qui en ont rendu compte.

Nous partîmes 600…

Nous étions plus de 600 enseignants motivés, chaleureux, curieux, ouverts, drôles : rien que pour ça, j’y retournerai. Ça fait tellement de bien !
J’y suis allée par curiosité, sans à priori, tout en sachant pertinemment que, des capsules vidéo, je n’en ferai pas moi- même : trop chronophage. Et j’ai été étonnée. Car en fait, on a très peu parlé de techniques, de numérique mais on a fait de la pédagogie. Oui! On a parlé de plans de travail, de jouer en classe, d’élèves à profils différents et de différenciation, de Freinet, de s’adapter aux élèves comme ils sont.

J’ai eu la chance d’écouter des gens qui allient l’intelligence du cœur et celle de l’esprit : Marcel (Lebrun), Florence (Robine) Catherine (Becchetti-Bizot) mais aussi Soledad, Anne Andrist et d’autres praticiens du quotidien qui partagent leur travail et leurs doutes. Dans les ateliers, j’ai retrouvé des gens qu’on connaît bien au CRAP-Cahiers pédagogiques : Ostiane, Mila, Camille, Fabien et Nipédu. Pendant les pauses, j’ai rigolé avec Nicoguitare et d’autres que je connais des Cahiers ou par Twitter. Et en même temps, je lisais toutes les remarques acerbes contre la classe inversée de ceux qui ne la connaissent pas.

Pourquoi critiquer le dispositif avant de le connaître ? Pour cela, je renvoie aux vidéos et au blog de Marcel Lebrun. La classe inversée, ce n’est pas seulement la vidéo du cours à la maison (et les pauvres qui n’ont pas internet, alors, c’est inégalitaire !). C’est d’abord l’idée que le cours magistral peut être externalisé pour que le temps de classe soit réservé aux exercices et autres explications, au lieu de laisser l’élève se dépatouiller seul avec ses questions et ses exercices. Mais ça va beaucoup plus loin. Le concept évolue et se diversifie. S’affine.

Et ce que j’en retiens c’est que cette rencontre réunit des enseignants qui cherchent ensemble des solutions. Neurosciences, classe inversée, classe coopérative, qu’importe ! Ce qui compte c’est de chercher ensemble des solutions pour s’améliorer, pour les élèves. Que le numérique amène à la pédagogie tous ces geeks me semble une opportunité à saisir. Après, chacun fait comme il l’entend en classe. Moi, je bidouille. Un zeste de ceci aujourd’hui, une pincée de cela demain. Rien d’innovant ni d’original. Mais je pique les idées des affûtés. Ils me dynamisent et je les en remercie.

Catherine Rossignol

J’ai rencontré deux profs d’anglais

J’ai rencontré deux profs d’anglais vendredi 1er juillet 2016. Tous deux engagés dans des classes inversées, l’un en lycée, l’autre en collège, l’une présentait «sa séquence inversée» à une salle comble, tandis que j’ai croisé l’autre devant une affiche de ses activités. Je repars avec une foule de pistes d’outils à télécharger, et, qui sait, à utiliser avec mes élèves, qui sauront mieux que moi les «bidouiller», et l’envie de m’y mettre, à ma manière, pas n’importe comment, pour qu’ils s’émancipent à leur manière à eux, mais avec mes exigences et une profonde curiosité, celle qui cherche les causes, les effets, les enchaînements. Saurai-je inventer, comme le collègue de lycée, de ces jeux de rôles virtuels qui entraînent l’adhésion de son public ?

«C’est plus simple avec mes classes techno», dit-il, «ils veulent plus facilement quitter le cours traditionnel, s’investir dans la gestion de leur magasin virtuel, cela les a d’ailleurs aidé à choisir leur orientation professionnelle.» Les élèves qu’il dit «classiques» résistent et demandent… du classique. Alors, pour la saison 2 de l’Ile, il commencera par élucider toutes les notions du baccalauréat dans le premier mois de l’année prochaine, et envisage une structure de son jeu qui les balaye. Du coup, les élèves qui le suivent font des choix, présentent à leur oral des documents qu’ils ont repensé, remis en lien à d’autres, dans une simulation qui fait rêver et débattre.

Les outils pour faire des affiches, pour faire parler des personnages, pour…(ô la technologie !) m’ont paru prendre du sens par l’objectif de construction du jeu par les groupes. Car le sens, en langue, n’est-ce pas toujours la découverte de l’autre et de ce que l’on peut faire ensemble, ou par soi-même dans un monde à comprendre ?

Sylvie Abdelgaber

La classe coopérative

L’amphi est tellement plein qu’on peine à trouver une place, et il fait chaud, très chaud. Cela se mérite, d’entendre évoquer la coopération en classe. La référence citée, plusieurs fois, c’est évidemment Sylvain Connac, on a beau s’y attendre, l’entendre cité si souvent, dans tant d’ateliers, cela donne une impression étrange, puisqu’il semble présent sans être là. Le fonctionnement proposé par les deux intervenantes se rapproche à la fois de Fernand Oury et des classes coopératives avec, d’une part, des rôles dans la classe, de l’autre, des activités individuelles, et même individualisées, et des moments d’échange quand le besoin s’en fait sentir par les élèves, qui choisissent en se référant à l’enseignant de demander ou non de l’aide à un camarade référent. Toutes deux inversent dans la classe, sans travail à la maison et avec peu de capsules, voire pratiquement pas.

L’un des principes évoqués que je réutiliserai, c’est la question hebdomadaire pour comprendre d’où l’on vient et où l’on va : qu’avez-vous appris, qu’avez-vous compris et quelles questions poseriez-vous à vos élèves si vous étiez le professeur sur ce sujet. Sans le dire, on vise la métacognition chez les élèves.
Lors de ce retour d’expérience, on a rappelé qu’on ne naît pas autonomes et que si nous ne leur laissons pas le droit à la parole, à prendre des initiatives, nous ne les préparons pas à l’autonomie et les envoyons à l’échec. De la même façon, les plans de travail présentés sont très peu guidés même si l’enseignant reste bien présent pour aider à cadrer si besoin pour les aider à développer leur autonomie.

Émilie Kochert

Plan de travail

Un retour d’expérience c’est toujours sympathique, car on a autant de récit des avancées des collègues présentant leurs travaux qu’une vision desdits travaux, alors j’ai foncé écouter celui-là, sur le plan de travail. D’autant que le sujet m’intriguait car je n’aurais pas associé les plans de travail (c’est plutôt du côté de Freinet) à la classe inversée. Je devrais parler de classes inversées car sur les trois professeurs inverseurs, aucun n’a exactement la même pratique, l’un d’ailleurs a une pratique hybride qu’il recommande notamment à ceux qui pourraient être un peu inquiets de se lancer complètement.

Première remarque, j’ai beaucoup entendu parler de leur objectif, ils inversent et utilisent les plans de travail pour développer l’autonomie des élèves et travailler l’individualisation. En fait, ils n’ont parlé que de pédagogie, et de papier. Je n’ai d’ailleurs pas pu m’empêcher de leur faire remarquer que tant de documents coûtaient cher en impressions. Ils l’ont reconnu, cherchent des moyens de limiter leur impact écologique, notamment avec pour l’un de futures tablettes pour ses élèves.

Trois enseignants de REP et REP+ qui évoquent les progrès, l’autonomie et le travail par compétences, c’est un amphi plein à craquer, silencieux d’écoute et de bruissements impressionnés, mais étonnant d’humilité de la part des intervenants qui évoquent leurs tâtonnements : « Cela fait trois ans que je pratique la classe inversée, j’ai amélioré mes méthodes… » Et surtout, nos rires, dans l’assistance en écoutant leurs jeux de rôles d’introduction de chaque thème du plan de travail imitant leurs élèves (les nôtres) expliquant qu’ils n’ont pas compris, mais en fait n’ayant pas saisi la consigne, pas lu les documents… Le quotidien du prof mais avec humour et une écoute de leurs élèves et surtout la recherche de solutions, sans miracle. Un changement de paradigme dans la posture de l’enseignant, ces plans de travail, car face à un élève craignant de ne pas savoir quoi faire, le prof ne cherche pas à être seul détenteur du savoir, il se fait guide vers celui-ci. Grâce à eux, face à mes élèves très scolaires, si inquiets de ne pas «réussir», je me reprends à me dire que l’autonomie et la prise d’initiative, c’est possible.

Le plus intéressant pour moi fut les retours sur les savoirs : en commençant un plan de travail nouveau, chacun doit d’abord se demander ce qu’il sait, ou croit savoir, sur le chapitre. Toujours avec le sourire, l’un d’eux reconnaît que la réponse est souvent «rien». Mais ce n’est pas l’important car cela permet ensuite le bilan de ce qu’ils ont appris, éventuellement de corriger des erreurs dans leurs «savoirs» précédents… Une prise en compte du fait qu’en collège, les enfant n’arrivent pas vierges de toute connaissance et que l’école n’est pas le seul lieu d’apprentissage.

Pour développer ses plans de travail, l’un d’eux explique qu’il lui a fallu repenser les savoirs à faire acquérir selon trois modalités précises : qu’ils soient à la fois clairs et limpides, attractifs, courts et synthétiques. Une ambition pour le prof à destination de ses élèves. Je lui laisse le mot de la fin : «Repenser son propre savoir c’est le plus gros challenge pour la classe inversée.»

Émilie Kochert

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