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Partager la classe inversée

L’histoire de cette découverte est une histoire de coïncidences entre ses interrogations d’enseignant de mathématiques pour accroître l’intérêt de ses cours et un court reportage entendu à la volée sur France Inter au sujet de la classe inversée. Le hasard de la concordance se transforme en opportunité, attise la curiosité du professeur qui illico fait des recherches sur Internet pour en savoir plus. Il voit là une alternative aux cours magistraux pour ses classes de 3e composées de 29 et 30 élèves dont l’intérêt et l’attention sont variables. Il crée ses premières capsules vidéo et les met rapidement en ligne.

Commencée il y a trois ans dans un collège rural du Cher, l’histoire se poursuit aujourd’hui dans un autre établissement où les effectifs des groupes sont légèrement moindres mais les besoins d’accompagnement individualisé tout aussi forts. « Je ne le fais pas forcément pour tous les cours, certains passent mieux en les racontant. Il peut y avoir des classes où ça ne prend pas vraiment, j’ai recours alors au cours traditionnel ». La classe inversée reste son organisation essentielle mais non incontournable, une manière d’envisager l’enseignement loin d’un dogme immuable.

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Les élèves regardent les vidéos chez eux, peuvent le faire aussi en classe en utilisant leur téléphone portable sur le principe du « BYOD » (Bring your own device ou apportez vos appareils personnels). Une bibliothèque virtuelle regroupant les capsules permet de suppléer à d’éventuelles difficultés d’accès à Internet. Un plan de travail est proposé, indiquant quelle vidéo regarder pour étudier tel ou tel point. Chacun avance à son rythme avec la possibilité de continuer à la maison, s’organise. Un fonctionnement en îlots de quatre élèves favorise la coopération entre eux, l’entraide. L’enseignant intervient à la demande, répond aux questions des groupes ou individuelles.

Réflexion permanente

« J’ai l’impression de passer plus de temps avec les élèves. La classe inversée m’a permis de me lancer dans une réflexion sur la pédagogie », poursuit-il. Il visite des sites, s’informe, se forme en recherchant des éclairages, des réponses à ses interrogations, ses tâtonnements. Il ouvre un compte Twitter, repère d’autres enseignants engagés dans une expérience de classe inversée, échange et apprend encore auprès de ses collègues rencontrés sur le réseau social.

Heloïse Dufour, depuis les États-Unis, lui propose une interview. Elle est à l’initiative de la création de l’association « Inversons la classe ». Il adhère, contribue à plusieurs projets et en devient secrétaire général. Les débuts sont modestes avec une dizaine de membres mais l’intérêt grandit. Un premier congrès est organisé en juillet 2015. Les locaux prévus sont trop petits pour accueillir tous les inscrits. Les échanges jusque là majoritairement virtuels s’incarnent et se transforment en idées concrètes et partagées. Parmi elles, la CLISE comme « Classe Inversée la Semaine » s’affiche comme un événement organisé pour montrer ce qui se fait, pour donner envie à d’autres de se lancer. Il se déclinera en séminaires, classes ouvertes, ateliers de création de capsules, rencontres informelles comme une version décentralisée en France et à l’étranger du congrès. 17 académies, dix pays seront impliqués avec un soutien institutionnel et en premier lieu, celui du ministère de l’Éducation nationale.

« Passer du face à face au côte à côte », la proposition prend la forme d’un slogan rigolard pour tenter de résumer une organisation à multiples facettes. « On ne défend pas un modèle, on cherche à montrer ce qu’est la classe inversée. » Et aussi ce qu’elle n’est pas : « Ce n’est pas juste regarder des vidéos à la maison. »

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Cours et travail à la maison

Les propositions pédagogiques partagées lors de CLISE se retrouvent autour d’un principe commun : celui d’inverser les temps d’apprentissage en consacrant les cours aux tâches qui réclament le plus d’attention, qui mobilisent le plus d’efforts cognitifs, et en attribuant au travail à la maison le temps transmissif ou moins difficile conceptuellement. « En maths, un élève va fournir une grosse attention sur les exercices. C’est là où il aura besoin d’aide. Le prof n’est pas là seulement pour transmettre un savoir, il est là aussi pour aider l’élève à s’en emparer », explique Christophe Le Guelvouit.

Les curieux, les néophytes, pourront tout au long de la semaine comprendre comment faire, et se lancer – pourquoi pas ? Le début pourra se faire sur un chapitre que l’enseignant maîtrise sur le bout des doigts ou en proposant des corrections d’exercices, un résumé de cours. Les capsules vidéo se partagent, s’approprient pour que chacun puisse intégrer à sa mesure un soupçon de classe inversée dans sa propre approche pédagogique. « Ce n’est pas un énorme pas à franchir et cela laisse rapidement du temps pour différencier ou pour des tâches complexes ». Avec cet événement, l’association « Inversons la classe ! » cherche à afficher la diversité des initiatives, des enseignants qui les pratiquent, du premier degré à l’université. « Il y a autant de classes inversées que d’enseignants qui inversent », pas de méthode type, ni de recette pré-conçue donc.

Ni gadget ni mode

Montrer, pour que la classe inversée ne soit plus vue comme un gadget, une mode passagère, mais comme un moyen de changer sa pédagogie en s’appuyant sur une communauté certes virtuelle mais particulièrement vive. Selon les académies, selon les rencontres organisées, l’affluence des pré-inscriptions varie. A Orléans-Tours, on attend plus de 70 personnes, à Créteil, la venue de Marcel Lebrun amène un franc succès. Cette première initiative appelle une suite avant même de s’être réalisée. La centaine d’événements prévus montre l’ampleur de l’envie de partager.

Christophe Le Guelvouit fera partie de ceux qui raconteront, montreront leurs pratiques pour une découverte qui lui a permis « de voir, de me lancer au fur et à mesure » sur le chemin d’une pédagogie active. « Plus facilement que si je l’avais fait en lisant les textes des grands pédagogues. » S’interroger, pratiquer, échanger puis lire ces textes, n’est-ce pas une forme de classe inversée appliquée à sa propre formation, à l’apprentissage progressif de son métier ?

Monique Royer

Pour connaître les événements organisés dans le cadre de CLISE
http://www.clise2016.com
Le site de l’association « Inversons la classe »
http://www.laclasseinversee.com/

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(Chronique d’é.l@b)

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Par Roseline Ndiaye