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Des classes uniques en ville

L’école élémentaire de La Genette est une petite école de cinq classes, proche du centre-ville historique de La Rochelle. Chaque année, les scores de réussites individuelles des élèves aux évaluations nationales en français et en mathématiques sont élevés, ce qui entretient un esprit compétitif chez les élèves et des attitudes individualistes. Dès 2011, l’équipe enseignante a débuté un travail autour du harcèlement scolaire. Un point a été ajouté au règlement intérieur, stipulant que les enfants ne doivent pas « se livrer à des jeux violents mettant en place des situations de domination susceptibles d’altérer la santé physique ou mentale d’autres élèves. »
L’équipe enseignante est stable. Elle est composée de cinq enseignants ouverts à l’innovation pédagogique. Elle entretient des liens avec la formation des enseignants et la directrice est professeure des écoles maitre formateur. Depuis 2012, l’école est engagée dans des projets Erasmus et a intégré le Réseau des écoles associées de l’Unesco avec la mise en œuvre d’un programme d’éducation aux langues. C’est pour cela que certaines activités sont conduites en plusieurs langues.
En 2008, au Congrès EDiLiC (Éducation à la diversité linguistique et culturelle) de Barcelone, j’ai assisté à la présentation de Christiane Perregaux sur le plurilinguisme et les espaces. Dans sa présentation, la chercheuse s’est interrogée sur les effets du plurilinguisme dans une école où les espaces demeureraient cloisonnés.
En effet, le principal espace défini dans une école est l’espace « classe ». À chacune est associé un enseignant. Cet espace induit un tri des élèves. Le critère le plus fréquemment choisi est celui des années de naissance, bien que ce critère ne revête pas de caractère obligatoire. Si l’école compte cinq classes, comme c’est le cas pour la nôtre, les élèves sont répartis sur cinq niveaux en fonction de leur année de naissance. Certains élèves bénéficient d’une année d’avance, d’autres élèves (cela est de plus en plus rare) présentent une année de retard.
Le corollaire à ce tri par classe d’âge est que, dans une petite structure où il n’existe pas plusieurs classes de même niveau, les élèves peuvent se côtoyer depuis la petite section de maternelle à la classe de CM2. À huit ans, au CE1, certains élèves sont de très anciennes connaissances. Un de mes élèves de CE1 disait connaître un camarade depuis la crèche ! Il s’ensuit parfois une certaine « usure » de la relation entre élèves. Et paradoxalement, le cloisonnement par classes efface progressivement la distance entre « l’école » et « la maison ».
Alors comment mobiliser l’intérêt des élèves à se rencontrer et à se connaitre alors qu’ils se côtoient depuis le début de leur scolarité ?
Durant l’année scolaire 2008-2009, un premier dispositif d’accompagnement par les pairs a été expérimenté. Il s’agissait de réunir deux fois par semaine, dans la classe de CE1, un groupe de cinq élèves de CP. Cinq élèves de CE1 assuraient alors l’accompagnement de ces plus jeunes élèves en les intégrant aux différents ateliers quotidiens de la classe. L’expérience s’était avérée très appréciée des élèves et de leurs familles : les anciens CP avaient manifesté en début d’année scolaire leur désir de reconduire ces ateliers avec les nouveaux élèves de CP.
L’équipe enseignante en a donc tenu compte pour instituer chaque année deux classes en cours doubles CE1-CE2 et pour inscrire dans le projet d’école une action de coopération qui prendrait en compte tous les élèves de l’école. Pour ce faire, tous les élèves de l’école ont été répartis en cinq « classes uniques » composées de façon proportionnelle d’élèves des cinq niveaux traditionnels (CP, CE1, CE2, CM1 et CM2).
Dans ce cadre, chacun des cinq professeurs doit mener, selon un calendrier établi sur les cinq périodes de l’année scolaire, un module de quatre séances d’une heure hebdomadaire auprès de chacune des cinq « classes uniques ». Le dispositif doit conduire les élèves à rencontrer d’autres camarades et chacun des enseignants de l’école. De même, le dispositif doit aider chaque enseignant à connaître chaque élève de l’école en proposant dans sa « classe unique » l’enseignement d’une discipline de son choix. La même séquence de quatre heures est renouvelée cinq fois dans l’année scolaire auprès de chacune des cinq classes uniques.
Les évaluations menées auprès des élèves, des parents et des enseignants ont poussé l’équipe pédagogique à le renouveler chaque année depuis 2009 (avec une interruption entre 2020 et 2023, suite au covid). Principalement parce qu’il est apparu favoriser le développement de compétences psychosociales et civiques chez les élèves. Un essaimage de ce dispositif à d’autres écoles s’effectue dans le cadre de la formation initiale et continue.
Cette année, l’autoévaluation de l’école a mis en évidence la nécessaire prise en compte du temps périscolaire : l’accueil du matin, la pause méridienne et l’accueil du soir. Il est assuré par une équipe composée d’animateurs municipaux.
Des questionnaires ont été transmis aux élèves du CE1 au CM2, aux parents d’élèves, aux enseignants et à ces animateurs. L’analyse des réponses a fait émerger une difficulté concernant la restauration scolaire. Les élèves de maternelle et d’élémentaire déjeunent dans le même espace : 171 élèves au total, répartis sur deux services à dix tables de six. Durant la pause méridienne et le partage du repas, de nombreux enfants se plaignent du bruit. Certains enfants rapportent aussi des moqueries, des exclusions et un sentiment général de malêtre.
Jusqu’à cette année, en concertation avec l’équipe enseignante, l’équipe du périscolaire a tenté de limiter le « copinage » en acceptant un maximum de deux enfants par classe à chaque table. Mais les enseignants constatent que dès 11 heures, les enfants commencent à discuter entre eux pour former des groupes, ce qui crée des leaders qui décident de tout, des exclusions et la marginalisation de certains enfants. C’est une source de stress pour tout le monde, animateurs comme élèves, et c’est un noyau de potentiel harcèlement scolaire.
Ainsi, depuis janvier, pour favoriser la continuité de la construction des compétences sociales et civiques sur tous les temps de l’enfant (école et périscolaire), les enfants sont regroupés par « tables uniques » multiâges. Il y a également eu des élections de délégués de pause méridienne : deux représentants par classe assistent à des temps de réunion avec la responsable de la pause méridienne afin de définir ensemble les différents projets d’animation.
Si la constitution des « classes uniques » n’a jamais questionné les parents, il n’en est pas de même pour la constitution des tables sur un temps qui échappe à l’obligation scolaire. Des parents d’enfants en CP souffrent que leurs enfants ne puissent pas partager le repas avec « leurs amis ». Du point de vue des animateurs, la nouvelle organisation « tables uniques » se passe relativement bien. Le fonctionnement est plus fluide, les enfants sont plus conciliants, le niveau sonore est moindre et il n’y a plus le bruit de la mise en rang puisque chacun connaît sa table et son équipe multiâge.
Du côté des enfants, les délégués de pause méridienne ont proposé une modalité de constitution des tables plus équitable : le tirage au sort. Pour la dernière période de l’année scolaire, les convives seront donc choisis au hasard. Mais encore devra-t-on décider si les 117 élèves sont mélangés dans la même pioche ou répartis dans cinq pioches distinctes, du CP au CM2, pour « forcer » la diversité. Et qu’en sera-t-il de la mixité de genres ?
Voilà où nous en sommes. Nous réfléchissons à la prise en compte inclusive de cette diversité, en compagnie des enfants afin qu’à l’école « (…) chaque enfant puisse être aidé à participer à ce jeu de la construction de l’humanité par la rencontre des autres ».
Professeure des écoles en Charente-Maritime
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