Des petits avec des grands

Dans le paysage éducatif suisse romand, la constitution des classes se révèle être un exercice de management négocié. Elle nécessite un subtil équilibre entre des intérêts parfois divergents. Diverses transactions ont été observées au sein des établissements primaires lors de la composition des classes.

Face à la question de l’organisation des classes, les équipes pédagogiques et leurs directions sont régulièrement confrontées à un dilemme : opter pour des classes à degré simple ou adopter l’approche multiâges ? Ces discussions transcendent la simple répartition des élèves, elles engagent des arguments pédagogiques, didactiques et sociaux, qui influencent les décisions prises. Notre analyse met en évidence différentes stratégies adoptées par les professionnels pour travailler sur la composition des classes.

Ces stratégies ne sont pas à banaliser, car la composition des classes et l’organisation du travail scolaire ont une influence sur la réussite des élèves. Si aucune formule ne peut prétendre garantir d’emblée les apprentissages de toutes et tous, il est essentiel de tenir compte des données récentes qui mettent en évidence qu’un plus grand nombre d’élèves progressent au sein des classes hétérogènes.¹

Les négociations entre professionnels visent un équilibre complexe : construire un collectif tout en prenant en compte les spécificités des élèves, ces dernières étant au centre des politiques d’inclusion. Parfois, des considérations administratives ou relatives aux ressources humaines prennent le pas sur le pédagogique. À d’autres occasions, ce sont des questions relatives à la gestion de classe – et les craintes suscitées par certains regroupements d’élèves – qui sont au centre des négociations.

Dans la mise en place de l’enseignement au sein de classes multiâges, l’enseignant conçoit et planifie à la fois les parcours d’apprentissage et la gestion de classe, en anticipant les situations d’apprentissage ainsi que les nouvelles dynamiques et interrelations qui émergeront entre les élèves.

Cette démarche implique de développer une pédagogie adaptée qui tienne compte des spécificités de chaque élève, des différentes situations d’enseignement et d’apprentissage, ainsi que des expériences éducatives à instaurer pour répondre aux divers besoins individuels au sein de ces dynamiques de groupe complexes. Autrement dit, en classe multiâges il s’agit de déplier l’ingénierie de formation jusqu’au bout en examinant concrètement les objectifs d’apprentissage, les élèves et leurs spécificités, les interactions entre eux et les séquences didactiques les plus propices pour les mettre au travail et les faire progresser.

Les équipes cherchent à préserver les aspects qui se sont avérés précédemment efficaces, tout en veillant à maintenir des relations positives entre les élèves. Elles s’efforcent d’éviter de regrouper trop d’éventuelles difficultés au sein d’un même sous-groupe, en tentant de gérer au mieux les dynamiques au sein de la classe. Dans ces processus, les équipes prennent en compte le bien-être des élèves, mais aussi leur propre bienêtre face aux responsabilités et aux défis qu’elles rencontrent².

Cependant, le temps de réflexion fait souvent défaut. La pression du temps sur les équipes et leur direction peut réduire le temps disponible pour élaborer des solutions optimales, ce qui risque de polariser les débats en un clivage « pro » ou « anti » multiâges.

Dans le cadre d’une classe multiâges, se pose la question de l’approche pédagogique à adopter : doit-on élaborer des programmes éducatifs distincts pour chaque tranche d’âge en se conformant aux programmes officiels, ou faut-il plutôt encourager les interactions entre les différents groupes d’âge pour certaines matières ou activités spécifiques ?

Il est également crucial de réfléchir à la manière dont les responsabilités sont attribuées et partagées entre les élèves, notamment entre les plus âgés et les plus jeunes. Ne peut-on envisager l’entraide comme un levier fondamental dans les processus d’apprentissage, ainsi que dans la socialisation scolaire, les élèves plus avancés prenant en charge l’intégration des plus jeunes dans les routines et les pratiques établies de l’école ?

Cette organisation multiâges dépasse donc largement la planification des enseignements au sein de la classe. Elle touche d’une manière plus systémique l’intervention de tous les acteurs, de tous les collaborateurs de l’intérieur de l’école (par exemple les enseignants spécialistes des autres disciplines – arts plastiques éducation physique –) et de l’extérieur, qui doivent se diviser leur travail autrement, et reconstruire du sens dans une nouvelle organisation.

L’organisation en classe multiâges reste aussi à argumenter solidement auprès de certains parents, qui doivent être rassurés sur le fait que leur enfant trouve les conditions nécessaires pour apprendre, dans un environnement scolaire globalement compétitif qui exige de la performance.

Sur notre librairie

1. Marie Toullec-Théry, « Travailler en intermétiers », Cahiers pédagogiques n°586, dossier « L’école primaire aujourd’hui », juin 2023.
2. Pierre-André Doudin, Denise Curchod-Ruedi, Louise Lafortune et Nathalie Lafranchise, « La santé psychosociale à l’école : le point sur la situation », dans Pierre-André Doudin, Denise Curchod-Ruedi, Louise Lafortune, et Nathalie Lafranchise (dir), La santé psychosociale des enseignants et des enseignantes, Presses de l’université du Québec, 2011.